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In herrinerung an par tehel

In herrinerung an

2 juillet 2039

 

"Natasha"[1] avait correctement été déposée sur le sol rocailleux par le bras mécanique dirigé par l'ordinateur central du MEM[2].

Brian Forester, le premier homme à avoir posé le pied sur Mars, quelques minutes plus tôt, s'installa aux commandes de la console extérieure du MEM et se mit à piloter le robot à chenilles pour commencer l'exploration.

A plus de 55 millions de km de là, sur la Terre, près de 2,5 milliards de téléspectateurs et d'internautes suivaient l'événement en semi-direct, vu la distance un délai de transmission de quelque 6 minutes séparait les événements des images qu'ils voyaient.

Natasha, un engin de près de 100 kg pour quasi un m³, avait une autonomie de 90 minutes, soit la possibilité de parcourir et couvrir un rayon de 3 km. L'engin tractait une remorque où, selon les commandes de Forester, à l'aide de la pince télescopique fixée sur le flanc droit, divers prélèvements étaient déposés.

L'aventure – la première expédition humaine sur Mars – avait été la consécration du plan de relance relatif à la Recherche Spatiale, à l'initiative de feu Barack Obama, trois décennies plus tôt et à la combinaison de longs et onéreux travaux du G8[3].

De son unique œil – une caméra directionnelle à infrarouge fixée sur le toit – Natasha scrutait le sol à la recherche de minéraux (pour l'hématite qu'ils contenaient), de pierres (basalte et silice à analyser) ainsi que d'autres traces de sulfate.

Depuis le Pentagone où ils avaient été conviés, sur un écran géant dressé pour la circonstance, les plus puissants de la planète, et 126 autres délégations, s'étaient rassemblés pour suivre la retransmission aux côtés de la Présidente Rolanda Sue Burris[4].

Il n'y avait aucune trace de vie – au sens primaire où on l'entend – sur Mars, cela avait démontré depuis très longtemps et prouvé récemment avec les différentes sondes envoyées sur la planète, mais des traces possibles de vies antérieures pouvaient être décelées car on avait acquis la certitude que 4 milliards d'années plus tôt Mars avait été recouverte par 4 mers gigantesques.

Chacun se félicitait de la réussite totale de l'expédition et tous congratulait la Présidente des Etats-Unis qui avait soutenu le projet depuis le début de son élection.

Rolanda Sue Burris, à qui l'on venait d'apporter un petit émetteur, réclama le silence, se leva de son siège et, tout en suivant discrètement le téléprompteur, entama son message de félicitations qu'elle adressait directement à toutes les nations de la Terre, au G8 plus particulièrement pour leur soutien financier, et à Forester, là-bas, seul, sur la planète Mars.

La Dame conclut par ces mots: - si 70 ans plus tôt, Neil Amstrong nous dit qu'il s'agissait d'un grands pas pour l'humanité lorsqu'il foula le sol lunaire, il s'agit aujourd'hui, pour nous, pour vous, Commandant Forester, d'un bond de géant pour l'univers tout entier. Merci pour votre courage, merci pour tout, au nom de tous les hommes et de toutes les femmes de notre planète.

La Présidente fut longuement et vivement applaudie par l'assemblée, puis, dans l'attente de la réponse de Forester, soit près de 6 minutes, tout le monde se rassit pour suivre les images en différé sur l'écran de l'énorme salle. Deux vues étaient proposées. Une caméra automate suivait les faits et gestes de Brian Forester, tandis qu'un côté de l'écran proposait de suivre l'évolution de la chenillette.

Natasha continuait de progresser, elle avait aisément gravi un talus assez haut, contourné un gros rocher rouge, et puis elle avait suivi une espèce de sillon plus profond et fort intéressant dans le sol craquelé de Mars. A trois reprises, Forester qui ne s'était pas arrêté de travailler durant l'éloge de la Présidente, avait pratiqué un prélèvement qu'il avait aussitôt stocké dans la remorque de la chenillette.

Après quelques grésillements diffus, la réponse de Forester se fit enfin entendre.

- Madame la Présidente, Messieurs les Chef d'Etats, Mesdames et Messieurs, c'est pour moi un grand honneur …

Brian Forester n'improvisait rien du tout, le texte qu'il prononçait, il l'avait appris par cœur, on le lui avait soigneusement préparé et fait répéter des dizaines de fois, 14 mois plus tôt avant son départ, et tout le long de son périple à bord de Obama One, le vaisseau à présent en orbite autour de la planète rouge.

L'astronaute poursuivait son message que toute la Terre entière écoutait en retenant son souffle.

- Je tiens encore à féliciter les Nations qui nous ont aidés dans l'énorme entreprise qu'a été cette exploration de Mars. Sans tous ces chercheurs et experts des quatre coins de notre belle planète Terre, nous n'aurions jamais pu réaliser ce …

Soudain Forester s'était interrompu, les images projetées sur l'écran montraient un Astronaute penché en avant, comme plié par une douleur foudroyante. De fait, Forester s'était penché pour mieux regarder l'écran de contrôle de Natasha. L'écran relié à la caméra que la chenillette transportait.

- Qu'est-ce que … Forester balbutia ces quelques mots presqu'inaudibles tout en s'emparant à nouveau du stick de commande de la pince télescopique de Natasha.

Tout le monde, sans exception tourna la tête sur la droite, vers l'encadré des images retransmises par Natasha qui venait de stopper automatiquement face à un obstacle qu'elle ne pouvait franchir.

Si la retransmission était d'excellente qualité puisque remasterisée avant projection pour les milliards d'êtres humains qui suivaient les événements, les images qui défilaient à présent étaient assez confuses.

Devant Natasha, une espèce de rocher, une sorte d'obélisque plat, était dressé. Il ne s'agissait en aucun cas d'une roche ou d'un minéral géant, l'objet était lisse, luisant et parfaitement plane.

Dans l'assemblée du Pentagone, déjà la rumeur suggérait la découverte d'une vie extraterrestre, d'un débris de vaisseau venu d'un autre univers, de … un tas de suggestions furent soudainement et à un rythme soutenu débitées.

- Un peu de silence Mesdames et Messieurs, je vous prie, Forester, que voyez-vous, dites-nous clairement ! Beugla Rolanda Sue Burris.

Partout dans le monde le même émoi s'éleva des foyers.

L'astronaute – qui n'avait pas encore reçu le message de la Présidente – avait tenté d'éclaircir l'image, il avait manœuvré Natasha pour modifier l'angle de vue et puis il avait dézoomé et zoomé à nouveau pour tenter d'identifier la chose étrange qui se trouvait là-bas, à quelques centaines de mètres du MEM.

- C'est une stèle ! hurla quelqu'un dans la salle.

- Une stèle? Rolanda Sue Burris tenta d'identifier la personne qui venait de lâcher l'idée, mais la femme ne pouvait pas détacher son regard de l'écran où elle suivait la retransmission.

- C'est une stèle, oui, une pierre commémorative ! insista la voix.

- Là, un Soleil ! lança un homme qui bondit de sa chaise en brandissant son index vers les images projetées.

Sur l'écran, en effet, un soleil, à tout le moins la gravure de ce qui ressemblait à un soleil semblait se confirmer.

- Un trait rectiligne au-dessus !

- Deux traits, un au-dessus, un autre en dessous- observez bien !

Chacun y allait de son commentaire, quasi tout le monde se tenait debout pour tenter de mieux apercevoir l'écran.

Rolanda Sue Burris avait appelé son premier Conseiller d'un geste de la main rapide, elle lui avait glissé quelques mots à l'oreille, ensuite l'homme avait parlé dans son petit émetteur en se retournant en direction de la verrière qui abritait le staff permanent qui contrôlait et dirigeait toutes les opérations.

Forester avait entretemps à nouveau déplacé Natasha, il l'avait guidée en-dehors de l'ornière où elle se trouvait, avait pivoté sur la gauche et puis il avait à nouveau redressé l'engin.

Cette fois, cela ne faisait plus aucun doute, il s'agissait bien d'une représentation de soleil avec en-dessous et au-dessus un trait rectiligne.

- Rien Madame la Présidente, aucune mission spatiale vers Mars ou à destination toute autre n'a jamais emporté pareil objet dans l'espace! affirma le premier Conseiller à qui les chercheurs et analystes du Staff venaient de répondre catégoriquement.

- C'est impossible, qu'est-ce que c'est?!? bafouilla Rolanda Sue Burris.

- Rien Madame, je ne vois rien de précis, je ne sais pas de quoi il s'agit, Madame la Présidente, je vais tenter de contourner la chose pour mieux l'identifier! répondit Forester avec 6 minutes de retard à la question.

- On dirait EL Sol de Mayo ! lança un représentant de la délégation espagnole au fond de la salle.

Tout le monde se retourna vers l'individu qui fut surpris et se rassit.

- De quoi parlez-vous mon ami? répliqua Rolanda Sue Burris qui s'était ressaisie.

- El Sol de Mayo, le Soleil de Mai !

- Les Mayas? suggéra un petit homme de la délégation française.

- EL Sol de Mayo, c'est l'emblème du drapeau Argentin persista l'Espagnol. – Les traits, regardez les traits, poursuivit-il avec obstination, ce sont les délimitations du drapeau argentin !

Cette fois Natasha transmit une image fixe plus claire, il s'agissait sans plus aucun doute d'une sphère avec des rayons, un soleil peut-être, et de deux rainures droites en-dessous et au-dessus.

La chenillette se mit en branle, le soleil ou ce qui ressemblait à un soleil, disparut de l'écran, pour laisser place à l'infini désertique rougeâtre de Mars. Forester manœuvrait pour contourner l'étrange objet.

Natasha fit marche-arrière, pivota doucement pour se stabiliser finalement de l'autre côté de ce qui ressemblait effectivement à une stèle.

- Soyez prudent Forester, pensez à déconnecter au cas où, souvenez-vous des consignes dit la Présidente dans son émetteur en ayant pris soin de ne s'adresser qu'à l'astronaute.

- 6 Minutes, Madame la présidente, 6 minutes c'est le temps d'une transmission, lui rappela son Premier Conseiller agenouillé à ses côtés.

La caméra de Natasha mit l'image au point sous l'impulsion de la télécommande.

- C'est incliné !

- Oui c'est de travers, on dirait que sa penche du côté de la chenillette !

- Ca va l'écraser !

Un brouhaha confus monta de la salle.

- Là, regardez, c'est un trait vertical, un "1" en chiffre romain dirait-on !

- A côté, c'est un cercle !

- Non, c'est un mot !

- IN ! hurla quelqu'un

- Là, d'autres lettres !

- Des chiffres, plus bas !

- IN ERINNERUNG AN ! s'écria une femme de la délégation allemande

- Wernher von Braun und Pavelić Ante - 1953! poursuivit son voisin sûr de lui en écarquillant les yeux.

- In errinerung an Wernher von Braun und Pavelić Ante?!? que signifie ce charabia questionna la Présidente qui s'était levée d'un bond.

- A la mémoire de Wernher von Braun et Pavelić Ante – 1953 -, Madame la Présidente, le premier était un ingénieur allemand qui a joué un rôle majeur dans la mise au point des fusées durant la seconde guerre mondiale, naturalisé américain ensuite; le second, un nazzi à la solde de Hitler qui s'est réfugié en Argentine après l'armistice 1945.

- Qu'est-ce que ça signifie? demanda Rolanda Sue Burris abasourdie parce quelle voyait et ce qu'elle entendait.

- A constater, nous ne sommes pas réellement les premiers, Madame, loin s'en faut ! Cette stèle date de 70 ans ! suggéra encore discrètement le premier conseiller tandis que dans la salle tout le monde se chamaillait en utilisant son portable.

Déjà, la délégation allemande était submergée de questions impertinentes, soupçonneuses, tandis que blafards et paniqués, les représentants de l'Amérique du Sud avaient rapidement quitté la salle.

17 minutes plus tard, quatorze missiles équipés de "Tsars Bombas" décollaient de "Islas Malvinas", dans l'Océan Atlantique, pour autant d'objectifs disséminés et tactiques. Moins de 120 secondes plus tard, les Etats-Unis ripostaient, suivis de la Chine et des puissances d'Europe, comme la France et l'Allemagne, immédiatement contre-attaquées par l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques et du Pakistan.

Forester avait eu beau tenter de communiquer avec la Terre, les liaisons satellites demeurèrent muettes.

A 14h et 3 minutes, heure terrestre, en scrutant l'espace, il lui sembla encore voir une étrange et légère lumière provenir en direction de la Terre.

L'ordinateur du MEM perdit tout contact avec Obama One, soudain devenu muet, pour toujours !

 

 

FIN


[1]      Natacha: nom de baptême de la chenillette destinée à explorer le sol de Mars, tire son surnom de

          Natasha Obama, fille de Barack Obama, 44ème Président des États-Unis.

[2]     Mars Exploration Module.

[3]     États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Canada et Russie.

[4]              Rolanda Sue Burris, petite-fille du Sénteur de l'Illinois, Roland w. Burris, 1937 – 2014.

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