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L'Olivier par vanes_scott

L'Olivier

Plongé dans l’histoire, les yeux écarquillés, Olivier écoutait son grand-père. Le vieil homme racontait son passé de résistant, un après-midi d’été, dans un quartier modeste. L’adolescent connaissait aujourd’hui, la plupart des aventures de son aïeul, pour ainsi dire, par cœur. Les histoires qui se déroulaient pendant la Seconde Guerre Mondiale le passionnaient. Il écoutait probablement celle-ci pour la énième fois. Il adorait également étudier cette sombre période, comme le prouvaient ses lourds classeurs remplis de documents. Cependant, le jeune garçon se gardait bien de parler de ce centre d’intérêt à ses amis. Ils ne pourraient pas comprendre et le ridiculiseraient.

Olivier, donc, buvait les paroles de son grand-père :  » Ce jour-là, avec mon camarade Bernard Lebrun, dont je t’ai déjà parlé, nous avions décidé de participer au détournement d’un train allemand. Il se dirigeait vers notre capitale française, remplis de soldats ennemis. La tâche de notre groupe de résistants était de le faire dérailler. Nous devions descendre sur les voies afin d’abaisser un levier qui changerait la direction des rails, mais pas entièrement. Il fallait qu’il reste bloqué entre les deux voies. Bien sûr, cela était plus difficile qu’il n’y parait. Nous devions éviter les patrouilles de soldats qui pouvaient nous surprendre. La torture nous attendait si l’on se faisait prendre. »

Il s’arrêta un moment, le visage renfermé, l’air pensif. Il revoyait chacun de leurs actes, entendait à nouveau leurs paroles. Il ressentait toujours autant de tristesse et de gravité qu’au jour de l’action. Dehors, un train passa bruyamment, sortant l’homme de ses pensées. Voyant son petit fils s’impatienter, il reprit en soupirant :  » Vois-tu, l’expédition se révélait dangereuse. Nous serions à découvert le temps de manœuvrer le levier et pouvions facilement être repérés. Malgré les risques, mon ami Bernard et moi étions déterminés à participer à l’opération. Nous avions prêté serment de ne jamais rien révéler à propos du réseau, si quelque chose tournait mal.

En fin de journée, nous nous étions retrouvés dans un petit bois, non loin de la voie ferrée. La consigne se révéla claire: agir vite et bien. Au signal, qui était l’imitation d’un cri d’oiseau, nous nous précipitâmes sur les rails et cinq hommes usèrent de leur force afin d’abaisser suffisamment le levier rouillé. Soudain, un coup de feu. Puis, un second. A nouveau, nous nous jetâmes dans la forêt en courant à toute vitesse. Des soldats nous poursuivaient, ralentis par leurs lourdes bottes.

Suivant une détonation, mon pauvre ami Bernard s’effondra sans crier gare. Je m’arrêtai dans mon élan et me précipitai auprès de lui. Il leva la tête vers moi, les yeux remplis de détermination :  » Cours, m’ordonna-t-il, ne te fais pas avoir. » Ne sachant que faire, je boitillai autour de lui, tel un animal voulant être fidèle à son maître. Voyant que je ne bougeais pas, il insista : « Ils m’ont détruit la cheville mais tout ira bien, vas-y. » Il me poussa légèrement afin de m’encourager à reprendre ma course. « Fais-le pour moi » murmura-t-il une dernière fois.

Je me retournai lentement puis m’enfuis, son dernier regard gravé dans ma mémoire. Je m’en suis sortis. Mais lui, je ne l’ai jamais revu…

Un homme courageux, bon camarade, excellent ami. Il aurait été heureux de la réussite de l’opération puisqu’en effet, le train n’atteignit jamais la capitale. Un si brave homme, il a subit la torture. Sans rien révéler. Son nom avait été publié dans le journal… » La voix du vieillard se brisa sur ces derniers mots…

Olivier se releva. Il se tut, afin de laisser son grand-père seul au milieu de ses pensées. Il se prépara à sortir pour retrouver ses amis. Il enfila son blouson noir puis y cacha une bombe de peinture rouge. Le groupe de jeunes avait prévu d’aller décorer un mur vers l’extérieur de la ville. Alors qu’il passa devant l’homme âgé, ce dernier se dressa et lui souffla :  » Je n’aime pas beaucoup te voir avec ces garnements. » Il retomba dans le fauteuil, sans parler. Garnements ? s’indigna Olivier en sortant, ils allaient simplement peindre quelques tags qui ne feraient de mal à personne.

Il rencontra ses fréquentations dans un parking. Ils attendirent un peu avant de se mettre en route. Marc avait déniché un mur presque blanc comme neuf, près du chemin de fer, légèrement en dehors de la ville. Ils marchèrent en plaisantant à propos de choses et d’autres, sans grande importance.

Enfin, ils débouchèrent devant une place, complètement déserte. A l’écart, un mur en pierres, plutôt ancien mais propre, se dressait telle une barrière. Alors qu’ils s’approchaient, Olivier remarqua des confettis sur le sol, bleus, rouges et blancs, poussés au gré du vent. Comme l’avait précisé le chef, personne ne s’en était servi précédemment. Les tagueurs purent s’en donner à cœur joie.

Olivier pourtant, se sentait mal à l’aise. Il réfléchissait. Ce mur n’est pas récent pensait- il. Il s’arrêta un moment. Il commença à le contourner à pas lents, ignorant les plaisanteries de ses camarades. Il tâtonna l’autre côté. Il fut surpris d’y rencontrer des trous et des creux. Sa main sentit également des pierres, de la taille de briques, qui confirmèrent son anxiété. Il se fraya un chemin en repoussant des branchages pour atteindre l’autre côté. Il recula afin de mieux observer le mur. Ses yeux tombèrent sur une plaquette dorée, fixée contre le tronc d’un arbre.

Il fut frappé d’horreur.

Les mots gravés qu’il parcouru le glacèrent :

« Ci, après torture, furent fusillés neuf résistants français de la Seconde Guerre Mondiale. Puisse cet arbre, planté en leur mémoire, leur rendre hommage. »

S’ensuivirent les neuf noms. Le cœur d’Olivier s’enfonça de plus en plus, lui donna envie de vomir, de disparaître…

Il déchiffra à la huitième ligne :

« Bernard LEBRUN ».

La bombe de peinture tomba au sol, tinta d’un bruit métallique. Deux chaussures écrasèrent des olives au pied de l’arbre avant qu’une ombre ne s’enfuît dans les sous-bois, vers la tombée de la nuit.

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