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LE COMTE DE MON ENFANCE par COURDESSES

LE COMTE DE MON ENFANCE

 

Ma demeure de prince
Mon repaire de bandit
C'est un coin de province
Voisin du Paradis
C'est un monde qui grince
Peuplé de vieux esprits

Autour c'est des coteaux
Des bois et des corbeaux
Et le vieux presbytère
Adossé à l'église
Côtoie du cimetière
Les sépultures grises

1

Nous sommes arrivés
J'avais juste dix ans
Logés par charité
Au bord de la misère
Nous étions cinq enfants
Autour de notre mère

Ce lieu abandonné
Voilà bien des années
Par un ancien curé
Recelait des mystères
A éprouver les nerfs
Des plus durs solitaires


Quels étaient donc ces cris
Qui transperçaient la nuit
Autour des caveaux gris
Quand nous mangions assis
Autour de la chandelle
Nos maigres vermicelles

Spectacle familier
Sur le coup de minuit
De grosses araignées
Montaient à petit bruit
Le long des murs noircis
Des chambres à coucher

Au fond d'un vieux placard
Grattait une souris
De vieux papiers jaunis
Et quelques gros cafards
Se trimbalaient dare-dare
Dans l'humide gourbi

Alors sous les vieux toits
Commençait la folie
C'était la chasse aux rats
Aigus étaient les cris
Des bêtes sous la dent
Huants les chats-huants

Sans fin au galetas
En un ramdam du Diable
Les fouines en java
Sautaient sur les plafonds
Leur odeur exécrable
Restait dans la maison

2

En jeune Rastignac
Je régnais en ces lieux
M'étant donné pépère
Le titre généreux
De comte de Sastrac
Prince du Presbytère


Et je régnais ainsi
Sur tout le Sastragais
Au cœur du Bas Quercy
Pays de doux coteaux
De secrètes vallées
Et de joyeux ruisseaux

La comtesse ma mère
Elevait un cochon
Et une vieille chèvre
Qui avait pour mission
De tondre les abords
Du royaume des morts

Cette débroussailleuse
Attachée à son pieu
Exterminait les ronces
Et tout à coup anxieuse
Examinait les cieux
Cherchant une réponse

Mais n'en trouvant aucune
Quant à sa destinée
Elle bêlait à la lune
Toute la matinée
Croyant voir dans le ciel
Un œil de l'Eternel

Sur ce cette dévote
Récitait ses prières
En égrenant derrière
Un chapelet de crottes
Noires brillantes et lisses
Comme bonbons d' réglisse

3

J'y fus l'enfant de chœur
Maître ès cérémonies
Assistant le curé
A cultiver les peurs
D'un peuple de brebis
Hanté par le péché

Drapé dans l'aube blanche
Je célébrais alors
La messe du dimanche
Les gazouillants baptêmes
L'enterrement des morts
Et les serments suprêmes

Je partageais ainsi
Les joies et les malheurs
De ce peuple agricole
Blagueur et tapageur
Marnant comme fourmis
Le dos courbé au sol

A la sortie des messes
Ces âmes pécheresses
Couraient au cimetière
Mimer une prière
Et puis débarrassées
S'enfuyaient cancaner

Les mémés endeuillées
Se mettaient à piailler
Sur des choses posthumes
Les hommes à blaguer
Et à gesticuler
Serrés dans leurs costumes

4

Après les sacrements
Prenant leurs mobylettes
Deux trois minots simplets
Testaient la mécanique
Moteur pétaradant
Sur la place publique

Et soudain rigolards
Quand passait en boitant
Cheveux sous le foulard
Quelque vieille à moustaches
Ils rotaient crânement
Pour la voir qui se fâche

De vieux garçons timides
Grillaient des cigarettes
Soudain parlant plus fort
Pour attirer limpide
Le regard de Lisette
Qui les chauffait à mort

Ils évoquaient des fêtes
Au son des paso-dobles
Le port de tête noble
Des filles au tango
Qui après la sarclette
Se redressaient le dos

C'était dans leur blabla
De bons coups de quéquette
Mais on sait en tout cas
Qu'en guise de nanas
Ils fumaient du tabac
Et vidaient des canettes

Dans la cacophonie
Avec un air cucul
Frimant dans leurs toilettes
Pressées de faire pipi
Des poulettes joufflues
Se trémoussaient inquiètes

Penchées sur leurs vélos
Toutes rouges aux gros mots
Des paysans hâbleurs
Qui plaisantaient lourdauds
De vaches en chaleur
Montées par des taureaux

Elles lorgnaient les braguettes
Des vieux mal boutonnés
Qui dans leur bonhomie
Remontaient leur fourbi
Où se grattaient la tête
Enfouie sous le béret

5

Puis venait le moment
De nos abonnements
Quand la grande Lisette
Préférée du curé
Pointait sa trombinette
Pour le plaisir sacré

C'était le Pèlerin
L'unique magazine
Dans ces vies de chrétiens
Qui ramenait Tartine
Suivie de l'oncle Pat
Dans nos champs de patates

Oui après la torture
Du sermon qui étouffe
Tartine et Pat'Apouf
Supplantaient le caté
Vers nos folles lectures
Nous courions excités

Nos bandes dessinées
C'était cette mémé
Et puis ce gros tonton
Aidé de son neveu
Qui enquêtaient sérieux
Et tapaient pour de bon

En quelques tourlousines
Ou autres uppercut
Ces deux collatéraux
Ecrasaient la vermine
Ou rectifiaient les brutes
Pour un monde plus beau

De semaine en semaine
Le nez dans nos BD
Portés par le suspense
Pour connaître la fin
Fidèles on attendait
Jusqu'à la Saint Glinglin

6

C'était le temps aigri
Des bigotes d'ici
Auprès des bénitiers
Ces poules déplumées
Sentaient l'ail le sermon
La gnole et le friton

A l'heure des communions
Ces bêtes à croupion
Etiraient transcendées
De longs cous de poulets
Vers le corps symbolique
De Dieu le Fils unique

Comme enzymes gloutons
Ces sinistres femelles
Ouvraient comme poubelles
Leurs bouches édentées
Tiraient jusqu'au menton
Des langues crevassées

Dans cette position
Aspiraient goulûment
Bâfraient comme cochons
Les hosties salutaires
Que le viril vicaire
Glissait au trou béant

Et toutes transpirantes
Pénétrées pantelantes
Enfin se relevant
D'un air ostentatoire
S'en allaient en pétant
Comme juments de foire

7

C'était le temps béni
Où j'étais amoureux
De la vierge Marie
Où sa sainte douceur
Me ravissait le cœur
Me rendait si fiévreux

C'était le temps Marie
Où monsieur le curé
Pour chasser Belzébuth
De nos chairs amaigries
Nous bombardait le cul
De coups de pied sacrés

J'inventai en ces terres
Mes primes amazones
Et en Buffalo Bill
Précocement pubère
Je chevauchai cyclone
Leurs croupes juvéniles

Puis découvrant la mer
Dans leurs yeux enfantins
En Christophe Colomb
L'espace d'un matin
Je voguais vers Cythère
Poussé par mes démons

Chevaux et caravelles
Sont partis avec elles
Et sous le vieux tilleul
Après bien des exploits
L'enfant revient tout seul
Il était une fois...

Car le temps est fini
Qui brûle les neurones
Qui écrit notre histoire
Et hante nos mémoires
Jamais on n'en guérit
C'est le seul qu'on nous donne

On l'appelle Far West
Ou bien Eldorado
Là-bas dans le Sud-Ouest
Au milieu des coteaux
Cette cloche qui sonne
Et nos cœurs qui résonnent



PETITES CAMPAGNES
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Style : Poème | Par COURDESSES | Voir tous ses textes | Visite : 1219

Coup de cœur : 14 / Technique : 10

Commentaires :

pseudo : lucchi marieline

super bonne recherche au niveau des mots sensations garanties.

pseudo : COURDESSES

Merci marieline de ta visite et de l'attention que tu as pu porter à mon histoire. Je vais être absent pendant un bon mois... mais peut-être après pourrai-je lire tes oeuvres ?

pseudo : Cécile Césaire-Lanoix

Magnifique texte, empreint de beaucoup de sensibilité, et superbement écrit. Quel talent !J'ai vraiment adoré ce petit voyage dans le temps. Bravo !