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Le long des voies ferrées. par cymer

Le long des voies ferrées.

   Le long des voies ferrées:

 

   Un terrain vague, une brume automnale, quelques herbes folles entre les flaques d' eau boueuse ou dansent les moustiques, quelques buissons, quelques bosquets aux feuilles jaunissantes.

   Jusqu' à l' horizon brouillé file une voie ferrée ou dorment trois ou quatre wagons rouillés, des silhouettes cubiques figées par le silence des brouillards. Selon l' intensité des brumes, j' aperçois par intermittence les lignes courbes des dunes de crasse noire.
Une odeur particulière flotte dans l' air stagnant, mélange de rouille et de souffre. J' avance doucement comme un fantôme, comme un rôdeur.

   Que fait cet homme là-bas? Que fait t' il allongé sur le sol mouillé?
Je m' approche encore, il porte une vieille veste en cuir élimée, un jeans délavé et des chaussures de sport.
Soudain, une lumière fadasse, jaunâtre, défile horizontalement dans un raclement étouffé, puis après un coup de klaxon ou deux, continue sa route au fil des rails pour disparaître dans le gris du lointain.

   Que fait cet homme par terre? Il a une barbe de trois jours, des cheveux courts et une calvitie naissante. Ses yeux noirs sont grands ouverts, entre les deux un point rouge, comme la marque d' une croyance hindoue. Aucune vie n' émane de ses grands yeux, uniquement le pâle reflet d' un ciel gris et lourd qui nous oppresse sur la terre.
Il n' y a pas de croyance hindoue, il n' y a pas d' encens dans l' air, ni de curry, ni de jasmin.
Cet homme est mort, une balle entre les deux yeux qui n' ont pas eut le temps de se fermer, une balle dans la tête, et bon sang, j' ai une arme dans les mains. Il y a une odeur de souffre dans l' air et de la fumée sort encore du canon. Je ne me rappelle pas ... je l' ai tué ... je ne me rappelle de rien, tout s' arrête dans ma tête, comme si le monde était en équilibre sur le fil du temps et du destin. Je lâche le pistolet et porte mes mains à mon visage, je me sens couler à l' image de cette marre de sang qui s' étend entre les graviers, qui lentement forme une flaque rouge et noire sur son pourtour, derrière le crâne de cet homme, de ce cadavre.
Dans le gris ambiant, il me semble ne voir que le sang, que le rouge choquant, attirant comme du bon vin, un tableau presque agréable, comme à la télé, il manquerait presque la musique d' ambiance, qui résonne de grandes plaintes de violons et de violoncelles qui annoncent la fin tragique.

   Je suis là, debout, figé sur moi-même, le long des voies ferrées, une matinée d' automne. Aujourd' hui c' est un grand jour, je viens de tuer un homme d' un coup de pistolet.

   Je ne me rappelle pas, ni comment, ni pourquoi, ni ce que faisait cette arme entre mes mains, cette gâchette sous mon index, cette balle dans sa tête.

   Un moment de faiblesse, un coup de folie dans ma cervelle, comme le déclic métallique du percuteur avant le coup de feu. Je suis fou, ce doit être ça, un taré, un malade mental, un de ces singlés que l' on voit dans les journaux télévisés, dans les tribunaux, dans les prisons de haute sécurité.
Je suis certainement un de ces mecs sans histoires qui un jour tire au hasard dans la rue au grand damne de la population.
Je voudrai revenir en arrière, avant que la poudre ne s' enflamme derrière le culot de cette balle dorée, mais le sens du temps ne le permet pas, alors je m' enlise dans l' évidence, ma vie ne sera plus jamais la même et la sienne s' est arrêtée sur ma route.

   Le long des voies ferrées, un homme est debout, l' autre couché, l' un est vivant l' autre est mort, l' un est tueur l' autre est tué. C' est tellement évident, tellement normal, trop normal. Une suite logique que je ne pourrai jamais digérer. Alors la solution est vite trouvée.

   L' acier du canon fait le bruit d' une lame de couteau dans les graviers noirs. L' extrémité du tube est froid comme la mort sur ma tempe, le cliquetis est bref et retentit dans ma tête mais rien ne se passe. Encore une fois, toujours rien. Encore et encore, de plus en plus rapidement, toujours rien; il n' y avait qu' une seule balle dans le barillet. D' un coup de doigt dégoûté, je le fais tourner sur lui même dans un léger son de roulement.

   Un spot surgit du brouillard, accompagné d' un grondement sourd. Je me dirige vers lui en enjambant les rails. Il s' approche, je lui fais face. La lumière grandit de seconde en seconde, le grondement s' amplifie et fait trembler la terre et les poutres de chemin de fer sous mes pieds.
De grands coups de klaxon retentissent, assourdissants. Les freins sifflent dans une complainte stridente et quelques étincelles jaillissent, mais il est trop tard; la lumière grandit, m' inonde comme un flash, puis dans un bref soubresaut, s' éteint à jamais.

   J' imagine que le train s' immobilise doucement, et que le brouillard plane en une danse veloutée dans le faisceau de lumière, pendant que des gens s' affairent sous les roues métalliques, le long de la voie ferrée. Certains vomissent sur le côté, d' autres découvrent le deuxième corps et lèvent les mains au ciel, aussi plombé soit t' il.

 

                                                      Mercy.

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