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A l'aube de l'Harmonie... par Matheus Scriptor

A l'aube de l'Harmonie...

Il arrive souvent qu'une histoire raconte une chose qui s'est produite, soit à l'extérieur, perçue par les sens, soit à l'intérieur d'un esprit. Bien souvent aussi, la conscience se tourne vers le passé, car lui seul est connu. Il est un lieu rassurant.
L'histoire que je vais vous raconter, au contraire, parle d'un hypothétique futur, ou d'un présent dont la probabilité fut refoulée.

Devant une foule importante, une estrade et un pupitre étaient dressés. Autour d'eux, la ville et ses innombrables lumières éclairaient la grande place où ils se trouvaient, tandis que le soleil commençait à disparaître à l'horizon. Une douce brise venait rafraîchir ce lieu, auparavant baigné de la chaleur de l'été.
Massées devant la scène, le souffle coupé et remplis d'excitation à la fois, toutes ces personnes semblaient attendre un événement de la plus haute importance. Celle-ci monta d'un cran quand un homme vêtu en vert – chose qui nous semblerait étrange de nos jours – surgit comme sorti de nulle part, sur l'estrade, et s'avança vers le pupitre, muni d'un microphone.

Devant plusieurs dizaines de milliers d'âmes qui firent silence, cet homme prit la parole, et tint ces propos :

Mes amis, aujourd'hui est un grand jour.
La musique, ayant triomphé de la norme et de la stase, est devenue la reine de la civilisation. Son règne durera un millier d'années, seulement pour laisser place à une nouvelle forme de musique. Sa dynastie est installée, et ses bienfaits sont tels que tous devinrent heureux et harmonieux.
La partition se fit musique.
L'orchestre se fit musique.
L'être humain se fit musique.
La nature se fit musique.
Ainsi donc, l'univers et les galaxies, l'apprenant, se mirent à danser frénétiquement.
Tout était musique, et tous apprirent qu'il en a toujours été ainsi. Seuls l'oeil et l'oreille abusés pouvaient faire croire qu'il en était autrement.

Que dire alors de ces temps anciens où l'Homme luttait contre son frère, où il luttait contre lui-même, l'Univers et les Dieux ?
Quand naquit la profusion, le sentiment d'être seul et individuel, est aussi né le sentiment musical. Il était devenu possible d'entendre sa propre mélodie, ainsi que celle de son prochain. Il était également devenu possible d'aimer ou de détester celle-ci. Ainsi, les Hommes commencèrent à vouloir faire taire la musique de leur voisin et que la leur surpasse celle des autres, afin de pouvoir hurler au monde entier leur propre existence.
Si seulement vous ressentiez combien nos ancêtres, combien nous-mêmes, nous avions peur de cesser d'exister !...

L'homme de vert vêtu se tut. Sous des mèches de cheveux bruns qui tombaient sur son front, ses yeux bleus brillaient d'une intelligence joueuse. Tout comme la foule qui se tenait devant lui, il semblait se remémorer d'un passé lointain, sans pour autant sembler gêné par celui-ci ou pris d'une expression de gravité.
Il continua après quelques instants :

Nul ne connaissait la véritable musique, quand bien même notre vie était sans cesse égayée par de nombreux morceaux.
Quand quelqu'un naissait, cela était en musique. Quand nous mourrions, aussi. Quand nous travaillions, faisions nos courses, regardions la télévision. Pourtant, nul n'y prêtait attention.
Comment, par ailleurs, une personne qui a peur d'entendre sa propre mélodie s'éteindre, pourrait-elle accepter d'écouter la musique qui se joue au-delà de ses murailles intimes ?
Comment une telle personne pourrait se douter que ce ne sont pas les Hommes mais la Vie, telle une rivière qui coule en eux, qui chante ?

Car je vous le dis, la musique n'appartient à personne : elle est tel un torrent qui se déverse à chaque instant dans le coeur des êtres humains. Le véritable crédit attribué au musicien n'est pas pour un acte de création mais pour avoir fait connaître aux autres hommes le chant de la Vie.
Ainsi donc, mes amis, peu d'entre vous savent jouer d'un instrument mais vous êtes tous musiciens, sans la moindre exception.
Quand Mozart créa sa première symphonie, il ne créa pas sa chose, mais il permit au grand courant de la musique de le traverser et de s'exprimer en ce monde. C'est donc dans la spontanéité, et non dans la volonté de créer une chose plus grande que soi-même, que naît la plus grande gloire et que s'exprime la plus grande qualité de l'être humain.

S'arrêtant un instant, notre homme sourit. La candeur et l'expression de son visage étaient telles que tous pensèrent qu'il connaissait le grand compositeur comme s'il avait vécu en son temps et qu'il avait été son ami d'enfance.

Ainsi donc, sachant que la musique n'appartient à personne et qu'elle est aussi profonde que l'Univers, vous ne craindrez plus jamais d'en manquer.
Vous ne tenterez plus jamais de priver votre voisin de l'occasion d'exprimer sa propre mélodie, et vous ne vous priverez plus jamais de celle-ci. Ainsi donc, vous ne priverez plus jamais le monde de la vôtre.

Mes amis, votre mélodie commença un jour, mais elle ne connaîtra jamais de fin, quand bien même votre chair périra.

Telle est la symphonie du monde que nous chantons, Collège de l'Harmonie, à la gloire de l'Innommable.

La foule, silencieuse, vit l'homme partir de la scène aussi tranquillement qu'il était venu. Le soir-même, à cet endroit, se tint une fête comme jamais âme qui vive n'en avait connue. Le discours de l'homme en vert avait laissé place à la musique et à la danse de milliers de personnes, qui avaient déjà oublié les tribulations du temps jadis.
Ne restait que le présent, un éternel présent, offert à tous.

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