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La vallée par Rackma

La vallée

La vallée.

 

 

                Je n’ai pas peur. Je me suis préparé à cet instant. J’ai toujours su, qu’il arriverait plus tôt que la moyenne. Ma main me l’a toujours dit. Je ne sais pas ce que je vais trouver à l’autre bout du chemin. Mais je n’ai pas peur. J’ai juste un peu froid et une grande curiosité. Il me faut arriver au bout du chemin, car toutes les réponses sont censées s’y trouver. Toutes ces réponses qui m’ont torturé tout au long de ma …de mon passage.

                Je n’ai pas peur. Je marche d’un bon pas, sur une route que je ne vois pas. Je marche d’un pas confiant, malgré les incertitudes. Maintenant que je suis là, je n’ai plus envie de reculer. Je veux savoir, même si ça doit me retirer tout espoir d’être heureux. Je n’hésite même pas. C’est fait, je ne veux et de toute façon, je ne peux reculer.

                 Je n’ai pas peur. Je suis simplement étonné et dubitatif. Je ne m’attendais pas à ça. L’espace est vide, sans couleur chaleureuse et rassurante. Mais peut-être, est-ce ça, la vallée de l’ombre de la mort ?

                 Je n’ai pas peur et je ne regrette rien. Je suis fier de ce que j’ai accompli. Ce n’est pas grand chose mais si ça peut être utile, alors j’en suis satisfait.

                 Je ne regrette rien, mais je réfléchis à ma vie. Je suis né dans un pays appelé France, à la fin du vingtième siècle, trois ans à peine avant la chute du mur maudit de Berlin. Je suis né dans un monde qui n’a cessé d’être divisé par les croyances et les volontés de pouvoir depuis l’avènement de l’humanité. Non je ne regrette en rien ce monde pourri, rongé par l’envie. Ce qui peut arriver ne peut pas être pire. Et comme je n’ai pas peur, j’avance droit devant, car c’est la seule voie qui s’ouvre à moi.

                 Je n’ai pas peur. Non, être seul ne m’effraie pas. Entouré de parents aimants, je me suis cependant toujours complu dans la solitude, enfermé dans mon esprit, dans mon univers, où personne n’a jamais pu réellement entrer. Je n’ai pas peur d’être seul, car dans le fond, je l’ai toujours été. Et puis le contact des autres ne m’a jamais réussi.

 

                Je n’ai pas peur, et je ne regrette rien. Ni cette vie dans les jupons de ma mère, ni ce sérieux qui m’a rendu si amère. Je ne regrette pas vraiment celui que j’étais ; un crétin parano renfermé sur lui-même, sans autre perspective d’avenir, que d’avoir un travail  lui permettant de vivre. Et encore… s’il y a une chose dont j’ai toujours été sur, c’est que je devais mourir jeune, fauché en plein élan de vie et d’énergie…Quelle connerie !

                 Je n’ai pas peur. Je n’ai rien à me reprocher. J’ai toujours vécu selon mes principes, selon mon code de l’honneur. Et comme Rousseau avec ses Confessions, je le proclamerai bien haut et le brandirai devant moi, lors du jugement, si jamais il doit avoir lieu. Non ! Je n’ai pas peur. Je suis un Homme, et j’ai agi dans mon existence comme un Homme doit agir. Bien sur, je ne suis pas exempt de défaut. La colère et l’envie sont aussi de mes attributions. Plus d’une fois, elles se sont emparées de moi et ont manqué de me terrasser, me laissant honteux, misérable et pitoyable.

                 Mais je n’ai pas peur. Ce qui doit arriver, arrivera. J’ai toujours su que ça viendrait vite. Ces foutues lignes n’ont cessé de me le rappeler chaque jour. C’est peut-être cette conscience de la futilité de l’existence qui m’a pourri la vie. Je n’ai jamais su être réellement heureux. J’ai toujours eu, en arrière fond de pensée, que la faucheuse me guettait. Et mes rires, et mon sourire, et mes vannes vaseuses, n’ont toujours servi qu’à masquer cette terreur, qui s’emparait parfois de moi. Mourir… mourir…mourir un jour, peut-être demain, dans l’instant ou dans dix ans, sans m’y attendre, après avoir oublié cette terreur et avoir profité de la vie. Qui sait ?    

                 Mais décidément, je n’ai pas peur et je ne regrette rien. J’ai réalisé ce que je souhaitais. Il me manquait une chose importante dans ma vie : l’amour. J’ai toujours voulu avoir quelqu’un de l’autre sexe, à mes côtés. Une personne que je puisse aimer et dont je pourrais recevoir l’amour en échange, afin, de jouer ce rôle de protecteur, de chevalier flamboyant, comme dans les romans de chevalerie, qui ont forgé mon cœur et mes idéaux. J’ai toujours voulu avoir quelqu’un, qui s’allonge à côté de moi, sans crainte de mes actes ou pensées. Une personne, qui s’allonge contre moi et se sente apaisée à mon contact. Je me suis souvent dit, qu’une telle personne devait bien exister pour moi quelque part dans l’espace-temps de ma vie. Plusieurs fois, j’ai cru la trouver. Mais je suis allé de désillusions en désillusions, entre les refus et les erreurs. Et plus le temps avançait, plus je me disais que cette chance de trouver quelqu’un s’amenuisait de mois en mois, de jour en jour, d’heures en heures, de minutes en minutes et de secondes en secondes, pour n’en rester que là. Chaque jour je maudissais, ma timidité et mon manque de culot, deux éléments qui ne m’avaient par ailleurs jamais posé de problème en ce qui concerne le spectacle ou le travail. Mais pour ça, pour les filles, ces êtres que j’ai toujours, à tord ou à raison, idéalisés, je devenais transparent, sans consistance et fade. Je me suis toujours effacé derrière mes craintes ou mes scrupules… Foutus scrupules !

                 Malgré tout je ne regrette rien, car je suis parvenu à mon objectif. J’ai trouvé l’amour, dans ce petit bout de femme de vingt ans, que j’adore…que j’ai adoré. Elle s’est allongée sur le lit, prêt de moi, a posé sa tête sur mon épaule, et sa main sur mon torse. Elle s’est endormie, confiante, mais aussi, avide, de mes actes, de mes pensées… de mon amour. J’ai enfin pu jouer ce rôle du chevalier sans peur et sans reproche, ce rôle du protecteur.

                 Non ! La peur et le regret ne me servent à rien. J’ai vécu ce que je voulais. J’ai aimé. Nous nous sommes aimés. Et maintenant que j’avance dans cette vallée, cette vois sans issue, je revois ces moments. J’ai enfin vécu. Je n’aurais rien pu vivre d’autre, d’aussi fort. Nous avons connu l’amour jusqu’au bout, du début à la fin, jusqu’à cet après-midi. Oui, aujourd’hui, en début d’après-midi, je suis allé au bout de mes idées, de mes idéaux, de mon rôle de chevalier flamboyant, de protecteur, prêt à donner sa vie pour cet amour, pour cette fille qui m’a aimé si fort. Nous étions tout les deux dans une banque. Elle voulait retirer de l’argent pour me faire un cadeau. Un homme cagoulé est entré avec une arme à feu à la main. Le mec n’était pas doué. Il a lancé qu’il n’y aurait pas de dégât, si on obéissait. Alors on a obéi. Mais ce mec, qui n’était pas doué, n’a pas pensé que le banquier pouvait actionner l’alarme silencieuse de la banque. La police est arrivée, a bouclé le secteur et ce crétin cagoulé s’est retrouvé bloqué avec une dizaine d’otages. Il s’est énervé, à menacé d’exécuter un otage si on ne le laissait pas partir, puis a finalement décidé de mettre sa menace à exécution. Je ne sais pas pourquoi, mais dès qu’il l’avait vu, elle, il avait décidé de la tuer. Il a agrippé son bras, l’a fait se lever et l’a amenée devant une vitre pour qu’on puisse voir l’exécution. Alors je me suis dit que c’était le moment d’aller au bout de mes idées, de lier un acte à mes engagements. Je me suis levé, et avant qu’il s’en rende compte, je suis allé me placer devant elle. Il m’a dit : « Tu serais prêt à mourir pour cette salope. »  Je l’ai regardé droit dans les yeux à la manière d’un duelliste de western-spaghetti, et j’ai répondu : « Sans aucune hésitation. » Le crétin a rigolé et il a annoncé qu’il nous tuerait tout les deux, mais qu’il allait me flinguer de telle manière que je sois normalement encore conscient, quand il s’occuperait de ma copine. Puis il a tiré. Je n’ai pas esquissé de geste de survie, mon regard est resté imperturbable et je suis tombé à genou, puis sur le côté. A ce moment, je n’ai pas trop su ce qui se passait. J’ai entendu un grand chambard, qui a raisonné, affreusement, dans ma tête, un nouveau coup de feu et un corps, qui est tombé sur moi. J’ai cru que c’était elle, et une douleur, non pas physique mais morale, s’est emparée de moi. C’est à ce moment que je me suis senti partir. J’ai d’abord quitté mon corps, m’élevant dans les airs, j’ai vu le crétin la cervelle éclatée, et je l’ai vu elle, saine et sauve. J’ai voulu toucher ses cheveux, effleurer sa douce peau, serrer encore une fois ce petit corps tout chaud, qui avait ravi mes nuits. Mais j’étais entraîné loin de moi, loin d’elle, par une force qui me tirait vers le haut, vers les ténèbres de l’inconnu.

                Et je suis là, maintenant, sur cette voie sans issue.

                Je voulais connaître l’amour avant de mourir et je suis mort pour avoir aimé. Mais je ne regrette rien, et je n’ai pas peur, car j’ai vécu et je suis mort selon mes idéaux, mes convictions. Et de ceci, contrairement au reste de ma vie, qui a tout de même été plaisante et agréable, et bien de ceci, je suis fier. Et j’avance désormais dans ce vide obscur, sur cette voie sans repère et sans issue. J’avance et soudain, je vois une lueur. Je m’approche et la lueur grandit. Puis je distingue une porte ouverte derrière laquelle brille une lumière éclatante et qui bizarrement ne m’aveugle pas. Je distingue aussi, une créature qui m’attend devant cette porte. Je m’arrête à quelques pas de lui, et je le regarde. C’est un ange. Il est beau. Il paraît tout droit sorti d’un manga sombre et poétique. Il est grand, longiligne, le regard bleu, pénétrant. Ses cheveux blancs, lui tombent sur les épaules et dans le dos, par dessus un manteau gris sombre, d’où dépassent, déployées, deux ailes immaculées. Le reste de son habillement, c’est à dire un pantalon et une chemise, est également gris, et je vois soudain avec étonnement,  la poignée d’une épée qui apparaît derrière son dos, entre ses ailes. Il voit ma stupeur, et me dit d’une voix grave, sombre et douce, dans un langage que je ne connais pas, mais que je comprends :

      « N’ais crainte. Je ne m’en sers que contre les indésirables.

—Où suis-je ?

—A la porte de l’univers d’éternité, créé par ton inconscient.

—Pardon ?

—Le paradis n’est pas unique. Il est tel, que celui qui y accède le conçoit. Comprend bien qu’une fois cette porte franchie il n’y aura plus d’espoir de retour.

—Je me suis déjà fait à cette idée.

—Tant mieux. 

—Et puis dans un sens, je suis curieux de voir ce qu’a pu faire mon inconscient. Je veux trouver des réponses aux questions que je me suis toujours posée. Je vais enfin connaître le mystère de la mort.»

 

                Je m’avance vers la porte de mon univers d’éternité, mais soudain, un bruit attire mon attention. Je tourne la tête et je vois une nouvelle porte, ouverte sur la salle de la banque où je suis mort, enfin… censé être mort.

                « Qu’est-ce qui se passe ?

—Visiblement, il t’est offert une deuxième chance de vie.

—Sans dec ?

—Que choisis-tu ? Une vie pleine de souffrance ou l’accès à ce paradis que tu as toujours attendu ? »

 

                Cette question me laisse perplexe. Je regarde la porte de la vie et j’y vois, trois secouristes qui s’acharnent à me sauver, et elle, qui pleure dans les bras d’une femme policier, qui essaie de l’éloigner.

« Presse-toi de choisir, me dit l’ange. Le droit de revenir ne te sera pas éternellement accordé. »

 

               Je le regarde. Il est devant la porte de mon paradis, illuminé par la clarté, qui s’en échappe. J’observe à nouveau la fille dans la banque et me prend à penser soudain : Aurais-tu peur des réponses ? Regretterais-tu ce que tu laisses ? Irais-tu vraiment au bout de ton rôle de chevalier flamboyant, si tu ne revenais pas  alors que…  tu en as l’occasion ? 

              En un instant j’ai répondu à ces questions.

              Je lui lance un sourire et je lui dis :

              « Je suppose que les réponses pourront attendre mon retour. »

               Il incline positivement mais légèrement la tête en laissant passer un sourire amical sur ses lèvres et je bascule dans la vie. Cette foutue et douloureuse vie, que j’aime malgré tout.

 

           Ça fait trois semaines, que je suis cloué dans ce lit d’hôpital. La balle est entrée et elle est ressortie, faisant un joli trou à travers mon corps. Je suis dans les vapes, on m’a bourré de médocs, pour atténuer la douleur. Mais ça ne m’empêche pas de savoir quand elle est là, auprès de moi. Oui en vérité, je n’ai pas peur, car je ne suis pas seul. Et je ne regrette rien, car  tôt ou  tard  j’aurai la totalité des réponses. Pourtant, une chose me paraît bizarre. Cette ligne sur ma main, qui prédisait ma mort, a été contrariée. Oui, je suis mort quelques instants. Mais je suis revenu, et mon retour, lui, n’est pas inscrit sur ma main. Alors dans de relatifs moments de lucidité, des idées saugrenues me viennent. La ligne n’existe plus. Théoriquement, je ne suis donc plus vivant, et tel je suis considéré par les forces du destin. Mais si je ne suis plus censé vivre, je ne suis pas non plus censé mourir. Et là une crainte s’empare de moi. Vivre pour l’éternité, perdre un à un et à de multiples occasions, tous mes proches, ma famille, mes amis : Quel enfer ! Car la mort ne me fait pas peur, même si je ne l’appelle pas encore de mes vœux. La seule chose qui me fait frémir, c’est survivre. Alors pour la première fois depuis longtemps, je prie.

            Je prie pour qu’il me soit un jour redonné la possibilité, de me présenter devant l’ange et la porte de mon paradis.

            Je prie pour que la mort ne m'oublie pas.

 

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