Publier vos poèmes, nouvelles, histoires, pensées sur Mytexte

Bout de roman par Adélaïde Pulman

Bout de roman

*

 


Il me disait, tu es trop libre, ça en devient presque effrayant, je ne comprends pas cette liberté qui te porte, je ne peux la supporter. Elle t’éloigne de moi, elle nous empêche d’exister, elle me torture, je suis prisonnier de toi, mais tu es libre de tout. Je me souviens, parce que ça m’indifférait qu’il se sente enchainé a moi, je n’étais enchainée a personne, je crevais, m’écroulais dans cette ivresse folle qu’était ma nature désintéressée. Alors je me souviens, parce que c’est facile de ne pas oublier une telle douleur que pouvais provoquer mon air indépendant, ma douceur indolente, tout ce qui le faisait revenir vers moi, constamment, et pourtant le détruisait. Ce flot de détresse qui le prenait a la gorge, sa manière de soudainement devoir m’égorger, me rattraper. Il en devenait brusque, destructeur, fou de rage et d’angoisse, il me serrait plus fort, m’embrassait avec un déchirement qui me faisait parfois peur. Mais c’était inutile, je suis partie, un matin de novembre, j’ai claqué la porte et je l’ai laissé les bras branlants dans le couloir, ce couloir ou mille fois nous nous étions dit bonjour, au revoir, et jamais encore adieu. Je ne l’ai jamais revu, et c’est après que j’ai rencontré cet autre homme, celui dont je t’ai parlé précédemment et dont je te reparlerais sans aucun doutes. Lui seul a compté. Les autres n’étaient qu’un passe temps dévasté, un jeu aux mimiques sadiques. Et tu sais, de toute ma vie, je n’ai jamais éprouvé un seul sentiment de culpabilité pour ce que j’avais fait subir a cet homme là. Aujourd’hui, je me demande ou il est, ce qu’il fait, et je regrette, en quelque sorte. Il n’avait pas mérité que ma liberté devienne sa prison.


Plus le temps passait, plus je le trouvais informe, sans fond, sans intérêt. Pour moi, il n’était qu’un objet, un vulgaire maintien d’une vie qui n’avait plus de sens et que je m’efforçais de vivre, parce qu’il le fallait, on me l’avait demandé, c’était ça ou rien. Alors il était rien dans le tout, c’était le but, c’était idyllique. Ou presque idiot, en y réfléchissant, parce que je devenais maitre dans l’art de faire semblant, de me moquer de lui et qu’il ne s’en rende pas compte. Il était manipulable, aisément asservi, et c’était tout ce qu’il me fallait, parce que plus les semaines avançait, plus il perdait son statut d’être humain à mes yeux, plus je le considérais comme un vulgaire objet, qui prenait tantôt trop de place, tantôt faisait tache par son manque d’utilité, bref, en résumé, il m’était encombrant, il ne m’intéressait plus. Pourquoi m’étais-je jetée sur lui, avec tant de force, j’avais soupiré des mois entiers pour le posséder, pour le captiver, et maintenant, il me semblait appauvrie des capacités dont je raffolais chez lui. Terne et terriblement ennuyeux, je me dégoutais chaque fois que je l’embrassais, je fronçais les sourcils en le voyant le matin, manger, dormir. Il n’était devenu qu’une espèce de masse difforme, et je me reprochais parfois d’éprouver tant de dégout pour cet homme que j’avais cru aimer avec conviction, d’avoir un geste de recul face a ses gestes d’amour. Mais je n’y pouvais rien, il avait pris dans ma tête une telle proportion malsaine et répugnante que je ne pouvais lutter contre cette impression qu’il n’était plus qu’un déchet, qu’il fallait que je le jette un jour.

Je ris presque en voyant la tête de ce brave type ce matin la, il n’avait rien demandé, il m’appelait mon ange, mon amour, ma douce, il m’aimait, vraiment, tu vois. Mais je lui ai dit, comme ça, un matin, je ne t’aime pas, j’ai rencontré quelqu’un, je ne l’aime pas non plus, mais de toi, je suis lassée, tu m’ennuies, ne m’approche pas, tu me dégoutes. Je revois son air béat, ses yeux ronds, et je vais être prise d’un fou rire si je continue de te décrire l’énorme expression d’incompréhension et de désarroi qui se lisait sur son visage. Pourtant, c’est cruel, je ne devrais pas, tu vois, il faudrait que je fasse au moins semblant de me sentir mal pour ce pauvre mec qui m’aimait et n’avait pas demandé a souffrir de cette manière. Mais je ne me sens pas coupable, pas triste, rien du tout. Je suis indifférente à ça. C’est simplement un constat. Je l’ai laissé pantois, détruit, et je n’en ai éprouvé aucun remord.


Il me racontait des histoires de filles déconvenues, pensant que cela me rendrait jalouse, allait faire sortir une quelconque haine, un sentiment de possession, ou peut-être qu’il allait finir par savoir un écho de mon passé avec d’autre. Je demeurais impassible, considérait ce qu’il me disait comme un élément de plus de sa soumission dévote a ma personne, et j’inclinais parfois la tête, en souriant, à une anecdote ou un moment dérisoire, pour qu’il ressente un sentiment d’importance moindre. Étonnement, il s’échauffait d’avantage, faisait des gestes, parlait avec plus de vigueur. Et je souriais en coin, il était tellement persuadé que j’allais finalement réagir, mais je ne le faisais pas, ce qu’il avait vécu m’indifférait, je pensais jamais tu ne vivras ce que j’ai vécu, jamais tu n’auras un passé plus intéressant que le mien. Je n’avais pas envie de lui dire, ca aurait été gaspillé de la salive dans le vide que de détruire en deux secondes sa petite vie minable, par la gravité du mien. Alors il tentait, sur l’oreiller, entre deux cigarettes, et cela m’indifférait. J’étais une femme égoïste, égocentrique, sa vie ne me préoccupait pas, je savais qu’il n’allait pas rester assez longtemps pour que j’ai raison de lui ouvrir ma personne, il n’en valait pas la peine. Je me considérais trop précieuse pour sa petite attitude désinvolte, il me suffisait pour de menus détails, pas pour une vie entière de vérité.

 

 

 

 

 

"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"

Style : autre | Par Adélaïde Pulman | Voir tous ses textes | Visite : 476

Coup de cœur : 11 / Technique : 8

Commentaires :

pseudo : féfée

Atroce, cruel et répugnant ! Je le prends comme une fiction. CDC

pseudo : Adélaïde Pulman

Si ce n'est pas une fiction, c'est si terrifiant ?

pseudo : féfée

Je peux pas m'empêcher de me mettre à la place de ce mec, alors oui, c'est terrifiant ! Mais bon, je juge pas. Chacun sa vie.

pseudo : malone

à pas peur féfée à pas peur! t'as des phrases chocs comme ça pleines de sens qu'on lit sans oser en rajouter ou contredire. "il n'avait pas mérité que ma liberté devienne sa prison..." comme ce genre de phrase. un gros CDC pour toi Dame et au grand plaizir de te relire. PS j'aurais sans doute fait la même chose que toi... sourire.

pseudo : Karoloth

Superbe texte. J'adore. Peut-être faudrait-il placer le dernier paragraphe plus haut et terminé sur cette phrase "Je l’ai laissé pantois, détruit, et je n’en ai éprouvé aucun remord." qui sonne bien pour une fin. Bravo, on a envie d'en connaître plus sur cette demoiselle, en plus, c'est tellement bien écrit (je trouve) CDC!!!!!!!!

pseudo : Mignardise 974

Je crois que "normalement", je devrais faire la "choquée". En vérité, ton texte passe comme du beurre : on ne peut pas se forcer à aimer quelqu'un ni même faire semblant de l'aimer. Ta sincérité m'a impressionné ; ton ... audace, la franchise dont tu as fait preuve, j'adhère ! Bien sûr, la personne en face doit (ou a dû) souffrir énormément mais il vaut mieux la sincèrité au mensonge ou encore à la trahison. gros CDC

pseudo : féfée

Désolée d'avoir été si réactive (ça m'a ramenée à quelqu'un que je connais), ça prouve que ton texte est extrêmement bien écrit ! Bonne continuation. PS : le mépris m'a beaucoup dérangée.

pseudo : milania caetano

moi je suis fan je trouve sa vraiment excellent...j'en attends la suite