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Un après midi aux Invalides par GALLEPE Laurent

Un après midi aux Invalides

« Le vrai voyage c’est celui qu’on entreprend hors de soi même.»

 Antoine de SAINT EXUPERY

 

« Nos rêves sont les gardiens de notre sommeil. En autorisant nos pensées à s’échapper de notre conscience, ils permettent à nos désirs les plus profonds de trouver une voie et de se réaliser. Nous pouvons tout dans nos rêves, même l’inconcevable…»

Laurent GALLEPE

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I - Préambule

 

J’ai passé le fameux « cap de la quarantaine » tel un marin qui a parcouru le monde dans tous les sens, et qui conserve, du franchissement des « 40èmes parallèles » un souvenir tumultueux et inaltérable. Mes quarante ans furent pour moi, et j’admets la comparaison osée et présomptueuse, mes « 40èmes rugissants ». C’est là, à ces latitudes de  ma vie, que sont nés les vents tempétueux de mes interrogations et dont on n’imagine pas, avant de les avoir affrontés, la force destructrice et le bruit assourdissant qu’ils peuvent libérer.

Comme les grandes étapes mystiques de la navigation révèlent le navigateur, cette période de ma vie demeure une expérience émotionnellement forte, et riche d’enseignements, de découvertes et de révélations sur moi-même mais inévitablement sur les autres. Elle fut notamment d’une rudesse psychologique insoupçonnée et à laquelle je n’étais pas préparé ! Personnellement et jusque là, je considérais la crise de la quarantaine et son cortège de dépression, de démons de midi, de stress ou de mal de vivre comme relevant plus d’une littérature de série « B », une crise d’adolescence pour adultes, au rabais, en promotion (dépêchez-vous, 50% de remise à la caisse sur toutes nos dépressions au rayon mal être!), sinon  une production d’élucubrations intellectuelles laborieuses, extravagantes voire absurdes de tous ceux qui sont passés un peu à côté leur vie, ou pire, qui ont la douloureuse sensation de l’avoir ratée sinon totalement, au moins pour une bonne tranche !  J’étais loin de me douter à cet instant de la puissance dévastatrice de cette lame de fond à laquelle j’ai dû faire face et contre laquelle je dois encore me battre, qui me fit perdre pied à maintes reprises, bouleversa mon équilibre psychique et me déstabilise toujours physiquement. Elle m’obligea et me pousse encore, contre toute attente, à affronter seul toutes mes questions, mes angoisses et mes tempêtes intérieures dans un grand et tumultueux tour de moi-même en solitaire, au cours duquel, j’ai dû jeter par-dessus bord certaines de mes illusions et où j’ai perdu lors de ce long périple, tant de bouts de moi !...C’est à cette époque pourtant, au début de mon exil intérieur, « coupé du monde » dans cette phase d’introspection, de bilan et de remise en cause personnelle, que je fis par hasard, une de mes plus belles rencontres.

 

 

 

 

II – La lecture et la culture comme thérapie 

 

Dans mon quotidien monotone, dans sa monotonie des jours pareils, des mêmes personnes toujours sur les mêmes lieux identiques et des mêmes mots posés par des esprits sans lueur et des âmes tristes, mes livres m’apportaient ma seule et unique distraction. Ils nourrissaient mon imagination et mon besoin d’évasion, assouvirent au passage ma soif de connaissance, ma curiosité et préservaient ma santé intellectuelle.  En me conduisant vers des pays si lointains, à la rencontre des plus grands auteurs et hors du temps, les livres m’offraient à chaque fois une véritable et une belle échappée, car lire, c’est partir aussi, lire, n’est-ce pas là une des clefs de la liberté ?!...

De plus, la littérature possède intrinsèquement de grands et d’innombrables mérites ; celui de vous donner entre autre, accès à la culture, de forger votre opinion, votre personnalité, d’enrichir également constamment votre vocabulaire, et, par une bonne formulation de notre pensée, de nous faire accéder à un niveau supérieur de notre raisonnement. En outre, qu’ils soient connus ou pas, tous les écrivains élargissent considérablement notre champ de vision sur le monde et facilite sa compréhension.  Mon renouveau et ma « renaissance » intellectuelle date de cette période, lorsque je replongeais, entre autre, avec une ferveur restaurée  dans les ouvrages des philosophes des lumières. J’ai pu conforter alors et accroître non seulement mes connaissances mais enrichir mon esprit, élargir ma pensée. Comme eux, j’entrais dans un nouvel âge illuminé par la raison et le respect de mon prochain. Pour moi, le XVIIIème siècle sera toujours celui de l’illumination et mon préféré. J’ai également redécouvert  la poésie, le rythme des mots, l’élégance des rimes, le scintillement des vers, ces perles de la pensée, et je dévorais chaque strophe comme on croque des friandises. La beauté d’un poème me rendait  le souffle quand j’étouffais !..  Ainsi, avec la poésie, je peux me nourrir du beau.

"Comme un caillou jeté dans l'eau, le mot provoque des images mouvantes, suscite des résonances engendre la fascination... " J. Herman - Bretel

Je puise dans la lecture et dans chaque ouvrage cette culture qui  nourrie mon esprit et renforce  mes connaissances et dans laquelle je trouve tous les nutriments utiles à ma propre vie. Cette  connaissance me rend plus supportable un quotidien intellectuellement terne et souvent sans relief. J’y trouve de la profondeur et moins de superficialité et c’est là la plus grande des contradictions ou des paradoxes puisque la culture générale perd en profondeur ce qu’elle gagne justement en superficialité. Ainsi éloignée de toute érudition pompeuse ou spécialité lourde et pesante, la culture générale correspond parfaitement à mon caractère et mes goûts éclectiques, et surtout à mon tempérament versatile. En nous apportant un savoir, elle nous donne une bonne assise culturelle et de précieux et solides points d’appuis et pivots de notre réflexion, ainsi qu’une attirance toujours plus forte vers les idées générales au fur et à mesure que celle-ci s’accroît.  En outre, plus on se cultive, plus on est protégé des idées simplistes et toutes faites ! Comme les vaccins renforcent et protègent notre système immunitaires, les connaissances raffermissent et consolident notre jugement, notre capacité de penser juste  et éliminent de ce fait toutes les influences néfastes qui parasitent notre libre arbitre  en nous mettant de surcroît à l’abri de toutes les manipulations. Un homme sans culture ne peut vivre que dans l’immédiateté du présent, et se trouve dans l’impossibilité de comprendre le passé, sans aucun moyen d’appréhender, d’anticiper ou de préparer l’avenir.  La culture produit des civilisations  et des hommes et femmes libres, alors que l’inculture ne fabrique que des masses à la merci de toutes idéologies. Ce n’est pas un hasard si le rayonnement et les influences de la civilisation  grecque nous parviennent encore aujourd’hui, alors que le troisième Reich n’a pas survécu à sa propre idéologie et s’est éteint au bout de 12 ans.

La culture nous étoffe, personnellement je pense plus et mieux, de plus, elle me donne accès a d’autres formes de la pensée et m’aide surtout à rencontrer les autres, me fait vivre aux travers d’autres expériences multiples, d’autres vies… Chaque livre me rend donc plus riche, meilleur et plus libre. Je me sens aujourd’hui indéniablement plus civilisé dans un monde où les bonnes manières et la bienséance se font de plus en plus rares, où trop souvent la futilité est de mise où le paraître détrône tout,  où l’argent c’est le pouvoir et de nos jours, l’argent est roi. Aujourd’hui, faut-il être ou avoir ?!... Celui qui n’est donc pas ou peu fortuné, n’a pas ou peu de visibilité  sociale, n’est pas ou peu entendu, reconnu, ou pire, n’existe pas !... Nous ferions mieux de nous efforcer de vivre mieux chaque instant et de renoncer à beaucoup de choses matérielles et tellement inutiles, de nous séparer de notre cupidité. L’argent  nous valorise t-il ? La valeur absolue de toute chose n’est-elle pas la vie tout simplement ?

         J’ai constaté aussi, malheureusement, au cours de ma réflexion, que dans notre société dite civilisée,  la culture, cette richesse commune, la seule que l’on puisse considérer comme inépuisable, serait en passe de devenir un luxe, une denrée rare, de moins en moins accessible,  inexploitée voire dévalorisée. Aujourd’hui les domaines culturels et artistiques sont souvent relégués au second plan et malencontreusement ne font pas partie des priorités politiques. Essentielle pourtant à notre développement personnel, à notre sensibilité, à notre intelligence ou des sentiments les plus élevés et les plus nobles de chaque être humain, la culture est menacée aujourd’hui !  Nous devons absolument préserver ce lien privilégié et indispensable entre les individus, les peuples et les nations, et décréter l’ignorance comme un fléau plus dangereux encore que le réchauffement climatique, car plus dévastateur !..  La culture est un pont vers les autres mais aussi vers soi-même ! Fuir la culture, se serait s’isoler alors, de tout et de tous ?!...

Jacqueline de ROMILLY écrivait déjà en 1969 dans nous autres professeurs,  que « la culture est un luxe. Or de tous les luxes, la culture est celui qui est le moins réservé à l’argent, le plus propre à nier et à transcender toute hiérarchie sociale (…) que le contact avec les grands philosophes aide à penser les grands problèmes du moment sous leur forme première( …) que, même si le grec ne sert à rien, l’analyse des phrases grecques, avec leur cortège de moyens mis à la disposition de la rigueur, développe des facultés de raisonnement et la précision du langage. A la suite d’études grecques, on aura appris à s’insérer de façon plus riche dans la vie que l’on aura choisie, quel que soit cette vie, et que l’on y apportera des qualités profondes, qui se révèleront efficaces. Et puis, par delà l’efficacité pratique, faudrait-il négliger le fait d’être un homme et de vivre avec le maximum de joie ? Avec à sa disposition, le trésor des connaissances accumulées au cours des siècles, cela compte. Réagir aux maux quotidiens avec le secours de tous ceux qui ont, de quelques manières, embellis la vie humaine, cela compte. Pouvoir lire, pouvoir penser, pouvoir mesurer son propre sort aux dimensions du grand dialogue humain où rayonnent les héros, les artistes, les penseurs, cela aide. Et pouvoir éclairer ses journées des accents des poètes, cela aide. Chaque minute vécue, chaque incident subi, chaque malheur et chaque bonheur reçoivent une portée plus pure. »

 

  Personnellement, c’est le contact permanent et combiné de la lecture et de la culture, entre autre, qui a modifié puis bouleversé sensiblement et irrémédiablement ma vision du monde ; grâce aux connaissances puisées dans la littérature, je me suis affiné, enrichit,  humanisé !.. Je suis devenu un humaniste convaincu, rejetant au passage toute forme de croyances religieuses, ésotériques. Je sais faire preuve à présent de plus d’humilité, je sais taire mon arrogance,  même s’il faut pourtant encore que j’apprenne et que j’évite tout jugement de valeur sur les autres en les acceptants tels qu’ils sont, en m’y intéressant plus parce que, loin de me léser, toutes leurs différences m’enrichissent.

Et puis, et c’est assez récent, j’arrive maintenant à  prendre les choses  comme elles viennent sans chercher continuellement à les modifier ou à y apporter mécaniquement et orgueilleusement un peu de moi-même, je me suis découvert une patience jusque là, insoupçonnée. Ma cécité a disparue et j’y vois maintenant plus clair sur la nature humaine et sur moi. J’accepte aujourd’hui un peu plus qu’auparavant mes limites et je revois toutes mes priorités. En outre, je fais preuve de moins de conformisme et j’essaye de me prendre moins au sérieux, m’essayant aussi à l’auto – dérision, exercice qui  m’amuse de surcroit,  me soulage et me détend !..

J’ai compris aujourd’hui, que c’est parce que je me mesure à moi-même que le combat est si âpre…

Par contre, lorsque je constate les dommages de l’ignorance et les ravages de la misère, certaines inégalités me sont toujours aussi insupportables et m’effraient toujours autant. Outre le sentiment d’injustice et d’exclusion qu’elles engendrent, elles provoquent une humiliation qui constitue un risque indéniable et réel pour une démocratie : chaque offense que notre société produit, est un bâton de dynamite qu’elle dispose sous son socle ! Jusqu’au jour où !...

Quant au manque d’intérêt ou de curiosité intellectuelle, il m’indispose plus qu’avant. Je ne supporte plus la peur et le rejet de l’autre et par-dessus tout, la bêtise !  Paradoxalement, alors que mes connaissances grandissent et devraient de surcroit me redonner confiance, je demeure encore maladivement un grand indécis faisant toujours preuve d’une grande versatilité. J’ai parfois envie de tout et de rien, de solitude et de rencontres, de silence et de bruit, d’action et de calme, de fuite et de retour, de perte et de reconquête …La sensation d’avoir atteint aujourd’hui ma propre singularité m’encombre, même si elle m’aide à  m’échapper un peu du creuset commun, à refuser ce formatage de masse qui nous dicte tout.  Pourtant, si je me sens un peu mieux avec mes semblables et avec moi-même,  un sentiment m’intrigue et me bouleverse : celui d’avoir tellement changé en si peu de temps!  Je dois me redécouvrir un peu au fil des jours, me ré-apprivoiser au grès des épreuves ou des évènements, m’accaparer cet autre moi-même qui se dévoile et qui perce inexorablement. « Quantum mutatus ab illo » ! (combien différent de ce qu’il était)

En me faisant ressentir à chaque fois un grand enthousiasme, en développant mon envie de savoir, de connaître et de comprendre, la littérature a indéniablement bouleversé profondément et irrémédiablement ma façon d’être.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

III – La rencontre

 

Je me souviens parfaitement ce soir d’automne, pluvieux et venteux, crépuscule sombre d’une longue et triste journée, où j’étais profondément vautré dans mon canapé comme dans un canot de sauvetage, emmitouflé dans mon épaisse et trop longue robe de chambre comme pour me protéger de tout, j'étais posté par habitude à cette heure là, devant mon poste de télévision. Le journal télévisé venait de se terminer et au travers de mon « hublot »cathodique, j’écoutais religieusement l’animatrice dérouler avec un large sourire son bulletin prévisionnel météorologique pour le lendemain. Sa main ouverte traçait d’un geste sûr et autoritaire sur la photo satellite puis sur la carte de l’Europe et de l’hexagone, la route présumée qu’emprunteraient les perturbations atmosphériques poussées fortement par un flux d’ouest, et qui s’étaient d’une façon goulue et sans retenue, gorgées d’humidité lors de leur traversée de l’océan atlantique. D’après la présentatrice, sur la base des savants calculs des ingénieurs météorologiques, issus des modélisations informatiques inaccessibles pour la majorité des profanes que nous sommes, la dépression, précédée par un front froid, nous foncerait dessus en rangs serrés et en plusieurs vagues (demain dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne), vous voyez, envahirait ensuite les départements du Nord, du Pas de Calais, et de la Somme, pour se voir repoussée, par l’anticyclone des Acores en fin de journée... Ouf ! Elle serait suivie ensuite d’une relative accalmie, d’éclaircies éparses, puis le vent cessera. Les précipitations cesseront elles aussi à leur tour de se précipiter, et le front, quant à lui, sera stabilisé dans la nuit !... Comme dans chaque conflit il faut toujours s’attendre à la chute de quelque chose ; dans ce cas précis d’affrontement de masses d’air, nous assisterons, impuissants certes, à la chute des températures !... Mais ce n’est pas bien grave, rassurez-vous, car comme tout ce qui monte redescend un jour ou l’autre, et inversement, il n’y avait pas d’inquiétude particulière à avoir : les températures finiront par regrimper inévitablement après l’arrivée inespérée (comme la cavalerie) du fameux et bienveillant anticyclone !

J’ai quitté ma chaloupe deux minutes juste le temps d’assouvir un besoin naturel (ça sert aussi à ça la publicité à la télévision). De retour sur mon radeau dépourvu de WC, je perçus dès les premières marches de l’escalier qui mène à mon salon et où trône en souverain mon bel écran plat, la musique du générique du film qui  avait donc commencé. J’ai pris en marche le premier épisode d'une série de quatre d'Yves SIMONEAUX sur Napoléon d’après l’œuvre de Max GALLO, avec Christian CLAVIER, Gérard DEPARDIEU, Isabelle ROSSELLINI et John MALKOVICH pour ne citer qu'eux. J’ai hésité un instant, mon doigt prêt à enfoncer le « plus » du sélecteur des chaines sur ma télécommande. En effet, de mes leçons d’histoires de collège ou de mes cours au lycée je n’avais pas conservé un souvenir flatteur de Napoléon. A peine quelques bribes insignifiantes et éparses, clairsemées, et de surcroît dans le désordre, d’une une figure pourtant si populaire dans l'histoire universelle ne réussirent à me parvenir. Bonaparte, après le 18 Brumaire, ne représentait à mes yeux qu’un despote idolâtré de plus, un patronyme synonyme de destructions, à l'égo démesuré, assoiffé de pouvoir et de gloire, génie de la propagande et point d'origine de nombreuses saignées démographiques !.. Même s’il fut un grand souverain, un législateur au sens pratique aiguisé et reconnu, que son destin exceptionnel s'est confondu avec celui de l'Europe pendant plus d'une décennie, il n'avait pas réussit jusque là, à conquérir ma sympathie, mon imagination ou mon estime.  Il n'exerçait aucune fascination particulière. Inconsciemment ou non, j’avais fait une impasse, j’avais écarté  cet illustre  personnage qui encombrait tant ma mémoire qu’il en fût longtemps exclu, banni. Il ne me plaisait guère. Je ne ressentais en effet ni l'adulation ou l’admiration de certains ni le rejet et le mépris des autres : j’éprouvais simplement une grande indifférence ! Pourtant, ce soir là,  je me suis forcé à combler ce vide, car, et c’est dans ma nature je pense, je n’aime pas le vide et la profondeur de cette lacune me donnait tout à coup le tournis !..  Je ne regrette pas depuis, de ne pas m’être couché tôt ce soir là et de ne pas avoir changé de chaîne même si le réveil du lendemain fut un peu plus laborieux qu’à l’accoutumée.

J'ai donc suivi jusqu’au bout ce premier épisode et j'ai été fasciné par le personnage  que je découvrais, et séduit par cette série télévisée de bonne qualité et à mon goût.  J’entrepris par curiosité de voir les autres volets de cette saga napoléonienne télévisée puis j’ai entamé des recherches les jours suivants sur internet, replongeant aussi, mais avec plus de plaisir et d’intensité cette fois, dans les manuels d’histoire, et j’ai, bien évidemment, lu le jour même mon premier livre sur Napoléon. C’est donc en m’immergeant dans les livres, que je suis parti à la découverte et à la rencontre de celui à qui je dois, par le biais du hasard entre autre, mes retrouvailles avec la lecture et la littérature. J’arpente depuis, et très régulièrement, les allées des bibliothèques et il ne se passe pas une journée sans que je ne lise, et comme l’affirmait MONTESQUIEU ;  

« il n’est pas un chagrin qu’une heure de lecture n’ai dissipé ».

J’ai étudié la vie romanesque de Napoléon, régulièrement et avec soin comme un écolier, pendant deux années, parcourant avec une grande avidité tous les documents le concernant de près ou de loin, rien ne m’échappait, rien ne m’ennuyait. J’ai lu son histoire sous la plume d’André CASTELOT, digéré lentement les deux tomes du Mémorial de Sainte – Hélène d’Emmanuel de LAS CASES, j’ai exploré deux fois les quatre tomes de l’incontournable Napoléon de Max GALLO, celui de Georges BORDONOVE, le  Napoléon à Sainte-Hélène de Gilbert MARTINEAU, sans oublier les mémoires de CONSTANT, son premier valet de chambre. Vous retrouverez ainsi, grâce à eux, certaines descriptions détaillées de l’Empereur et certains faits historiques issus de leurs ouvrages sans lesquels il m’aurait été impossible de rédiger cette nouvelle.

Au fil de mes lectures, j’ai donc découvert et apprivoisé l’enfant seul, orgueilleux et fier, caractériel et corse de surcroit, hautain, aimant la solitude et extrêmement porté à l’égoïsme, avide de littérature et de mathématiques à l’école de BRIENNE  en Champagne. J’ai entrevu plus tard l’intelligence militaire, et l’ambition, lors de l’audacieuse délivrance de la ville de TOULON du jeune lieutenant d’artillerie. J’ai vu Bonaparte devenir Napoléon que j’ai suivi aveuglément lors de la première campagne d’Italie  au lendemain de vendémiaire. J’ai partagé avec les fantassins qui constituaient le gros de l’armée napoléonienne, la gloire du « petit caporal ». J’ai même combattu dans le froid et sous le soleil à AUSTERLITZ, brulé ma peau  sous celui d’Egypte et de Syrie, assisté en bonne place au sacre dans la Cathédrale de Notre Dame lors de ce glacial 2 décembre 1804. Il m’a fait marcher inlassablement sous la pluie et patauger dans la boue collante lors de la campagne de Pologne, je l’ai suivi avec euphorie en RUSSIE  jusqu’à Moscou dans un enfer de neige et de feu. J’ai pu étudier toute la stratégie et l’art de la guerre de Napoléon  fondée sur la rapidité, la surprise et le choc des troupes pourtant très inférieures en nombre. J’ai pressenti au fil des pages, la fin d’une époque pendant la campagne de France…

  1. Mes lectures sur l’empereur étaient salvatrices, grâce à elles, je vivais par procuration l’exaltation !.. Le plus souvent, je quittais le présent et tous mes tourments, chez moi, dans mon salon. Je montais à l’étage comme on grimpe dans un arbre pour se mettre à l’abri. Dans cette pièce grande et blanche que la lumière du jour éclairait, seul résonnait à peine la mélodie à deux notes du tic tac de la petite pendule qui marque le temps. Confortablement assis dans mon fauteuil, je lisais et c’était pour moi un grand bonheur. Les pages défilaient et faisaient tourner les heures et le monde s’ouvrait. Parfois, dans mes lectures, lorsque je fus saisit par de quelconques idées, mon esprit s’accrochait à la course du soleil qui m’attirait au lointain. Alors, au travers de la vitre posée sur la campagne environnante, je parcourais l’horizon, seul, au fil de mes pensées. Je m’envolais avec SAINT EXUPERY dès que le temps le permettait et je sentais le souffle chaud du désert brassé par les pales de l’hélice, je partageais aussi, de temps en temps, les commandes avec MERMOZ   et nous combattions tous les deux le froid intense de l’altitude au dessus de la cordières des Andes, je revivais au son de la marseillaise avec Camille DESMOULIN, DANTON, ROBESPIERRE  et tous les autres acteurs illustres, les tableaux de la révolution française. Je me goinfrais aussi des nouvelles distrayantes de MAUPASSANT que je ressortais le soir, en fin de journée ou juste avant de m’endormir. Il m’est aussi arrivé de confronter dans ce même salon, les riches réflexions avec FREUD  – DOLTO ou RUFO. J’ai lu également DE MUSSET, et puis ROUSSEAU  sans oublier HUGO évidemment, que je considère sans nul doute, et avec contemplation, comme le plus grand…

Je retrouvais dans la lecture et dans les livres des sensations, des émotions ; je m’identifiais aux personnages, les lieux s’érigeaient autour de moi, je ressentais les odeurs, je respirais à nouveau. Les livres restauraient l’usage de mes sens, je me sentais moi,  j’entrais en communion avec ce que je lisais. Mon imagination était réanimée, je revivais…

 « La littérature est bien la preuve que la vie ne suffit pas ». Fernando PESSOSA 

Et puis, Napoléon, me faisait évader, entre autre, de ma quotidienneté étouffante et écrasante. Il me faisait partager son existence exaltante, entretenais mon appétit pour la lecture et m’introduisait incognito dans les arcanes du pouvoir. J’ai pu admirer le dévouement  des hommes, assisté à cette adulation fiévreuse qu’il déclenchait et j’aimais particulièrement ces moments de récompense lorsqu’il  honorait et primait de façon juste et généreuse leur indéfectible fidélité et le mérite. Mais ce que j’entrevis surtout, c’est l’homme au travers des anfractuosités du personnage public.  Dans son intérieur par exemple, l’Empereur  était presque toujours gai et aimable, discutant avec tous, interrogeant son entourage sur leur famille, leurs loisirs, ce qu’ils aimaient ou pas. Mais dès qu’il avait terminé sa toilette et qu’il enfilait son uniforme, sa figure et son attitude changeaient subitement, il devenait soudainement grave et pensif, il reprenait son air d’Empereur en somme et assumait de nouveau avec force et détermination son destin…

Son courage et son inébranlable volonté me fascinaient. Je me trouvais au cœur même de la cour et du système  impérial, centre de toutes les grandes décisions, quand, moi-même, de l’autre côté du livre, je souffrais de pusillanime. J’ai aperçu les plus grandes couronnes d’Europe, admiré les plus grands généraux aux cours des nombreuses batailles, approché et côtoyé les maréchaux de l’empire,  j’ai défendu BONAPARTE  contre tous les ennemis de l’intérieur, j’ai combattu tous les adversaires de la France et de Napoléon. Avec les grognards, j’ai tout partagé,  le froid, la pluie, les longues marches épuisantes sous un soleil brûlant, la faim, la liesse des victoires de la grande armée. Je n’oublierai jamais le vent de la peur et l’odeur putride de la mort. J’étais encore présent à la restauration et sur l’île d’Elbe, aux cent jours et au retour de l’Aigle, j’étais dans le dernier carré de la vieille garde à WATERLOO. J’ai vécu tristement sa fin misérable, jour après jour, partagé l’exil sur le rocher de Sainte-Hélène, accompagné le morne quotidien et cet ennui mortel qui nous écrasait et tuait l’Empereur à petit feu. J’ai essuyais moi aussi toutes les tempêtes et luttais contre la rigueur du climat sur ce rocher perdu au beau milieu de l’Atlantique, encaissé les nombreuses et constantes vexations de Hudson LOWE, que Napoléon, par sa captivité, a élevé indirectement devant l’Histoire au rang de geôlier le plus célèbre et surement le plus misérable au monde. Avec son dernier carré de fidèles sur l’île de Sainte Hélène et qui sera son premier tombeau, j’ai assisté impuissant au crépuscule impérial et, ho ! Grand mais triste privilège, à la naissance de la légende ...

 

Pourtant, dans ces moments très agités de ma vie, toutes mes lectures accentuèrent indéniablement mon isolement et mon sentiment de solitude. Il me fallait changer d’environnement, prendre un peu de recul.

Un jour de décembre, j’ai acheté un billet et pris un train. Paris c’est imposé à moi sans que je puisse m’expliquer cette évidence. J’ai attribué ce choix au hasard, et cela me convenait. Il est vrai que j’ai toujours aimé Paris, sans raison apparentes cette ville me fascine, je m’y sens bien, un peu chez moi. Pourquoi faut-il toujours que nous cherchions  à développer nos sentiments ? Ce que j’affectionne particulièrement dans cette ville monumentale, c‘est m’y promener, parcourir ces grands espaces où de tous côtés le regard porte loin et n’est arrêté que par des bâtiments somptueux. Paris c’est aussi l’esprit de la France,  un accès direct et fabuleux avec l’Histoire de France, avec notre Histoire, et puis surtout, avec la culture, omniprésente, dans tout ce qu’elle a de plus beau : la richesse de sa diversité…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IV – Paris, le pèlerinage

 

« Mesdames, Messieurs, nous arrivons en gare du nord. Veuillez ne pas descendre avant l’arrêt complet du train. N’oubliez pas de vérifier si vous n’oubliez aucun bagage. La SNCF vous remercie et vous souhaite une bonne journée en espérant vous revoir prochainement sur nos lignes »

  1. Les bourrasques de neige tourbillonnantes balayaient tout sur le quai forçant les voyageurs à se précipiter  pour se mettre au plus vite à l’abri. Je regrettais vivement à présent, la douce chaleur diffuse, enveloppante et rassurante de mon compartiment. Je m’engouffrais au pas de charge comme aspiré littéralement dans la station de métro la plus proche. J’embarquais ensuite dans la première rame qui passait par là tel un naufragé désespéré qui s’agrippe au premier bout de bois qui flotte. Le bruit de roulement et le balancement du métro  me berçait. Mes voisins en vis-à-vis se dandinaient nonchalamment en rythme, le regard hagard, vide de toute lueur ou de la moindre expression. Certains passagers dormaient, les autres, quant à eux, scrutaient nerveusement le wagon de long en large à la recherche de je ne sais quoi. Je suis descendu à Austerlitz sans réellement savoir pourquoi, sans me douter une seule seconde, à cet instant, que ma démarche n’était pas fortuite mais que ma conduite m’était alors dictée inconsciemment. Je parcourais les couloirs du métro entraîné par le courant et les remous incessants des autres piétons. Au pied d’un grand escalier qui mène à la surface, j’ai sentis l’air vif du dehors qui s’écoulait, et je me suis lancé…        

L’impatience me donnait des ailes et me faisait gravir les marches quatre à quatre. J’étais enfin à Paris. A peine fus-je parvenu au terme de ma courte et rapide ascension, que je fus happé par une rafale. La bouche de métro qui me préservait jusqu’ici de l’hiver, ne put rien lorsque je fus à découvert ; une violente bourrasque de neige, aussi soudaine que glacée, vint m’atteindre de plein fouet et me fit chanceler dès mes premiers pas. Un court instant mes jambes hésitèrent. Mes mains, en tâtonnant dans le vide, avaient retrouvé par chance, la rampe heureusement encore à leur portée. J’eus pourtant grand mal à rétablir mon équilibre et il s’en était fallu de peu que je ne tombe tant cette glissage fut inattendu et ce coup de vent brutal...

Le sol était gelé. L’hiver avait déposé délicatement sur Paris ses premières neiges. Un vent glacial soufflait violemment et en tous sens, parcourant à vive allure cette étendue déserte, s’engouffrant sans relâche au travers des arbres nus, en leur arrachant à chaque passage les fins cristaux qu’il avait déposés. Cette fumée blanche qui s’échappait de chaque branche, consumait les ormes et les tilleuls qui bordent le grand boulevard des Invalides comme de simples et vulgaires brindilles de bois. Tous les passants avaient fui devant ses spectres blancs. Il ne demeurait pratiquement rien au dehors. La circulation automobile habituellement si dense en plein cœur de la cité avait presque totalement disparu. La capitale baignait dans le gris et le blanc d’une carte postale d’autrefois, ensevelie sous les teintes froides et voilées de l’hiver, abandonnée aux reflets pâles et tristes de la lueur du jour.

Je scrutais les alentours instinctivement comme un animal aux aguets qui s’aventure sur un nouveau territoire qu’il ne connait pas et dont il se méfie. Car tout ici m’était inconnu, cette avenue si grande,  interminable, se confondait avec l’horizon. Elle était pourtant si belle emprisonnée et voilée sous les frimas de l’hiver. Quelques rares et pauvres ombres, apparitions fluettes recroquevillées par le froid et la bise, surgissaient subitement du blizzard, pressaient leurs pas sur cette neige croquante et blanche, puis disparaissaient tout aussi rapidement comme engloutis une nouvelle fois. Seule une immobile et fluette silhouette demeurait là : la mienne…L’air glacial et le vent me rendaient tout pénible. Mon corps pris de tressaillements incontrôlables luttait sans cesse pour se réchauffer, même le fait de penser ou réfléchir constituait une épreuve et respirer, un danger. J'en fis très vite la douloureuse expérience. En faisant tourner l’horizon autour de moi afin de prendre des repères  j’avalais maladroitement une  « bouffée » de ce mélange constitué d’air froid et sec et de cristaux de glace. Elle me fit suffoquer. J'haletais, je toussais, en baissant la tête sous cette bouffée ardente. Mon visage avait plongé par réflexe dans mon écharpe pour ne pas respirer le feu intense de ce froid qui me brûlait à présent la poitrine. Mes mains agrippèrent alors fébrilement et désespérément le col épais de mon manteau en laine que je remontais au plus haut sur mon visage, sèchement, en l’érigeant ainsi comme les murs d’une redoute, précieux mais frêle rempart contre ce souffle glacé et étincelant. Je fis de mon écharpe une sorte de masque. Mon dos se fit aussi plus ronds sous les ruées du vent, et mes yeux, pour mieux se défendre, laissaient tomber leurs larmes qui voilaient mon regard mais figeaient mon courage en gelant sur mes joues. J’avais l’impression que l’hiver avait concentré sur moi toutes ses forces et m’avait prit pour cible.

Pourtant, je restais là, sans bouger un cil gelé, incapable de la moindre initiative, ébloui par la beauté glacée du paysage.  Je commençais néanmoins à être agacé par la gouaillerie dont le vent faisait preuve à mon égard mais par-dessus tout, le froid me tétanisait. Je devinais les rafales  qui arrivaient de toutes parts se rassembler pour n’en former qu’une seule, et puis brusquement, l’air changeait de direction au tout dernier moment pour se mettre à tournoyer autour de moi dans une folle farandole, me frôlant de temps à autre, par à coups, comme pour  jauger ma résistance, tester mes défenses. Il tutoyait mon flanc gauche, puis se déplaçait subitement sur mon aile droite pour se glisser furtivement derrière moi et me charger d’un coup. Mais bien campé sur mes appuis, je contenais tous les assauts, j’esquivais toutes les charges et je parvins à rester debout !..

Lorsque le vent s’affaiblissait un peu et reprenait son souffle, je pouvais admirer pendant cette courte trêve, la perspective de l’avenue sur le Grand Palais et sur sa grande verrière. A l’opposé, le dôme de l'hôtel des invalides, lui aussi noyé sous le givre, disparaissait  fugacement derrière d’immenses et majestueux rideaux de neige que l’air soulevait dans de violents courants ascendants. Au loin, les mêmes bourrasques levaient du sol d’énormes et tournoyantes guirlandes de cristaux étincelants, qui, au terme de leur éphémère course folle, se précipitaient et se jetaient sur les courbures parfaites du pont Alexandre III. Cette arche unique qui enjambe la Seine, symbole de l’esprit décoratif de la belle époque portait également comme tous les édifices de Paris, les stigmates du froid. La neige poudreuse, pulvérisée pendant de longues heures, avait fait disparaître en s’accumulant, toute la décoration luxuriante de l’ouvrage sous son linceul blanc. Les trente deux candélabres étaient devenus de vulgaires monceaux de glace, stalagmites difformes sculptées et érodées par le blizzard. Suprême sacrilège, les anges qui entourent d’habitude les immenses lustres de chacune des extrémités du pont, étaient figés et noyés sous la gelée glacée. Même les imposant pégases de bronze doré qui surplombent et dominent fièrement tout l’édifice du haut de leurs hautes colonnes en pierre, émergeaient eux aussi avec peine de ce décor lactescent. Je m émerveillais de tout. Entre un clignement de paupières et deux coulées de larmes, j’entrevoyais le ciel cracher ses nuées ardentes de cendres blanches sous lesquels, dans l’indifférence et le silence, la cité abandonnée, disparaissait peu à peu. L’hiver avait conquis fièrement et indubitablement la moindre parcelle de la capitale, sans que rien ne pût lui résister.

Je me remettais en marche comme pour répondre à cet appel irrésistible et lutter aussi contre l’engourdissement perfide de ce froid qui avait envahit toutes les extrémités de mes membres.

Ma montre indiquait elle aussi frileusement onze heures. Coïncidence, ce 2 décembre 2005 s’annonçait comme en 1804, jour du couronnement de Napoléon par le Pape PIE VII, comme une glaciale journée. Face à moi, l’hôtel des Invalides se dévoilait partiellement dans toute son imposante et superbe architecture tel un vaisseau fantôme qui émerge d’un brouillard épais pour disparaître quelques secondes plus tard, évanoui, enseveli… L’effet était saisissant…Étrangement, sans que je ne puisse me l’expliquer d’ailleurs, mon regard qui avait beau se poser en tous lieux aux alentours, fut inexorablement captivé et attiré par cette bâtisse ; j’avais l’impression que tout m’appelait et me poussait vers ce lieu ...Parfois, des bruits sourds, frêles chuchotements chahutés et cryptés par la bise, me parvenaient, presque inaudibles mais bien assez toutefois pour que je puisse les entendre, que je puisse les deviner et ne pas pouvoir m’y soustraire... Étais-ce bien le vent ou simplement le fruit de mon imagination ?

 En contemplant cet asile pour soldats, ce symbole emblématique de toutes nos gloires militaires passées qui accueille de nos jours encore les funérailles des grands hommes de la nation, mes souvenirs d’école resurgissaient. Je me remémorais entre autre, le sacre de l'empereur à Notre Dame, et l’année suivante, il y a deux cents ans à peine jour pour jour, se déroulait l’une des plus grandes bataille militaire de l’histoire de l’Empire : le soleil avait brillé à Austerlitz, un 2 décembre1805.

Un violent coup de vent comme une tape sèche dans le dos, me remis en marche malgré moi. Je quittais alors ma position trop exposée de la rue Pelleterie pour rejoindre le boulevard du Maréchal Gallieni et ensuite, toujours à découvert, trouver la place des invalides.  Mon avancée était rendue pénible par la bise qui cherchait sans relâche à s’engouffrer et agitait sans cesse et en tous sens les pans de mon manteau. Semblables à de trop longues et inutiles ailes, ces derniers me faisaient tituber  à chaque pas, dans cette démarche maladroite et honteuse tel le célèbre albatros de BAUDELAIRE. De temps à autre, une forme muette et fugace surgissait d'un coup et me frôlait. Je découvrais au tout dernier moment cette silhouette anonyme et courbée comme moi, qui glissait sans bruit sur cet épais tapis blanc et qui par moment, bien involontairement je pense, me coudoyait négligemment.

Tout à coup, quelque chose me stoppa. J’étais là immobile, pétrifié, perclus d’angoisse face à une force soudaine et invisible. Une inquiétude étouffante, un sentiment confus m’étreignait et m’empêchait tout mouvement, toute progression…Un véritable mur transparent et infranchissable se dressait devant moi. Mon cœur battait la chamade et faisait résonner mes tempes comme un tambour qui sonne la charge, à peine couvert par l’écho saccadé mon souffle haletant. Je restais figé, immobile. C’est à cet instant que j’ai ressenti pour la première fois parfaitement et très distinctement sa présence. Il était tout proche, il rôdait, j’en étais convaincu, je le devinais, je discernais son souffle, je le percevais, il m’épiait. Je remarquais maintenant en me retournant ses traces de pas fraîchement imprimés sur la neige, il me suivait c’est certain mais depuis quand  !?!... Machinalement, et pour mieux en avoir le cœur net, j’ai scrutais et reniflais tous les environs…Mais rien…Seul le crissement du vent se  faisait entendre. Pour me soustraire à cette désagréable et sourde impression d’être surveillé, constamment suivi du regard, je me remis en route, comme pour lui échapper, le prendre de vitesse et distancer par là même, mes propres émotions. Je continuais d’avancer balloté par le vent tel un minuscule et vulgaire fétu de paille, tous mes sens en éveil et attentif à tout. Je décidais alors pour me rassurer et m’alléger de cette crainte, d’imputer cette peur subite et stupide sur le compte de ce mauvais temps devenu si oppressant ! Il neigeait en effet abondamment et la visibilité très réduite sous un ciel sombre et lourd, accentuait encore mon malaise et ce sentiment d’étouffement... Je ne voyais plus par moments au-delà des dix mètres,  la lumière baissait encore sous de gros et gras flocons blancs qui avaient remplacés la mitraille givrée et tranchante que je recevais jusqu’ici. J’avançais toujours aussi difficilement sur cette étendue déserte et blanche, sous ce ciel de Paris menaçant et lourd, si bas, inlassablement poursuivi par ce sentiment d’être épié, surveillé constamment… Je marchais… Je marchais… Miraculeusement, comme par magie, le temps changea brusquement en quelques minutes!...

L’intensité du vent chuta graduellement puis très franchement, et disparu totalement... Très vite, je ne percevais plus en effet qu’un léger souffle qui ne faisait virevolter maintenant, et encore avec peine, que de petites flammèches de glaçons épars et ridicules. Je pouvais alors relever enfin et fièrement la tête et me redresser ainsi avec soulagement. Au dessus de moi, une trouée gigantesque venait de se former. En s’élargissant rapidement, elle baignait maintenant toute l’esplanade dans une chaude, vive et délicieuse lumière qui m’aveuglait. Le contraste était saisissant,  éblouissant tant cette illumination soudaine était si inespérée, si intense. J’avais comme basculé dans un autre univers et le paysage qui m’était offert à présent était devenu si différent, nouveau. Tout y était redevenu si lumineux, rassurant et calme, mais par quel prodige ?!.. Je me sentais fort tout à coup, invincible et je savourais cette victoire sur les éléments au beau milieu de ce boulevard devenu un peu mon champ de bataille! Je distinguais fièrement les deux pieds toujours ancrés dans la neige, les nuages s’enfuir en désordre dans une retraite précipitée. Je me doutais pourtant que la tourmente n’avait pas disparue pour autant …Elle rôdait encore au loin dans un mouvement lent, lancinant, tournoyante et toujours aussi menaçante, cherchant comme une armée qui vient de subir un revers, à se regrouper, se réorganiser pour mieux lancer une contre attaque je suppose et fondre sur moi à nouveau !.. Je devinais alors que ce répit providentiel ne serait que de courte durée, la tempête avait en effet levé le siège bien trop vite et avait si peu combattu ?!... Devant moi, le soleil jetait à présent avec fougue tous ses rayons de miel cristallisé sur le dôme étincelant de lumière et d’or de l'hôtel des invalides. Sur Paris, il brillait de mille feux, et la coupole, de tous ses éclats, scintillait comme un phare. Je me remis en marche, comme pour répondre à cette ineffable attirance qui provenait de cette source…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

V – Les Invalides…

 

Les invalides…J’avance, mais  toujours aussi lentement. J’aperçois l’allée blanchi de l’avant cour défendue par une grille en fer et surmontée des armes de France. Deux pavillons trônent à droite et à gauche et servent de corps de garde. Je pénètre à présent le porche qui mène dans la cour d’honneur à double étage d'arcades où le vent léger s'échappe, s’engouffre et résonne dans le petit tunnel me forçant à courber l’échine, m’obligeant à me recroqueviller, et me prosterner encore une fois.

Il est là, immobile, je l’aperçois, posté au deuxième étage, sa main gauche enfouie dans le gilet, trônant sur la cour Royale dans cette posture si personnelle et si célèbre,  fier dans son uniforme de Chasseurs de la Garde, revêtu de sa fameuse redingote et la tête coiffée de son indissociable chapeau. Il me dévisage, étudie tous mes pas. Il m’est impossible de me détacher de ce regard de bronze qui semble deviner chacun de mes gestes, s’immisce dans chacune de mes pensées…Je progresse… Il me suit toujours avec attention…Mais je réussis quand même à lui échapper.

Mon billet en poche, j’entre et pénètre dans le saint des saints : le dôme des Invalides. Je m’arrête avec admiration devant la sévère et imposante porte qui ferme l’entrée de la tombe. Au dessus de celle-ci, sont inscrites sur la table noire, les paroles immortelles de l'empereur qui figure sur son testament :

« Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé ».

Intérieurement, je récite cette phrase qui résonne comme une incantation sous le regard figé des deux statues persiques qui m’annoncent et me rappellent la solennité des lieux. Ces deux gardes fidèles, éternels et silencieux tiennent entre leurs mains sur deux coussins, l’une un globe et l’autre le spectre impérial. La porte donne l’accès au péristyle sombre qui conduit directement à la crypte. De grandes marches en marbre blanc me conduisent devant l’imposante masse du monolithe rouge qui renferme la dépouille de Napoléon. Il se dégage de ce lieu une atmosphère particulière, respectueuse mais d’une solennité froide et lourde.

Avant de m’approcher d’aussi près de celui qui fût un si grand personnage de notre histoire, je parcoure la galerie circulaire creusée sous le pavé du Dôme sous une lumière étrange et envoutante. Je chemine lentement et m’arrête tour à tour devant les dix bas reliefs en marbre blanc qui résument la vie de Napoléon et vantent ses principaux exploits. Sur chacun d’eux, il occupe le centre de la composition où des figures symboliques l’accompagnent et rappellent les travaux principaux de sa vie. Le travail est remarquable. L’homme de guerre y est rappelé mais aussi le législateur, le protecteur des arts, le chantre de la science et du commerce.

Je pénètre enfin dans la crypte non sans une grande émotion, précédé par ce sentiment indicible de profaner un tombeau. Mes pieds sacrilèges foulent l’immense auréole jaune d’or. Mes yeux cheminent le long de la balustrade et contemplent ce marbre de carrare orné de simples couronnes sculptées. Dans les intervalles je peux lire tous les noms célèbres de grandes batailles : RIVOLI, LES PYRAMIDES, MARENGO, AUSTERLITZ, IENA, FRIEDLAND, WAGRAM, MOSKOWA qui résonnent encore dans notre mémoire collective et qui flattent encore notre sentiment national. Je parcours fièrement pendant quelques secondes le nom de chacune de ces batailles illustres, me remémorant ces victoires éclatantes, ressentant de l’émotion mais animé par des sentiments contradictoires ; j'étais admiratif car tout ici, vise à glorifier Napoléon, mais combien de morts nourrissent encore les terres d’Europe ?!...

La couleur rouge du monolithe est magnifique, sa solitude est saisissante, rayonnante, imposante. Ce cercueil énorme et majestueux  arraché au sol de la Finlande est le centre de tous mes songes. Je perçois maintenant de des sensations étranges… Il trône encore en ces lieux le souvenir de Napoléon, ici, sa présence est indéniable, il demeure encore.  J’ignore aujourd’hui si c’est le froid qui n’avait pas totalement évacué mon corps ou l’effet de ce trouble diffus, mais je ressentis comme un souffle et je fus parcouru soudainement par un frisson qui me fit tressaillir étrangement. Machinalement je me suis retourné, encore inquiet de retrouver une nouvelle fois et d’éprouver à nouveau cette présence diffuse qui m’accompagne depuis tout à l’heure, si proche à présent et dont je ne peux toujours pas me défaire, qui me suit et me guide jusque dans mes pensées  !...

 Mon imagination, que je ne peux plus à présent contenir, s’échappe, coure  et vagabonde. Ma tête se met un peu à tourner. J’ai le sentiment de ne plus pouvoir faire le tri de mes impressions… Je n’ai plus froid, même un peu chaud, chaleur douce et étrange, presque irréelle…

Lentement je quitte la crypte et remonte dans le hall pour échapper à cette ivresse, retrouver la surface et un peu de sérénité. Je ressens maintenant la fatigue qui s’abat sur moi. Je m’affale subitement et lourdement sur un banc pour m’y reposer, vider enfin mon esprit et faire taire ainsi tous mes sens, en vain !.. Face à moi, à quelques mètres à peine, dans une vitrine doucement éclairée d’une fade et spectrale lumière, j’aperçois exposée, la célèbre redingote grise de Napoléon… Cette relique à portée de main, si proche et si inaccessible pourtant relance à elle seule toute mes pensées que j’avais eu tant de mal, il y a quelques instants à peine, à occulter. J’aurais tant voulu la toucher, la sentir, et pourquoi pas, pendant un bref moment, à l’insu de tous, m’y glisser !?...

Tout autour, les rares touristes vont et viennent encore. Les mots s’échangent curieusement en silence, les regards feutrés se croisent eux aussi sans bruit, même les pas des visiteurs se perdent et ricochent dans tout le monument. Le recueillement est palpable, pesant. Mais il fait bon, tout l’édifice baigne dans une douce torpeur qui m’engourdit  progressivement et à laquelle je m’abandonne volontiers, sans aucune retenue…Je sens mes paupières qui s’alourdissent…Ma respiration se fait plus lente, mon cœur ralentit… Je suis bien...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

VI – Tête à tête avec l’Empereur

 

-         «…cusez-moi, …sieur, Son …tesse vous …mande… »

J’ai sursauté. En ouvrant subitement les yeux,  je me suis redressé machinalement…

-     

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Style : Nouvelle | Par GALLEPE Laurent | Voir tous ses textes | Visite : 827

Coup de cœur : 27 / Technique : 12

Commentaires :

pseudo : Iloa

Merci, j'ai bien aimé cette balade dans ta tête.

pseudo : GALLEPE Laurent

Merci de ce compliment, mais parfois c'est le bazar dans ma tête!Il manque la fin du texte, si tu veux tu peux le lire sur le site "sengoa".

pseudo : Iloa

Ok, merci