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Jeremy ou quand monsieur le hasard s'en mele par charlescohen

Jeremy ou quand monsieur le hasard s'en mele

C'était en novembre, une pluie fine tombait sur la Canebière, et lorsqu'il pleut la ville est triste, sinistre et même lugubre.

Mon D…, il ne fallait pas nous habituer au Soleil et au beau temps à Marseille…

Je rentrais des courses les bras chargés de paquets. Arrivés devant la cabine téléphonique proche de mon domicile, je découvrais le trottoir jonché d'éclats de verre, la porte vitrée avait littéralement éclaté en mille morceaux.

Très étonné de ce spectacle, je me demandais si des vandales, des voyous sans doute avaient brisé la porte en signe de vengeance envers un ordre établi qui ne leur convenait guère. Ou alors tout simplement une personne âgée, un peu myope qui aurait malencontreusement heurté la porte de la cabine.

Soyons magnanime et accordons-lui le bénéfice du doute.

Je m'avançai pour vérifier l'état du téléphone, lorsque soudain sa sonnerie se fit entendre. Ne prenant pas même l'instant de la réflexion et ne me sentant absolument pas concerné, je n'imaginais pas encore les conséquences d'un tel acte. Après tout qu'est-ce que je risquais ?

Sans attendre davantage, je décrochais le combiné :

-         Allô ! Qui est à l'appareil ?

    Une séduisante voix féminine me répondit.

-         Oui, bonjour Monsieur, est-ce que je pourrais parler à Jérémy s'il vous plaît ?

-         Jérémy ? Oh ! Il n'est pas ici, il a dû sortir avec un copain.

-         Je ne comprends pas du tout ce qui se passe, voilà plus d'une semaine qu'il ne m'a pas appelée !

-         Vous savez madame, Jérémy est très occupé en ce moment, il va très bien si cela peut vous rassurer, si vous le désirez, je peux lui transmettre un message de votre part.

-         Je n'ose pas vous déranger monsieur, mais dites-lui bien s'il vous plaît que sa mère est inquiète, cela fait plus de huit jours, que je n'ai pas reçu de ses nouvelles.

-         Sa mère ? mais vous avez une voix bien jeune, on croirait entendre une jeune fille de vingt ans.

-         N'exagérons rien, monsieur, il y a bien au moins vingt trois ans que je n’ai plus mes vingt ans.

Rapide petit calcul mental, vingt plus vingt-trois cela fait bien quarante trois ans ! Cette dame à la voix si douce et si charmante entrait bien dans le critère d'âge de femme que je recherchais pour refaire ma vie sentimentale tombée en désuétude depuis quelques années.

-         Vous êtes quand même bien jeune ! Lançais-je.

-         Oh ! Vous trouvez ?

-         Oh ! Que oui, voudriez-vous dire autre chose à Jérémy hormis le fait qu'il ne vous ait pas téléphoné depuis plus d'une semaine ?

-         soyez gentil et dites-lui également que sa maman est très inquiète, et qu'elle voudrait bien connaître la date et l'heure de son retour pour qu'elle puisse aller le chercher à l'aéroport.

À l'aéroport ? Cette dame devait donc téléphoner de bien loin.

-         Et comment se nomme cette maman ?

-         Oh ! Excusez-moi monsieur cela n'est pas dans mes habitudes j'ai omis de me présenter, je suis Nathalie BONNET la mère de Jérémy,

-         Nathalie ? Mais c'est merveilleux, savez-vous que j'adore tous les prénoms de femmes qui se terminent par « l.i.e » comme Rosalie, Magalie, Émilie ou Julie etc. etc. etc.

Dans ma tête je faisais référence bien sur au « l.i.t. » Cet endroit renversant où l'on peut s'étendre, s'allonger, dormir et surtout même y faire l'amour, mais je ne sais pas très bien si elle comprit l'allusion.

-         Et sans indiscrétion, d'où appelez-vous ?

-         de Martinique monsieur.

D'un seul coup tous mes rêves de conquête amoureuse s'envolaient comme une nuée de moineaux.

-         J'ignorais que Jérémy habitait avec vous aux Antilles ! En fait, je ne le connais que depuis peu de temps et à propos de climat quel temps fait-il en Martinique ?

-         Oh ! Monsieur, il pleut sans discontinuer, et cela dure depuis deux semaines.

-         Mais dites-moi, qu'attendez-vous pour venir à Marseille ? ici nous avons la chance d'avoir le soleil en permanence et la mer à proximité.

Mes rêves de conquête amoureuse revenaient à la charge, les moineaux aussi. Je ne lâcherais pas aussi facilement ma proie. Après tout Fort-de-France n'est qu'à une douzaine d'heures de vol de Marseille et ce n'est quand même pas la mer à boire.

-         Oh ! Oui monsieur, j'aimerais beaucoup venir, car depuis le décès tragique de mon mari dans un accident de voiture, la vie ici n'est plus aussi agréable qu'auparavant et je regrette la France, ce beau pays où j'ai passé toute ma jeunesse.

Ce n'est pas croyable ! Son mari est décédé ! Elle est donc veuve ! Aujourd'hui assurément c'est mon jour de chance.

Il est vrai que parfois le malheur des uns fait le bonheur des autres, c'est la vie et l'on ne peut rien y changer. Nous voyons bien que certains héritiers sont vite consolés de la mort d'un proche au moment de toucher le pactole.

-         Et bien ! Venez en France retrouver ce beau pays de votre jeunesse, cela vous fera du bien, je peux même vous héberger avec Jérémy, vous aurez chacun votre chambre, et certainement que cela lui fera une belle surprise.

-         M’héberger chez vous ? Mais votre dame ne sera sûrement pas contente ?

-         Ma femme ? alors là je vous rassure tout de suite, cela fait quatorze ans nous avons divorcé et je vis en solitaire depuis quelques années.

-         Oh ! C’est trop gentil, savez-vous que votre proposition me tente ?

-         Alors ne vous laissez pas tenter plus longtemps, le meilleur remède contre la nostalgie et le retour au pays, prenez le premier avion pour Marseille, je viendrai vous chercher à l'aéroport, un petit grain de folie c'est si bon ! Et puis la vie est hélas tellement courte, de plus nous ferons une sacrée surprise à votre enfant. Je vous donne le numéro de mon téléphone portable où vous pourrez me communiquer l’heure et le numéro de vol de votre arrivée.

Pour une énorme blague, c'était une gigantesque blague.

Cette Nathalie que je ne connaissais ni d'Adam ni d’Eve ni même des dents ou des lèvres allait débarquer à Marseille, dans mon propre appartement, je délirais déjà.

Et puis comment réagira-t-elle lorsque contraint et forcé, je lui avouerai toute la vérité ?

Après tout, pour Nathalie je n'étais qu'un inconnu parmi des inconnus.

Je ne connaissais pas Jérémy, je lui avais outrageusement menti, j'avais abusé de sa confiance.

Je ne me sentais pas fier du tout, mais je croyais en ma chance, c'est elle qui m'a donné la force de poursuivre encore mon projet. Je crois m'être trop engagé, et quoi qu'il en soit, cette Nathalie était peut-être laide et ne correspondrait pas à l'idéal féminin que j'envisageais indispensable à mon bonheur, à ma vie.

Après de longues heures en fin d'après-midi mon portable se déclencha.

-         Nathalie ?

-         Oui, je viens de me renseigner auprès de l'agence de voyages, j'aurais un vol demain matin à une heure trente locale soit six heures trente en France et j'arriverai à Marignane demain à dix-huit heures.

-         Très bien, et comment vous reconnaîtrais-je ? après tout, je ne vous ai encore jamais vue.

-         Et bien, je porterai un grand chapeau blanc, je suis brune avec de longs cheveux noirs. Cela vous suffit-il ?

-         Oui, c'est magnifique, à demain donc et faite bon voyage.

-         Merci, à demain.

Le choc fut terrible, de toute la nuit je n'ai presque pas trouvé le sommeil, impossible de fermer l'œil. Je pensais à ma folie, faire venir une femme dont je ne connaissais que le nom et la voix et qui de plus habitait à près de sept mille kilomètres de Marseille. Tout cela sur la base de simples paroles échangées dans une petite conversation téléphonique.

Avouez qu'il y a là de quoi devenir complètement dingo !

J'avais l'angoisse de me retrouver face à une femme banale, simplette, peut-être même avec des idées très arrêtées ou peut-être même une folle qui ne prendrait pas toute cette plaisanterie du bon côté.

Plus d'une heure avant l'arrivée de l'avion de Nathalie, je me trouvais déjà assis au bar de l'aéroport, un café sous le nez, je me rongeais les ongles, de toute évidence je me demandais jusqu'où cette mascarade allait me conduire.

L'avion arriva pile à l'heure, c’est formidable ans on n'arrête pas le progrès !

De ma place je pouvais apercevoir les passagers quitter l'avion, ils n'étaient pas nombreux, une quinzaine de voyageurs au maximum.

Soudain Nathalie est apparue avec son grand chapeau blanc et ses longs cheveux noirs, telle une star hollywoodienne, avec une grâce infinie elle descendait les marches de la passerelle.

Rapidement j'allais l'attendre la sortie de la salle d'embarquement.

Je crois qu'elle me reconnût tout de suite, son regard s'était fixé sur moi, elle me dévisageait avec un grand sourire.

J'avoue humblement, j'étais aux anges et même aux abonnés absents. Plus rien d'autre au monde n'avait d'importance pour moi.

Quelle femme merveilleuse ! Quelle beauté ! Quelle grâce !

Oh mon D… ! Quand tu veux faire un beau cadeau tu sais t’y prendre ! Un cadeau plus joli que celui-là, c'est sûr que ça n'existe pas.

-         Nathalie ? bonjour avez-vous fait un bon voyage ?

-         Sensationnel ! Je me suis pratiquement téléportée, j'ai dormi presque tout au long du voyage, ces heures de sommeil m'ont évité la fatigue du transport. Et puis la correspondance à Roissy m'a permis de me dégourdir les jambes, de toute façon je suis tellement heureuse d'être de retour en France, au fait je ne connais même pas votre prénom ?

-         Appelez-moi Charles, comme le prince d'Angleterre ou De Gaulle ou encore Aznavour. Venez  allons boire quelque chose au bar où nous ferons plus ample connaissance avec plus si affinités bien entendu !

Elle me souriait, je me sentais soulagé, j'avais peut-être une chance de lui plaire. Je lui rendis ses sourires sans aucun problème. Elle me tenait sous son charme, et du charme elle en avait à revendre.

Assis au bar après avoir commandé deux cafés, je commençais déjà à trembloter, j'essayais maladroitement de le cacher, heureusement  Nathalie ne regardait que mes yeux.

-         Savez-vous Nathalie que la vie est parfois bizarre, elle nous réserve souvent des surprises étonnantes et je vous assure que c'est le moins que nous puissions dire.

Elle me regardait un peu étonné  sans que son sourire ne quitta son sublime visage.

-         Je dois vous avouer Nathalie que je ne connais pas votre fils Jérémy.

Et là je lui racontais le coup de fil reçu dans la cabine téléphonique.

Elle m'écouta sans dire un mot, de plus en plus surprise par mon récit, toujours le sourire aux lèvres, c'était ce sourire qui m'encourageait à terminer mon histoire.

Dès que j’eus fini, elle me regarda comme si j'étais un extraterrestre venu d'une autre planète. Puis son visage s'illumina et un grand éclat de rire sorti de sa gorge, un rire qui explosa littéralement comme une bombe dans ce bar. Les autres consommateurs surpris de cet éclat nous fixaient très étonnés avant d'éclater de rire à leur tour. La surprise avait bien fait son effet.

J'avais promis de l'héberger, ce qu'elle accepta sans difficulté mais à la seule condition de dormir seul dans une chambre séparée.

Le lendemain, après un copieux petit déjeuner, Nathalie décida de téléphoner à son fils. C'est alors qu'elle se rendit compte de son erreur. En composant le numéro de Jérémy qu'elle avait noté sur un petit bout de papier, elle avait confondu le trois et le huit, c'est ainsi que son appel aboutissait dans la fameuse cabine endommagée.

Pour tout vous dire cette cabine je l'adore, et chaque fois que je passe devant, je lui dis « merci chérie » et surtout lorsqu'il n'y a personne aux alentours  je lui caresse la poignée et je lui fais même un petit bisou.

Le lendemain aux environs de midi, Jérémy vint nous voir, il resta même déjeuner avec nous. Il était enchanté du délire de sa mère qui m'avait présenté à lui comme un ami d'enfance.

Il ne pouvait en être autrement, Jérémy ne m’aurait sûrement jamais accepté s'il avait connu le quiproquo de cette histoire.

Quelques jours passèrent, lorsqu'un soir, alors que je lisais tranquillement mon journal, elle vint frapper à la porte de ma chambre. Quelle ne fut pas ma surprise en ouvrant la porte de l'apercevoir dans un léger déshabillé et de l'entendre me demander avec un petit sourire coquin de partager ma couche. Je la pris dans mes bras et l'embrassai fougueusement sur la bouche, baiser qu’elle me rendit avec tendresse.

Elle avait donc bien compris mon allusion sur les prénoms féminins finissants en « LIE »

«  Oh ! Nathalie encore merci pour ton intelligence et ton charme, pourquoi n'y aurait-il pas plus de femmes aussi intelligentes que toi ? »

Cette nuit-là,  jamais de ma vie je ne l'oublierais, mais rêves se concrétisaient, je me pinçais parfois la cuisse pour être sûr que je ne délirais pas. Il est vrai, qu'il est bon d'attendre un peu ce que l'on désire pour mieux le savourer et l'apprécier pleinement lorsqu'il arrive.

Quelques mois passèrent avec des nuits de fougues et d'amour sans pareil. Lorsqu'un soir rentrant d'une bonne journée de travail, Nathalie m'accueillit avec un gros bisou bien sucré puis avec un grand sourire malicieux me montra l'objet que sa main tenait caché derrière son dos.

C'était un test de grossesse ! Quelle ne fut pas ma joie de voir qu'il était positif de surcroît, pour une surprise c'était la sacrée bonne nouvelle que nous attendions tous deux avec impatience.

Enfin un bébé, le fruit de notre amour plus grand et plus fort que celui de Roméo et Juliette.

Notre enfant verra le jour pratiquement un an après que j’eus décroché le combiné de cette sacrée cabine d'amour.

Les mois passaient et le ventre de Nathalie commençait à s'arrondir, je passais de longs moments les mains sur ce ventre à essayer de percevoir les mouvements du bébé. Et parfois la tête posée contre son ventre, je tentais d'écouter les battements de son cœur.

Lors d'une visite médicale, le médecin fit une échographie avec un grand sourire nous demanda si nous voulions connaître le sexe du bébé, notre réponse fût « OUI » il nous annonça alors que c'était un garçon ce qui nous mit en joie.

Il nous fallait dès lors prénommer cette petite merveille, après des jours de palabres et plusieurs hésitations nous finîmes Nathalie et moi par nous mettre d'accord sur le choix du prénom que nous donnerons aux fruits de notre amour.

Passés les beaux jours au soleil et à la mer, le ventre de Nathalie s'arrondissait de plus en plus, jusqu'à ce dernier jour d'octobre où nous dûmes nous rendre de toute urgence à la clinique.

À quinze heures trente exactement ce jour-là, du ventre de Nathalie sorti en braillant à tue-tête, pour annoncer à ce monde son arrivée, notre fils tant désiré.

-         Comment allons-nous appeler ce petit chéri ?

demanda la sage-femme.

En cœur nous répondîmes « YMEREJ » ce qui en verlan ou plutôt à l'envers se lit et Jérémy. Après tout il l'avait bien mérité.

S'il avait régulièrement téléphoné à sa mère rien de toute cette histoire ne serait arrivé.

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Style : Nouvelle | Par charlescohen | Voir tous ses textes | Visite : 205

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Commentaires :

pseudo : Mignardise 974

très belle histoire idyllique ! cdc