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Dans les mains d' un enfant. par cymer

Dans les mains d' un enfant.

   Je suis né un jour de saison sèche, sous un soleil de plomb, dans la poussière ocre du désert. J' ai vu le jour seul avec ma mère, un peu à l' écart du village, pendant que mon père se battait dans la grande rue bordée d' acacias. Mes pleurs de nouveau-né auraient pu attirer l' attention des ennemis, qui pendant leurs expéditions punitives, tuaient et torturaient tout être vivant.
Les hommes de la famille m' ont longtemps raconté que ce jour là, mon père était mort en héros, mais je sais aujourd' hui que ce n' était pas le cas. Pendant que je venais au monde couvert du sang de ma mère, celui de mon père s' écoulait dans la poussière de la rue aux côtés de celui d' autres cadavres, tous massacrés à l' arme blanche, couverts de profondes entailles qui laissaient certainement apercevoir les os. Mon père n' était ni plus ni moins qu' un mort de plus en Afrique, un mort parmis tant d' autres, juste un homme parti avant d' avoir vu la naissance de son fils.

   Il y a trois ans déjà, juste avant de mourir, ma mère m' avait annoncé d' un ton grâve, rongée par l' inquiétude: "... mon fils ... le jour de ta naissance, les flamboyants étaient en fleur ..."
J' avais neuf ans, depuis je vois ces arbres fleurir chaque année de leurs fleurs rouges comme le sang, comme le sang de la femme qui m' a porté, comme le sang de mon père sur cette route. Elle m' avait dit ça je pense, pour me faire comprendre que le sens de la vie ne se trouve pas au bout des canons des armes à feu, ni sur les lames affûtées des machettes. J' étais un enfant, je n' ai pas compris. Trés tôt on m' a inculqué la haine, cette maladie humaine qui nous lie les uns contre les autres dans le monde entier, mais qui ici en Afrique, nous fait passer pour des animaux.

   Comment aurait-je pu ne pas marcher dans leur propagande? A un si jeune âge? Quand j' ai vu le corps de ma mère battu, mutilé, violé dans un coin de cette case en terre, je n' ai pas pleuré. Je me suis retourné et j' ai regardé ce village sans vie, ces guerriers sans morale qui s' en allaient à travers les flammes et la poussière, les armes levées vers le ciel et poussant de grands cris de victoire.
Alors quand on m' a mis une arme dans les mains je n' ai pas bronché, j' ai juste trouvé ça un peu lourd mais je m' y suis fait. Ils m' ont dit que pour me faire la main, je devais exécuter quelques otages. Ils ont placé devant moi deux hommes et une femme à qui ils n' avaient même pas bandés les yeux, j' ai tiré, j' ai été surpris par le recul et je n' ai même pas fais attention au regards apeurés que ces hommes et cette femme portaient sur moi avant de tomber. L' image du corps de ma mère s' estompait petit à petit dans mon esprit, plus tard je ne réflechirai même plus aux raisons de cette haine qui prenait place en moi. J' avais neuf ans et j' entrais dans la guerre civile.

   Aujourd' hui j' ai douze ans, j' attaque un village avec d' autres enfants, mitraillette en appui contre ma hanche droite et bandeau blanc ensanglanté noué autour de ma tête.
La poussière vole en tourbillons opaques, la large rue semble déserte et les maisons en terre inhabitées. Le plus âgé d' entre nous lance des bouteilles d' alcool enflammées à l' intérieur des habitations, bientôt elles prendront feu en dégageant une fumée noire et épaisse. Le soleil brille fort au dessus de nos têtes, derrière nous les adultes assistent à la scène serrés les uns contre les autres, debouts dans les bennes de gros camions verts foncés. Certains rient, d' autres frappent en rythmes contre la taule de leurs véhicules.
On nous a fait boire, ingurgiter des drogues que je ne connais pas pour nous donner du courage et nous empêcher de réfléchir.

   Les cases prennent feu, soudain, une voix enfantine hurle à travers la fumée qui nous entoure, "Ils sortent! Ils sortent! Ces chiens sortent!"
Un gosse de quelques années traverse la rue en courant, une brêve rafale retentit, l' enfant est abattu, tombe dans son élan en soulevant un petit nuage ocre. Immédiatement, une femme en pleur surgit, certainement la mère du gamin, je l' abats elle aussi, sous les acclamations des adultes dans leurs camions. La scène se répete dans toute la rue, nous tuons, massacrons femmes, enfants, hommes et vieillards, quelquefois au couteau où à la machette. Les camions derrière nous roulent sur les corps au fur et à mesure que nous avançons, l' Afrique trésaille sous les coups de ses enfants.
D' autres claquements d' armes rettentissent derrière les voiles de poussière et de fumée, un groupe d' hommes apparait au travers des vagues que forment les mirages de chaleur, les silhouettes sont diformes mais on distingue nettement les flashs de leurs coups de feu. Je transpire fortement, sans m' en rendre compte, je m' étale sur le sol poussiereux.

   Je n' ai pas mal, la drogue et l' alcool font leurs effets. Je reste allongé, je regarde vers le ciel, à travers les voluptes sombres et les voiles opaques je les aperçois, les flamboyants, le jour de ma mort les flamboyants était en fleur. J' ai trois balles dans le corps, mon sang s' écoule dans la terre vers le milieu de la rue, je n' entends plus, ma vision se perd dans le flou. Du haut de mes douze années, je meurt sous les balles, un jour de saison sèche. Un mort de plus en Afrique, un mort parmis tant d' autres, juste un enfant parti avant d' avoir grandi.

 

 

                                                                                                                M.A

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Style : Réflexion | Par cymer | Voir tous ses textes | Visite : 319

Coup de cœur : 15 / Technique : 11

Commentaires :

pseudo : Féfée

poignant, et formidablement bien écrit ! Une scène de violence ordinaire pour eux, et inacceptable pour nous. Une réalité crue, sans faux-semblants. Bravo ! Je viens de faire une formidable découverte. CDC

pseudo : Iloa

Féfée a tout dit...j'ajouterai que vous nous offrez là, une leçon de vie...qui est à méditer. Merci.

pseudo : Le gardien du phare

Beau texte qui décrit, sans concessions,la violence devenue banale, tout en évitant le voyeurisme.

pseudo : nani

On ne ressort pas indemne d'émotion après la lecture d'un tel texte, tout à coup nos problèmes deviennent d'un ridicule à faire pleurer d'ennui...La haine ronge de l'intérieur comme un goutte à goutte...

pseudo : dom

c'est un jeune qui a beaucoup de talent bravo