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Les pales sous le vent (suite et fin) par Déméter

Les pales sous le vent (suite et fin)

Killian dépose quelques graines à même le sol, puis il laisse le vanneau sous les branches  protectrices du camélia et retourne tranquillement à ses jeux d’enfant.

Son attention est bientôt attirée par une lumière qui clignote à intervalles réguliers, cette lumière intermittente semble provenir du petit bois qui est derrière la maison.

Un portillon au fond du jardin s’ouvre directement sur la forêt. Il suffirait à l’enfant d’ouvrir le portillon, de traverser le bois et il saurait de quoi provient cet appel lumineux.

Killian hésite un moment, mais sa curiosité l’emporte sur la prudence que ses parents lui recommandent toujours.

Il ouvre le portillon… le laisse grand ouvert…il court dans la futaie et ne voit rien…

Si,  après les derniers châtaigniers, là, une immense forme blanche plus haute que les arbres.

Killian s’arrête, devant lui se trouve une immense girouette posée sur le sol, pas un jouet pour enfant, une Vraie éolienne en polyester et fibre de verre, comme lui a expliqué son père.  L’enfant rassuré a soudainement envie de rire, de rire à ne plus pouvoir s’arrêter …et son rire se propage, se met à tinter, à ricocher de pale en pale, jusqu’à ce qu’il atteigne le cœur de l’éolienne.

Le son semble faire vibrer la nacelle. Surpris Killian cesse de rire et observe l’engin qui dans un bruit de crécelle laisse entendre son langage.

 - Arrête de rire, tu me chatouilles !

 - Ca ne fait pas de mal les chatouilles, et puis je ne te chatouille pas, je rigole !

 - Ton rire pourrait me disloquer totalement. J’ai subi la nuit dernière une chute qui  déjà aurait pu me briser, suivie d’une course à travers les terres ou mille fois encore j’aurais pu détruire ou être détruit. Je me repose ici tant qu’il fait jour, j’ espère ne pas être repéré par les hommes.

 - Pourquoi as-tu peur des hommes ? 

- Ils n’auraient plus confiance.  Tu sais petit d’homme, les adultes se posent beaucoup de questions et ils ont raison. J’ai eu un accident, et ce sont toutes mes sœurs les éoliennes du plateau qui risqueraient d’être démontées par ma faute.

 - Un accident ?

 - La nuit dernière le vent a soufflé fort sur le plateau. Comme en pareil cas j’ai freiné de toutes mes pales, je pensais être arrêté, en drapeau quoi, sans prise au vent, mais Eole a ses caprices et en moins de deux secondes une rafale très violente m’a en quelque sorte retournée et arrachée de mon mat.

 - Alors, c’est toi que j’ai vu cette nuit de ma fenêtre, ce n’était pas une licorne. Dit l’enfant déçu.

Et après tu t’es arrêtée ?

 - Impossible. Emportée par mon élan et le souffle du vent j’ai continué mon chemin.

 - Alors tu as tout cassé sur ton chemin ?

 - J’ai fait bien attention où je mettais mes pales. Je ne pense pas avoir fait de dégâts.

Bien sûr j’ai effrayé plusieurs familles d’oiseaux, et quelques chauves-souris ont failli s’écraser sur mes pales mais je les ai averties en émettant une espèce de chuintement et elles sont parties à temps.

 - Tu chuintes toi !  dit l’enfant en souriant et  en imaginant  l’éolienne en train de ronfler.

 Les pales de l’éolienne rosirent et elle dit honteuse.

 - Oui, j’essaie d’être silencieuse mais les hommes qui aimeraient ne pas me voir disent que je provoque des nuisances sonores.

 - Pourtant tu es installée avec tes sœurs loin des maisons, dans un champ d’éoliennes sur le plateau.

 - ça les dérange quand même. Il faudra que j’apprenne à ne plus ronfler.

 - Je vais te gronder quand même, parce que tu as vraiment dérangé les oiseaux, ils se sont tous éparpillés. Un vanneau huppé est venu se réfugier dans mon jardin, je ne sais pas s’il osera retourner là où il vivait avant avec ceux de son espèce.

 - Je partirai cette nuit, je pense qu’il y aura  suffisamment de vent pour que je puisse bouger.  Dis-lui que dès demain il pourra sautiller dans la lande.

 - Tu retourneras sur le plateau ?

 - Non, je n’aurai pas assez de force pour grimper, mais je vais me laisser pousser par le vent jusqu’à la mer.

 - La mer !

 - Oui, je vais tenter de rejoindre un parc éolien situé en pleine mer. Là je ne dérangerai personne. Dit l’éolienne songeuse. Elle ne peut s’empêcher de penser aux parcs à huitres, aux pêcheurs,  aux plaisanciers, aux militaires, à ces espaces marins protégés où son installation est vue d’un mauvais œil…mais elle ne veut pas inquiéter l’enfant.

 - J’irai, dit-elle encore, là où rien n’arrête le vent

Je capterai son souffle au dessus de la houle

Ma voix sifflera avec le chant de la mer

Elle ne gênera plus l’oreille humaine.

Je prendrai et distribuerai l’énergie

Et l’homme oubliera l’éolienne

Qui œuvre pour la vie.

L’enfant seul face aux moulins à vent, devant les châteaux d’eau, s’émerveille encore.

Il devine le  mystère de leur existence. Tous deux sont en marche vers l’Avenir.

  Killian reste silencieux, il sait que cette rencontre avec l’éolienne est aussi étonnante que son vol de nuit avec la licorne.  Il imagine l’éolienne glissant sur la crête des vagues…pas facile à voir en étant réveillé !

 - Bon, dit l’enfant, je vais te laisser parce que je dois rentrer avant que ma mère ne s’inquiète.

Je penserai à toi cette nuit !

 Vient la nuit et Killian rêve. Alors que le vent souffle dehors, il voit en songe ce qu’il ne peut  imaginer de jour ; une grande sculpture florale avance longue et légère sur ses jambes de feuille qui effleurent à peine l’océan, en couronne autour de sa tête ondulent des pétales colorés :  la Fleur qui marche !

 L’éolienne se trouve maintenant dans un parc offshore, elle a emmené avec elle le rire de l’enfant. Un  rire  qui tinte là où seuls les astres et les poissons peuvent l’entendre, qui se propage jusque dans le froufrou irisé de la lumière des étoiles et dans le sillage des  nageoires argentées des êtres aquatiques.

Fin

 

 

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Style : Poème | Par Déméter | Voir tous ses textes | Visite : 283

Coup de cœur : 11 / Technique : 6

Commentaires :

pseudo : Iloa

C'est un très très très beau conte Déméter...Vraiment ! J'avais besoin de la suite pour t'offrir mon avis et je suis ravie ! Merci à toi...

pseudo : Déméter

Merci beaucoup Iloa, je doutais qu'il plaise (je doute beaucoup). J'ai essayé de glisser juste ce qu'il faut de rêve dans l'histoire pour que le rêve renforce la poésie. Sur un autre site on me reproche de ne pas croire aux rêves, de ne pas avoir su les exploiter suffisamment dans cette histoire. Je suis fort étonnée, car je pense que tous mes écrits (même les poésies) disent par eux mêmes que je ne dédaigne pas l'univers onirique ! Je sais que j'aurai de nombreux passages à améliorer, mais si déjà on me donne l'impression ressentie à la lecture cela m'apporte beaucoup. Merci encore à toi Iloa.