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Un Futur par Grand-Père

Un Futur

Marc quitta la chaleur et le confort de ses couvertures pour sortit du lit. Il faisait -5° dehors. « Réchauffement climatique mon cul » grommela-t-il dans sa barbe de 4 jours. Il enfila un gros pull et puis un peignoir chaud. Le chauffage à mazout ne maintenait que 10° dans la maison. Faire plus pendant la nuit aurait coûté trop cher. Il monta le thermostat et s’affaira au feu de bois. Enlever les cendres de la veille, nettoyer la vitre et le plancher, mettre le petit bois sur un vieux journal, allumer le papier. Avec son âge ce petit boulot lui demandait beaucoup d’efforts et de temps.

Mais cela ne pourra durer. Il était au bout de sa réserve de buches et la commune avait interdit de couper des arbres, même les siens. Ils étaient déclarés biens publics et devaient servir à chauffer les prioritaires. Il se voyait déjà comme beaucoup d’autres, faire des palabres interminables dans une administration quelconque dans le seul but de se chauffer un peu.

Il jeta un œil sur son compteur électrique. Il n’y a pas eu beaucoup de vent cette nuit et l’éolienne sur la pelouse n’a pas produit assez d’électricité, de plus avec l’hiver, les piles photovoltaïques ne produisent pas grand-chose non plus. Il aura juste assez dans les batteries de sa voiturette électrique pour faire les courses à Barvaux et revenir, en espérant qu’il n’y aura pas de retard à cause d’un contrôle policier ou d’une tempête de neige. Ce n’est pas aujourd’hui qu’il pourra repasser ses chemises. Avec un peu de chance, il aura assez de jus pour lire avec une ampoule. Il ne compta pas en avoir assez pour la TV, pour un DVD ou pour son ordinateur.

Marc était fier de ses installations. Tout de suite après le désastre de Copenhague, il a investi dans son indépendance. Heureusement car, deux ans après, le prix de l’essence a doublé, pic du pétrole oblige, puis l’électricité, pic de l’uranium oblige, et ensuite ils ont été rationnés, finalement, ils ont été supprimés ; en effet en tant que non productif il n’y avait plus droit.

Il se régalait d’avance. C’était son seul jour de la semaine où il avait droit à la viande. Il salivait déjà à l’idée de ramener un steak. Mais un morceau de jambon, ou encore un peu de salami ou de pâté sera encore délicieux. Ce jour-là il ramena une huitre. Les pêcheurs avaient dépassé l’hécatombe de 2011 et 2012, quand Arcachon a perdu toute sa récolte parce que leurs parcs ne présentaient pas assez de biodiversité.

Il se remémorait, comme chaque semaine, le premier steak au poivre qu’il a gouté dans sa vie, la fondue bourguignonne qu’il a mangé avec ses enfants en Hollande, les côtes d’agneau de Joseph, le gros barbecue pour les 60 ans de sa femme avec tous les enfants et petits-enfants, la dinde à Noël. Tout lui manquait : le goût dans la bouche, la convivialité, les préparations enjouées et surtout cette certitude implicite que tout cela resterait possible, que le futur serait une continuation ou un mieux, une amélioration du présent.

Parce que Marc a eu une belle vie. Il a voyagé, il a travaillé et il a vécu en Asie, en Europe, en Afrique en Amérique. C’était une vie d’aventures sur un mode bon bourgeois. Ses souvenirs riches et variés meublaient ses journées. Dans l’inaction et la solitude, il se forçait à se rappeler le plus possible, les magasins et les restaurants, les collègues et les amis, les projets et les idées même et surtout si elles étaient dépassées, les succès et les ratés. Il se souvenait surtout de sa progéniture. Il les voyait par Internet, quand il avait assez d’électricité. Le voyage jusqu’à Bruxelles, Londres ou Amsterdam était devenu trop cher tant pour eux que pour lui. Cela faisait trois ans qu’il ne les avait plus serrés dans ses bras.

Toute sa vie active, il a abusé de ce que la terre nous donne. Toute sa vie il a supposé que cela n’allait jamais s’arrêter. Mais les ennuis ont commencé quand le réchauffement a dépassé les trois quart de pourcent. Les politiciens continuaient à se chamailler sur des dixièmes de pourcents, confiants que rien ne pourrait se passer avant d’atteindre les 2°. Mais le manque de biodiversité a fait que tout a basculé avec ce réchauffement pourtant limité.

Un virus des plantes s’est propagé partout. Les microbes qui l’empêchaient normalement de pulluler ne pouvaient plus rien faire à cause de la chaleur. Les champignons et les levures qui auraient pu prendre la relève avaient disparu quelques années plus tôt. Presque tous les plants de blé ont été tués par ce virus, parce qu'ils se ressemblaient trop génétiquement. Partout dans le monde, la production agricole s’est effondrée. Le paysan du champ voisin a perdu toutes ses vaches et laisse ses prairies en jachère. Marc avait envisagé de ne pas manger de viande un jour par semaine pour participer à l’effort général, mais il a été forcé, comme tout le monde à passer à un seul jour avec viande. Des braconniers ont éliminé en trois mois tous les lapins, oiseaux et écureuils du petit bois voisin. Marc soufrait chaque jour de l’absence de cette faune dont il avait toujours joui bien qu’elle fut peu visible.

L’économie mondiale ne s’était pas encore remise de la crise de 2008, que ce choc agricole l’a complètement détruite. La rareté du pétrole et puis de l’uranium n’ont pas aidé. Et l’économie ne s’en remettait pas, bien au contraire. Il n’y avait plus de tourisme à Durbuy, nulle part ailleurs non plus. Si l’Europe avait encore maintenu un minimum de vie publique, de nombreuses autres régions du monde avaient sombré dans une anarchie effrayante. On en voyait parfois des images sur Internet ou à la TV mais il n’y avait plus de contact régulier.

Chaque jour, Marc se reprochait de ne pas avoir assez fait. Il avait pensé joindre un groupe ou un parti. Il ne l’a pas fait. Il avait pensé organiser l’un ou l’autre boycott. Il ne l’a pas fait. Il a considéré pousser le comportement écologique. Il ne l’a pas fait. Il a laissé aux autres le soin de sauver l’avenir de ses enfants et petits-enfants. Ils ne l’ont pas fait.

Ce soir là, Olivier le médecin, appela Marc : « Nous avons trouvé des receveurs parfaits pour tes organes, si tu le veux, nous pouvons tout régler demain ».

Janvier 2010

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Style : Nouvelle | Par Grand-Père | Voir tous ses textes | Visite : 686

Coup de cœur : 11 / Technique : 8

Commentaires :

pseudo : féfée

Anticipation très efficace. Belle prise de conscience. Ca fait peur... Mais c'est le but je suppose. CDC

pseudo : Cécile Césaire-Lanoix

Eh bien ! cette nouvelle fait froid dans le dos, tellement elle paraît réaliste. La chute est tout simplement géniale. Bravo ! Cdc.

pseudo : BAMBE

Un écrit, que l'on voudrait surréaliste, terriblement palpitant et quelle chute, en effet !!!! CDC

pseudo : Grand-Père

Merci pour les compliments. Cela a fait peur, mais cela vous a-t-il poussé à une action?