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Le Visiteur par Grand-Père

Le Visiteur

Le Visiteur

C’était une de ces agréables soirées d’Août. La canicule de midi commençait à se résoudre dans la fraicheur de la nuit. J’étais sur la terrasse à lire mon journal. La folie des OVNI était devenue un souci national. Le Soir y consacrait toute une page. Les nombreuses observations d’OVNI à Durbuy aient fait la joie des hôteliers locaux. Elles emmenaient un surplus de clients bienvenu à la fin de cette saison assez quelconque. Moi, je n’ai rien vu mais dans tous les magasins et sur toutes les terrasses on ne parlait que de cela. Mon quotidien mêlait les observations objectives, les opinions, les exagérations et les explications plus ou moins scientifiques, plus ou moins farfelues. Les années lumière étaient utilisées comme la plus normale des mesures. C’est un sujet qu’il est difficile de traiter à froid, calmement, rationnellement.

Un énorme essaim de corneilles apparu au dessus-du petit bois. Il devait y avoir cent ou mille oiseaux. Il y en avait trop pour estimer. Les chauves souris quittèrent notre grenier et  commencèrent leurs rondes infernales bien trop tôt dans la journée. Hitchcock en aurait fait quelque chose d’effrayant, pour moi c’était un spectacle grandiose.

Corry, ma femme, m’apporta un verre de jus d’orange. J’aurais pu aller le chercher moi-même mais c’était bien agréable de se faire gâter. Elle admirait avec moi la sarabande des êtres ailés, quand elle me dit : « regarde un gosse arrive sur la pelouse ». Je me mis à jurer, « encore un touriste qui se perd et piétine les champs et les forêts ». Il devait avoir 12 ans et portait un déguisement brillant. Il titubait et avançait difficilement. Il tomba sur notre pelouse. Tous deux, nous oubliâmes notre rage et nous nous précipitâmes vers le gosse, autant que notre âge nous le permettait.

Je le pris dans mes bras. Il était bien léger et je n’eu que peu de peine à le porter dans notre salon et le déposer sur notre canapé. Il était inconscient. A travers son casque cassé, nous vîmes un visage pâle, blanc avec des reflets bleus. La forme et la position des yeux, un nez très plat me firent croire que l’enfant avait échappé à un accident grave et que des chirurgiens esthétiques essayaient de le retaper tant bien que mal. Corry lui enleva le casque morceau par morceau. Il était complètement chauve et les reflets bleus étaient bien plus prononcés sur son crane. Je laissai Corry lui enlever son uniforme déchiré, aussi pièce à pièce. J’ai béni à ce moment le sens pratique de ma femme, parce que moi, j’étais prostré, comme épuisé d’avoir porté le petit à l’intérieur et ne pouvait faire quoi que ce soit pour l’aider. La position des bras et des pieds me conforta dans ma supposition. Je me mis à plaindre le pauvre gosse.

Et puis nous vîmes les mains, avec 4 doigts très longs et un crochet au bout. Il avait sur tout le corps des boursoufflures de matière bleue, bleue intense, comme le sang coagulé est un rouge intense. Corry aussi se rendit compte de l’anormalité de cet être et cessa ses activités. Lentement nous nous sommes rendus à l’évidence et nous avons accepté que nous avions un extra-terrestre dans notre salon.

Je vis Corry, qui est toujours plus prévoyante que moi, devenir de plus en blême. Elle envisageait des scenarios possibles, surtout les plus néfastes. Avait-il des armes ? Impossible de le savoir. Quelle était sa force ? Pouvait-il d’une chiquenaude nous renverser ou pire, nous tuer. Avait-il une morsure empoisonnée ? Ses crochets étaient-ils dangereux ? Nous pensions « il », mais était-ce une femme ? Et de toute façon, la différence mâle/femelle, avait-elle le même sens pour son monde que dans le nôtre?

Il fallait le soigner. Je me remémorai La Guerre des Mondes (H.G. Wells) et les bactéries terrestres qui eurent raison des envahisseurs venus d’ailleurs. Il fallait être prudent. Je pestai d’avoir toujours été aussi mauvais en chimie. Il est évident que note hôte respirait l’oxygène, mais notre air en avait-il trop ou trop peu pour lui ?  L’azote de notre atmosphère lui était-elle néfaste ? Les traces d’hélium qui s’y trouvaient pouvaient-elle le mettre à mal ? Et les poussières ? Et toutes les crasses que notre civilisation y a mises ? Je voyais mon verre de jus d’orange sur la terrasse. Pour lui, étais-ce aussi bénéfique que pour moi ? Était-ce un poison ? Il avait clairement des plaies, là où son sang bleu s’est coagulé. Pouvons-nous les nettoyer avec de l’alcool, avec du mercurochrome, avec de l’iode ?  Même de l’eau distillée, aussi neutre que possible pouvait être un danger pour lui.

Evidemment nous n’avions pas d’eau distillée à la maison ; même pas de l’eau en bouteille, uniquement de l’eau du robinet de notre bonne Société Wallonne de Distribution d’Eau. Je ne savais pas si j’avais le temps d’aller chercher de l’eau distillée, j’ignorais où, sans doute à Marche, à 20km d’ici. Nous décidâmes de prendre l’eau dont nous disposions. Avec des pansements aseptisés nous nous mîmes à nettoyer son corps délicatement, en réfrénant le dégout qu’il nous occasionnait à certains moments. Lentement nous épongeâmes son visage.

Quand l’éponge passait près de sa bouche, une longue langue sortait de sa bouche pour happer un peu d’humidité. Corry comprit vite et versa un filet d’eau directement dans la bouche. Des changements dans sa situation se firent voir, ses yeux se mirent à rouler dans tous les sens, son visage devint mobile, ce qui le rendit encore plus effrayant, son torse bougea, ses mains s’agitèrent, ses pieds gigotèrent. Il émit un son très aigu, qui nous fit mal aux oreilles. Les corneilles passèrent en rase motte au dessus de notre maison ; l’une d’elle s’abîma contre le verre de la porte-fenêtre. Les chauves souris aussi se mirent de la partie.

Enfin, il n’était pas mort, il vivait. Corry et moi nous en fûmes heureux. Nous avions réussi. Nous n’avions pas fait grand-chose, il est vrai, mais l’aventure nous avait demandé beaucoup. Et maintenant quoi. Le petit gars était sur notre divan à récupérer, c’est clair. Mais que faire ensuite ?

Je me remémorai les films de science-fiction américains avec la phrase « bring me to your leader ». Je téléphonai au bourgmestre. Quand je lui ai dit que j’avais un visiteur d’un autre monde, il me répondit qu’il en avait marre de ces histoires ; depuis trois semaines il ne faisait que répondre à des questions idiotes et paraître dans des émissions TV de plus en plus surréalistes. Ce n’était pas le mois d’avril et s’il avait aimé les horodateurs humanisés, cette blague-ci était d’un très mauvais gout. Je ne pouvais pas lui en vouloir, j’avais trop manié l’humour dans le passé. Je regrettai son refus car son expérience de vétérinaire aurait pu être utile.

J’approchai alors l’autre pouvoir, une journaliste qui, dans le passé avait profité de mes tuyaux ; elle fut tout aussi négative. Le sujet est déjà usé depuis quelques semaines, elle ne travaille que dans le réel et mes élucubrations pseudo-scientifiques ne l’émeuvent pas. Dommage. Et je n’avais pas d’appareil photo ni de web-cam pour fixer ce phénomène unique. J’essayai de toucher Vincent. Il me devait une fleur ; bien qu’il m’en ait déjà rendu tout un bouquet je lui téléphonai quand même. Mais il était absent. Finalement j’obtins Jean-Paul au bout du fil. Je lui demandai d’aller dans mon bureau, d’y prendre ma camera et de venir nous l’apporter, sans lui expliquer quoi que ce soit. Il me promit d’être chez nous quelques heures plus tard. J’ai dû me contenter de ce délai.

Un claquement régulier venait du divan. Je me rappelai l’espace à une dimension de mon professeur Libois. Automatiquement je tapotai sur la table du salon au même rythme. Le claquement s’arrêta. Moi aussi je cessai. Il reprit. Mon tapotement aussi. Il était clair que le bruit venait du blessé. Nous communiquions. Il claqua une fois. Je répondis. Puis deux, puis trois. Nous nous créions une grammaire. Puis il claqua encore une fois et tendit le bras vers Corry. Je tapotai une fois et tendit mon bras vers Corry. Il claqua deux fois et tendis le bras vers moi. Je suivi. Puis il claqua trois fois et se montra lui-même. Quatre fois pour l’eau. Nous nous créions un dictionnaire. Il défini comme cela une vingtaine de mots pour désigner des objets du salon. J’avais besoin d’un papier et d’un crayon pour noter ces définitions. Lui pas, il retenait tout cela, semble-t-il sans effort.

Tout à mes exercices linguistiques, je ne me rendais pas compte du temps qui passe. La nuit était tout-à-fait tombée. Et Jean-Paul n’était pas encore arrivé.

Il y eu alors un grand charivari. Les corneilles et les chauves-souris volaient dans tous les sens. Des bruits forts résonnaient dans la maison, des cris stridents nous faisaient mal aux oreilles. Quand le calme fut revenu, nous étions seuls, Corry et moi. Notre visiteur était parti, sans doute emmené par les siens. Il ne nous restait qu’une feuille de papier avec 20 mots, une fiole d’eau et des pansements avec des taches bleues.

Encore aujourd’hui Jean-Paul pense que je lui ai fait une farce en le faisant venir pour rien.

Novembre 2009

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Style : Nouvelle | Par Grand-Père | Voir tous ses textes | Visite : 539

Coup de cœur : 9 / Technique : 7

Commentaires :

pseudo : BAMBE

sympa cette rencontre, bienvenue parmi nous Grand-Père et coup de coeur pour ta nouvelle.