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Mon monde par lubomir

Mon monde

Il ne me manque qu’une malheureuse pièce pour remplir ma mission, un simple sou pour atteindre mon but, une maudite piécette pour réchauffer mon corps, un petit bout de ferraille pour reposer mon cerveau, une ridicule petite pièce jaune pour égayer mon gosier et par la même occasion mon cœur.
D’habitude, à cette heure là, je vois déjà le fond de ma bouteille et mon breuvage économe me procure mon évasion quotidienne.

Que se passe-t-il aujourd’hui ? Pourtant, je n’ai apparemment pas de nouveau « concurrent » dans mon secteur. Les gens sont-ils encore un peu plus mauvais qu’hier  ou suis-je un peu plus répugnant que la veille? Certainement un mélange des deux.

Le manque commence à se faire sentir, il est à la fois physique et mental. Mes mains tremblent légèrement, je sens un certain stress m’envahir. Quel est le moins belliqueux de tous ces moutons qui va me venir en aide ?

Je les hais tous ! Du petit enfant au vieillard en passant par la femme d’affaires moderne. Pourtant, tous ces moutons sont différenciables. En effet, Il y a plusieurs catégories d’ « individus » dans ce monde, ou si vous préférez dans mon monde.

Il y a le snobinard sortant des magasins prestigieux de la grande rue qui ne croise jamais mon regard. Je n’existe pas pour lui, je ne fais pas partie intégrante de son monde, réciproquement il ne fait pas partie du mien. Il ne m’est d’aucun intérêt, car il ne m’aide pas financièrement à survie. Tout comme je ne lui suis d’aucune utilité, puisque je ne contribue pas à renflouer ses caisses.
Paradoxalement, je me sens plus proche de cette personne que du reste de la population. Lui et moi connaissons ce sentiment de solitude, ce sentiment d’appartenir à une race à part, certes pas pour les mêmes raisons.

En dévisageant certains membres de cette espèce, j’ai pu lire dans leurs yeux ce sentiment d’exclusion que je peux retrouver chez mes camarades d’infortune. Mais croyez moi quand je vous dis que je ne plaints pas ces gens là ! Je n’oublie pas que ce sont ces chiens qui tirent les ficelles de ce système qui fait perdre sa signification, chaque jour un peu plus, au mot Humanité.

S’ensuit le BG comme nous les surnommons mes acolytes alcooliques et moi-même. Le bourgeois généreux. Celui qui nous adresse toujours un sourire à mi-chemin entre le dégoût et la compassion quand il nous glisse une pièce. Celui qui se dit écœuré par les gens de sa classe sociale qui ne viennent pas en aide aux plus démunis. Celui qui dénonce l’odieux système capitaliste dans lequel nous vivons mais qui profite pleinement de ses privilèges. Celui qui voyage officiellement à titre humanitaire mais ne fait rien de concret.

Ses tendres paroles ne sont que venin et sa gentillesse n’est que façade. Son hypocrisie n’a pas de limite. Pour preuve, j’ai remarqué que ce dernier possède une générosité débordante lorsqu’ il est accompagné d’une charmante femelle. Je le déteste par-dessus tout au monde.
Lors de la révolution j’empalerai sa tête et la donnerai à manger aux chiens ! Mais cette révolution tarde à venir. Elle ne viendra certainement jamais. Pourtant ce n’est pas faut de l’avoir imaginé. Lorsque j’ai englouti mon litre quotidien et que le « sang du Christ » a atteint mon cerveau, je me vois courir à travers la ville, torche à la main, incendié les magasins, les banques, les bijouteries, les commissariats de police. Puis tout à coup l’effet de ma potion s’estompe, vaincu par le froid et je m’aperçois que rien n’a changé.

La classe moyenne comme on l’appelle, constitue la troisième catégorie d’individus. Généreuse à l’approche du plus grand étalage de bouffe de l’année, communément appelé Noël, pour se donner bonne conscience. La première à critiquer les riches et les gens aisés mais prête à se « pencher »devant ces derniers. Au final, ils n’ont qu’un objectif en tête, leur ressembler. Pour cela ils sont prêts à faire preuve d’un individualisme digne des gens de la  « haute », ceux qu’ils prétendent tant détester.

La dernière classe d’individus est composée de ceux que je qualifie de « naïfs ». Ces personnes, seulement ces derniers méritent ce titre, ont toujours un sourire sincère à mon intention. Leur regard est rempli de honte et de tristesse quand leurs yeux leur fait prendre conscience de ma déchéance. Il n’est pas rare qu’un membre de cette « tribu » s’arrête pour parler avec moi ou m’apporte un repas. Ces gens n’aiment pas ce système dans lequel ils vivent, mais je leur reproche de le cautionner en s’y adaptant. Attention, il ne faut pas s’y méprendre, cette « race » ne représente qu’une minorité en voie de disparition.

Je garde espoir que le « Bon »Dieu, quand il ne restera plus qu’un seul de ces êtres aimant, lui confiera la tâche qu’il avait jadis confiée à Noé. J’espère pouvoir trouver refuge dans cette arche moderne auprès des animaux. Car au fond, je ne suis pas différend de ces derniers, la seule chose qui fait de moi un « Homme » et me diffère des bêtes est mon addiction à l’alcool.

L’alcool justement, de longues minutes passées à divaguer et mon « sauveur » n’est toujours pas venu mettre fin à mon calvaire. La pression devient de plus en plus pressante. Je pompe les mégots les uns sur les autres. Je n’avais encore jamais ressenti cette situation de manque depuis que je suis un vagabond.

Voilà un BG qui arpente ma rue. Il approche avec son béret fixé sur la tête, son petit blouson beige, son Tchador lassé autour du cou et sa « putain » accrochée à son bras. Je fixe son regard, ce fils de lâches le détourne. Il va passer devant moi sans sortir le moindre centime de sa poche. Je ne peux pas laisser passer pareil aubaine. Inconsciemment mon bras se tend dans sa direction. Le couple s’arrête devant moi. Ca y est, j’ai passé un cap. Je suis devenu un véritable mendiant. Je possède mon petit chapeau en guise de caisse mais je n’avais encore jamais tendu le bras. Je me suis rabaissé devant ce chien pour pouvoir assouvir mon vice.

Il m’adresse un sourire de serpent tout en mettant sa main à la poche. Sa garce me dévisage et me dit d’une voix chantante :

« Vous allez bien Monsieur ? »

« Oui très bien espèce de dinde, tu ne vois pas que je mène la vie dont j’ai toujours rêvée ? ». Ces paroles ne sont évidemment pas sorties de ma bouche.

 « Oui, on fait aller mademoiselle, merci. »

Le BG me tend quelques grosses pièces. Je hoche la tête en guise de remerciements.

«  Prends soin de toi mon ami! » me dit-il en s’en allant.

Mon ami ? Si tu savais comme je te hais. Au moins grâce à tes maudites pièces, dans quelques minutes je vais pouvoir te trancher la tête et incendier la ville entière !

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Style : Nouvelle | Par lubomir | Voir tous ses textes | Visite : 596

Coup de cœur : 14 / Technique : 11

Commentaires :

pseudo : féfée

Point de vue très intéressant, et réelles qualités de narration. Si c'était un livre, je courrai l'acheter !

pseudo : BAMBE

D'accord avec Féfée pour la qualité de l'écrit comme pour cette vision particulière d'un "autre" monde. Bienvenue et Coup de cOeur