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Le secret des amandiers par chantal adam

Le secret des amandiers

— Bonjour Commissaire, cette affaire est des plus délicates, ne soyez pas surpris si je reprends du service, m’assisterez-vous ? dit-elle en souriant.

Le jeune stagiaire, lui, en était à sa première intervention sur les lieux d’un crime. Timoré et encore maladroit, il cherchait du regard un endroit pour déposer une caissette qui contenait des fioles et la serviette de cuir marron du Docteur Martínez. Son choix se porta sur une chaise branlante qui traînait dans la cour. Il la redressa tant bien que mal. La légiste sortit de la sacoche une paire de gants et un tablier, un genre de grand sarrau blanc sur lequel elle superposa un gilet de toile cirée verte.

Ils se dirigèrent vers la plus petite des constructions où deux inspecteurs du laboratoire de la police criminelle terminaient leur job. Pépé, dit le chauve, un ancien de la boîte, souriant et décontracté, il semblait être le plaisantin de service. Son collègue, plus jeune et nettement plus réservé répondait au surnom de : Alf. Lena Martínez échangea quelques mots avec le chauve qu’elle connaissait de longue date. Une odeur ignoble de viande pourrie et d’excrément envahissait la pièceAu faîte du versant de toiture, la tabatière renvoyait les reflets vert métallique des pionnières : les Calliphoridés. Leurs cousines, plus petites et de couleur sombre, communément dénommées «mouches à fromage» volaient maladroitement çà et là.

Le docteur Martínez dodelina de la tête :

— Je hais les mouches !

Le corps, couvert d’une natte de raphia, gisait sur le sol. Elle dut attendre avant de s’approcher que les hommes du laboratoire terminent leur travail. Une perquisition laborieuse et gênante vu l’exiguïté et le nombre d’objets entassés sur les lieux ; une série impressionnante de casiers de bois superposés à hauteur de toiture, trois anciennes commodes aux tiroirs sans fond ou impossibles à faire coulisser… Ils avaient découvert sous une caisse à légumes un immonde paquet ; les organes de Torrès. L’intestin dépecé, l’estomac, le foie et la rate grouillaient de vermines. Des larves plus grosses avaient quitté le magma sanguinolent, elles achevaient leur transformation à même la terre.

— La place est à vous, docteur, lança le chauve en esquissant une courbette.

La puanteur s’intensifia lorsque la légiste souleva la natte de raphia. Le corps putréfié, complètement nu était allongé sur le côté gauche, dans une forme fœtale, les genoux presque sous le menton.

Elle détourna la tête :

— ô ciel ! on a beau être blindée !

Les mouches fossoyeuses avaient entrepris leur travail d’anéantissement. Le corps pullulait d’asticots de toutes tailles. Certains rampaient s’agglutinant en amas, d’autres progressaient en sautant. La tête n'était plus qu'une masse informe. Les grappes coniques d’œufs blanchâtres s’étaient agglutinés dans les orifices naturels, l’oreille droite en était farcie. Des cocons de couleur pâle se logeaient dans les cheveux.

Lena Martínez céda la place au photographe et chercha du regard le jeune stagiaire.

— Je crois qu’il dégueule dans la cour, annonça Esteban qui avait conservé son sang froid.

La légiste examina le cadavre, en silence pour se donner le temps de réfléchir. Ses joues étaient écarlates et de grosses gouttes de sueur suintaient sur son front.

Un cri aussi brusque que pénétrant inonda l’espace. Elle vacilla. Sans doute serait-elle tombée vers l’arrière si Esteban ne l’avait retenue. C’était Alf, il se tenait l’estomac d’une main et éructait bruyamment.

¡ Madre de dios, madre de dios1! balbutia-t-il en jetant un regard atterré à Esteban.

Martínez, saisie par un sentiment de dégoût, frissonna. Une sensation surprenante qui lui était devenue étrangère depuis bien longtemps. Elle en fut quelque peu gênée. Elle se reprit quand Esteban, faisant montre d’un détachement total, lui demanda d’un ton qui frisait l’insolence :

— Auriez-vous déjà une idée de l’intervalle post mortem, docteur ?

D’une certaine façon Martínez tira parti de l’arrogance du commissaire lorsqu’elle fit valoir fermement l’autorité qui était la sienne et qu’en aucun cas cet homme plein de suffisance ne pouvait tolérer.

— Commissaire, ne brûlons pas les étapes. D’abord, nous allons récolter des échantillons de ces charmantes bestioles, exigea-t-elle, certaine qu’elle allait agacer son égo.

A l’aide d’une pince, elle préleva sur la chevelure un cocon brun.

— Ce spécimen qui semble tellement identique aux autres présente une ouverture. Ce qui signifie que l’insecte parfait s’est développé sur le cadavre. Par cette chaleur, je dirai que l’insecte a besoin de deux à trois jours pour passer de l’œuf à l’imago. Cependant…

Le commissaire Esteban l’apostropha avec encore plus d’impertinence :

— Cependant, quoi ?

— Il s’agit de déterminer si nous sommes en présence de la première génération, commissaire, répondit-elle avec maîtrise. Je vais demander une expertise entomologique.

Elle ramassa à l’aide d’un pinceau humecté d’eau une petite quantité d’œufs. Elle les plaça dans un flacon contenant un morceau de foie de bœuf qu’elle couvrit d’un essuie-tout retenu par un élastique. Méthodiquement, elle préleva ainsi des spécimens représentant chacune des étapes du développement larvaire. Elle fit alors, avec l’aide d’Esteban lentement basculer le corps sur le dos. On entendit alors le «Oh !» étouffé et le «¡No es posible1 qu’extériorisa le stagiaire en se portant la main à la bouche. Le chauve poussa la tête par-dessus l’épaule du commissaire. Julio Torrès avait été émasculé. Le pénis sectionné à la base, bandeletté de toile de lin avait été glissé entre ses genoux.

Le scrotum et les testicules avaient disparu. L’abdomen présentait, sur le flanc gauche, une incision de treize centimètres allant des dernières côtes à la crête iliaque. Les viscères avaient été retirés par cette incision. La cavité avait été lavée.

Martínez inclina lentement la tête du cadavre vers l’arrière, toiletta le cou avec un pinceau plus gros.

— Tiens, tiens, il semblerait que notre dépeceur ait été dérangé, il n’a pas fini son travail.

Esteban fulmina :

— Que voulez-vous dire, docteur ? Je suis en droit d’obtenir une explication.

— La présence d’hématomes autour du cou laisse à penser que la strangulation a été violente et réalisée à mains nues. Les vertèbres cervicales ont été forcées dans leur emplacement sans doute suite au basculement de la tête par les pouces du meurtrier. Le diaphragme est cassé, la trachée et l’œsophage ont été sectionnés post-mortem au niveau du cou, probablement avec l’intention d’extraire les poumons mais, ceux-ci sont restés en place. Le crâne ne présente apparemment pas de trace d’excérébration.

Elle ôta rapidement ses gants.

— Mon rapport circonstancié sera transmis après autopsie et résultat de l’expertise entomologique. Esteban protesta énergiquement.

— Aucune remise en question de vous-même, Commissaire ? Ne vous en déplaise, la situation est sous mon contrôle affirma-t-elle en dégrafant sans trop de difficulté son sarrau.

— Vous ne m’appréciez guère, n’est-ce pas Lena ? Pourquoi tant hostilité ?

— Effectivement, je ne vous aime pas. Vous êtes une espèce de pervers narcissique. Bah ! empli de suffisance. Cela vous dépasse de devoir vous plier à mon autorité, vous n’avez pourtant pas d’autre choix mon ami.

Elle quitta les lieux en sentant sur elle le regard empoisonné de Jaime.



Mère de Dieu, Mère de Dieu !

Ce n’est pas possible !

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Style : autre | Par chantal adam | Voir tous ses textes | Visite : 830

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Commentaires :

pseudo : briyor

Bonjour !une tres belle narration,une histoire où l'élément féminin semble coriace pour une scène qui nous bouffent les tripes apres avoir bouffé (celles )de la victime!bon courage.