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La lettre que je n'ai jamais reçue.. par VIVAL33

La lettre que je n'ai jamais reçue..


La lettre que je n’ai jamais reçue…



                                                                                               

                                                                                     Kerguelen (*), le 38 février 2010

" Bonjour V.

 

J’ai hésité longtemps à t’écrire.

Et laissé l’eau salée délaver les mots trop grossiers.

Coulant de la plume.

Regorgeant, bavant, suintant d’encre.

Avant de les déposer en chapelets de phrases.

Sur cette feuille.

De papier unie.

Comme s’ils avaient le pouvoir d’effacer nos discordes.

Distillant patiemment la pensée dans l’alambic.

En gardant le meilleur des alcools.

Le plus savoureux.

La pensée amoureuse.

Je ne sais toujours pas si tu étais une erreur, l’erreur que j’ai croisé. Une belle erreur d’incompréhension.

 

Heurtée.

Bousculée.

Je me souviens du jour, où voulant éviter quelques malheureuses gouttes sur tes cheveux, tu as cru bon de t’armer de ton redoutable  parapluie, t’y accrocher, alors qu’il se retrouvait pris dans une bourrasque incontrôlée. Déformé. Ridicule. Les baleines pliaient, sans plus aucune aiguillette, tordues par ce soudain déchaînement.

Elles ont été brisées, laissant la place à des morceaux de ferrailles informes et blessants. De simples armatures métalliques.

Détruites.

 

Nous nous sommes embrassés.

La face voilée par nos illusions.

Drôle d’entrevue au milieu de toutes ces pièces d’étoffe qui s’agitaient tels des fantômes.

La rencontre ?

Seuls nos chemins se sont croisés.

Et nos corps remarqués.

Cruel amour.

 

Pour ma part, je continue.

A marcher.

Souvent seul.

Encore.

Je continue à déambuler.

Toujours.

Je cherche.

J’aime aller sur les sentiers peu empruntés.

Y laisser la trace de mes semelles.

Car c’est là, un peu de mon secret.

Ne pas poser les pieds sur des sols trop piétinés.

Si communs.

Préférer les terres peu foulées, défrichées.

Pour la débusquer.

Car je la recherche toujours, et je me dis que c’est là que je la trouverai.

Que je l’attraperai.

Celle qui me hante.

Ma muse.

L’étoile extraordinaire de mes sentiers.

Ma bouffée de joie.

L’impulsion.

Ma flamme magique.

Dans cette vie où les gens sont trop conditionnés par leur environnement.

Peu importe son nom.

Je n’ai de cesse de rester debout.

J’en userai mes souliers.

Je le sens.

Ma quête..

 

Aujourd’hui, je suis prêt à partir les pieds en sang.

Les pieds devant.

Et quand les vers parviendront jusqu’ à ma chair, l’ingèreront, effaceront les traces de ma lente décomposition, Damnation ! Putréfaction. ! je partirai alors les os à nu, devenue âme errante, allégé de mes viandes, mon squelette courra vers elle, une chimère qui s’est déjà jouée de moi et m’a éperdument, mais si délicieusement abusé. Demain, je crois bien que j’y laisserai ma vie…

 

 Oh, un instant, quelques secondes, quelques semaines si féeriques, c’est vrai, je t’ai prise pour cet autre féminin que je recherche.

Alors, bien entendu, je ne pouvais qu’acquiescer à ce que tu m’avais demandé : de la sincérité… Car on ne refuse rien à sa muse, on n’en a pas le droit, hein? de peur qu’elle ne se volatilise, et je croyais pouvoir y parvenir avant  que tu ne t’enfuies, car tu possédais un peu de sa magie, non ? tout semblait si idyllique.

Je t’ai dit que je ne mentais jamais? mais qu’est-ce-que « jamais », je ne le sais même pas moi-même, une notion tellement irréelle dans un monde aussi concret. C’est comme ce « toujours » contraire à la réalité de nos vies, entravant nos transformations. De ces mots qui figent et stupéfient les simples mortels.

Je t’ai dit que je n’avais qu’une parole ? oui, mais là aussi, elle s’adapte, à l’instant : car elle vit.

 Je t’ai dit que tu pourrais compter sur moi, et je le pensais sincèrement, au début…

Oui, à l’instant T où je te l’ai dit, oui, je te l’ai dit… mais pas à l’instant Y, quand tu as reçu cette information, non, comprends-tu ? c’est trop tard l’instant Y, mais  je t’ai dit… oui pour l’instant T… je te l’avais dit… oui

 

C’est ainsi que, confiante, tu as pénétré mon monde.

Que tu m’en as voulu.

Après.

Comme si je t’avais imposé un choix.

Le sacrifice de tes désirs, pour que tu lui ressembles.

( Et je ne te l’avais « jamais » demandé…)

Tu t’égarais, t’enlisais sur ton propre chemin. Alors que moi… beaucoup me suivent. Car j’ai un énorme pouvoir de conviction, de suggestion. Hypnotique. Vivant si aisément dans la matière.

 

 

C’est ainsi que tu as pénétré dans mon monde, innocente, oubliant de te boucher les oreilles.

A trop écouter les autres, les petites jalouses, les grosses mesquines, les grandes tricheuses, et les pires, les « bien sous tous rapports », celles qui déversaient leurs venins, insidieusement, celles qui te confiaient ce que tu n’avais pas besoin de savoir, celles qui voulaient te sauver de mes griffes.

Curieusement, au moment où je t’écris, elles sont toujours présentes à mes côtés. Où est l’erreur ?

Elles continuent de me flatter. Calculatrices. Connaissant mes faiblesses. Menteuses. Me disant le contraire de ce qu’elles répandent dans l’ombre, ces manieuses de mots, les profiteuses. Mais officiellement, elles me soutiennent, et m’approuvent, alors...

J’ignore ce qu’on a pu te dire, et qui n’a fait qu’accroître, amplifier ta colère, jusqu’à la faire déborder… Mais là, tu as fait preuve d’une très grande naïveté…

 

 

Maintenant, vois ton cheminement.

Es-tu enfin décidée à utiliser  ton discernement ?

Voir les faux amis?

Ce champ d’expériences, à la croisée des chemins… où je t’ai conté fleurette, un parcours fait d’erreurs initiatiques, d’ illusions, une forêt enchantée. Tu l’as traversé comme une toute petite enfant, trébuchant contre des racines mal enterrées, glissant dans les flaques de boue, croisant le fer avec des gnomes malicieux, la course de tes pas rythmée par le bruit des mâchoires claquantes de dizaines d’ogresses affamées, entravée par les paroles de vilaines sorcières ivres de potions, qui ne voulaient que t’évincer… La vie, la famille que tu essayais d’éviter. Car ce ne sont que les pièges de nos vies. De mauvaises histoires qui ne demandent qu’à éclore en nous. Alors qu’il y a tant  de merveilleux contes qui se meurent de ne pouvoir se révéler à nos existences.

Ne te laissant que deux possibilités : mourir, ou survivre. L’avenir t’offrait pourtant d’autres choix. Mais tu t’es laissée aveugler par une envoûtante poudre opiacée. Alors qu’il suffisait d’emprunter un pont, un peu plus loin sur la route, pour éviter ces obstacles… si tu m’avais fait confiance, je te l’aurais montré (mais pouvais-tu me faire confiance ?)

 

Aurais-je quitté mon harem pour toi, cet endroit secret où j’aime à me réfugier?

Difficile de répondre à cette question…. car, vois-tu, dans ce harem, je me dis que ma chimère aime à s’y tapir, qu’elle va enfin se matérialiser.

Un jour, elle prendra longuement possession d’un de ces corps féminins.

Certaines nuits déjà elle s’arrête dans ma demeure, et quand la lune disparaît dans le ciel floconneux, la faible lumière filtrée par les nuages vient baigner de mystère un corps élastique, s’en imprégner… et je sais, qu’en fermant les yeux, celle que je recherche s’incarnera pour quelques secondes… glissant sur les dalles froides, ses pieds gelés, le long de ma peau, et son souffle... pour une aventure d’un soir, je la possèderai. Non je ne vis pas dans l’illusion, ma muse pourra te le confirmer.

 

 

Navré pour tous ces mots violents, destructeurs.

 

Restent quelques très rares et beaux moments, a musants, chimériques. Dans cette obscure forêt.

 

Et admets-le enfin : l’amour ne triomphe pas toujours… car il s’agissait d’amour, non ?… "

 

 

(*): Les îles Kerguelen étaient anciennement appelées "les îles de la désolation"

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Style : autre | Par VIVAL33 | Voir tous ses textes | Visite : 997

Coup de cœur : 18 / Technique : 17

Commentaires :

pseudo : Iloa

Waouh...Un texte profond et si beau ! C'est magnifique...Bravo !

pseudo : monalisa

Vival , c'est grandiose ces mots qui nous laisse démunis devant la puissance du Verbe que tu manies avec talent....

pseudo : VIVAL33

Mille mercis à vous Dame Iloa, Dame mona pour vos commentaires très touchants. Amicalement ;-D

pseudo : alnilam

monalisa l'a si bien écrit, je reste sans voix devant ce talent,quelle force dans cette écriture!coup de coeur !

pseudo : quésaco

Excellent Dame de rang , motus et...,

pseudo : BAMBE

Un texte extraordinaire à lire, à relire, à faire lire ... il parle si bien, si fort, une brassée de coups de coeur s'impose.

pseudo : VIVAL33

Merci à vous alnilam, quésaco, BAMBE pour tous vos chaleureux commentaires. Amicalement;-)

pseudo : malone

gros CDC la belle, j'aime la façon dont tu as mener ton récit, tu sais où tu vas et ça se sent... rien que le titre m'avait emballé, alors bravo et au plaizir demoizelle

pseudo : ficelle

magnifique...

pseudo : nage

J'adore un plaisir a lire et relire .biz amical

pseudo : VIVAL33

Merci à vous malone, ficelle, nage ;-). Amicalement

pseudo : Cécile Césaire-Lanoix

Un texte très émouvant, tout en finesse... Cdc, bien entendu ! Amicalement. ;-)

pseudo : VIVAL33

Merci Cécile! ;-D. Amicalement.

pseudo : ciloum

ça m'a l'air très bien mai ce soir j'ai pas la patience de te lire en entier, je repasse une autre fois amitiés

pseudo : VIVAL33

Merci de ta visite Dame ciloum ;-). Mais je ne te demande pas de faire preuve de patience pour me lire... soit tu en as envie, soit pas ;-). Non? Amitiés.

pseudo : kathleen

Je viens de lire ta lettre et je ne trouve pas les mots qu'il faut. C'est très profond, c'est comme des notes qui vont au plus profond de la sensibilité. Merci beaucoup, amicalement

pseudo : VIVAL33

Merci beaucoup kathleen. Amicalement

pseudo : Vincent Tyman

Juste magnifique. cela me rappelle l'atmosphère de certaines chansons de la chanteuse" roBert". Je viendrai lire lesautres textes lorsque j'aurais la tête moins embrumée.