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La tranche par cinammon

La tranche

Sur le plan de travail, il tranchait une tranche de pain, l’inconnu s’en tranchait une bonne, l’homme se payait une tranche. Il sciait, petit à petit, il découpait, son couteau, le pain. Son couteau dans le pain. Une entaille dans le pain, une brèche pour du pain se défaire. D’une tranche. L’a dérober. La tranche, petit à petit, vient à lui, la tranche. Se prend à ses doigts, droite (quand certains diraient orthogonale). La tranche se fait prendre par ces doigts qui s’en emparent. Sur un côté, il laisse le pain dans son entier. Sur un autre, se pose et vient contempler. Fier de son travail, tout droit qu’il est. Son travail, sa tranche, comme une revanche sur les échecs précédents. Comme un essai enfin réussi qu’on se prend à considérer. Un instant comme lui l’on s’accorde, un instant pour s’arrêter, au bord de la tranche, et au bord contempler. La tranche, qu’y voyons nous? La croûte d’abord, sur la tranche, un premier bord: premier abord, de la tranche. La tranche abordée se laisse parcourir, la tranche. Qui plus est, vaste la tranche. Et riche. Riche de ses dorures, abondante en ses vallons ; ici et là, douceurs et âpretés qui nous mènent ici et là. Vers le haut, vers le bas, ces vallons à n’en plus finir, à n’en plus finir nous les parcourons. La tranche est trop longue, je ne la finie pas. Elle s’étend et ses bosses, ses cavités, ses sinuosités m’enlèvent ici et là. La tranche est pleine qui ne désemplit pas. Elle est plaine, elle est vaine: tout autant que nous la considérons, nous ne la finirons pas. Elle n’est jamais la même, elle se transforme à son premier abord, elle devient autre. Nuages de gouttes pleins qui au moindre souffle s’assèchent, et le vent par-dessus vous s’en va revêche. Tout est là-haut qui ne veut pas de vous comme vous le regardez, comme ça le considérez. Un œil, puis l’autre, puis les deux à la fois. Les nuages ne supportent pas le rayon ardent qui les perce, les blesse, ainsi se font inconstants. Se dérobent au principe même de l’uniformité, de la tranche, de sa perpendicularité: verticale quand on la coupe, et de son parallélisme: horizontale une fois coupée. La croûte ne se joue pas de la tranche, elle se joue de vous, se fout de nous. Elle se dérobe au premier abord. Elle s’en va, et vous amène plus bas. Elle vous laisse là.

Après les nuages, d’eau, de vent, qu’y-a-t-il après tous ces changements? Après de la mie, rien que ça, de la mie. De la mie après les nuages, de cette moelle du pain dont les gamins se font des boulettes? Rien que ça? Seulement ça après les paradis? De la mie, un point c’est tout! De la mie à vous donner, de la mie: à nouveau considérer. Des alvéoles qu’est cette mie, de ces trous tout plein qui vous débouchent plus d’un coin. Vous aèrent cet inextricable espace, cet appareil plus blanc qu’uniforme, cette souplesse d’informe que l’on presse à souhait. La mie est complexe en apparence, grossière dans la truculence de ses trous, la mie s’en fout. A votre abord, s’enfuit. La mie fait passer entre les siens, elle fait tout passer, d’elle-même se passe car d’un trou sort pour dans un autre rentrer. Libre la mie tout autant qu’elle est. Libre comme l’air, ces molécules qui du temps n’attendent pas le signal. S’en vont, reviennent, occupent tout l’espace quelque qu’il soit. S’en vont, reviennent, et ainsi nous font passer. Nous évacuent à leur manière, à leur tour se jouent de nous, comme du temps.

Car du temps, ici, dans le pain, il n’en est rien. Le temps s’est arrêté, dans la tranche il s’est perdu. Qui le retrouvera? A celui qui le fera, à celui qui saura retrouver le temps perdu, à celui-là je lui donnerai un point, un point final (car là est tout ce que j’ai à lui donner). La tranche continue, la tranche, avec nous, sans le temps. Avec le temps, sans nous ; peu importe, tous deux, nous nous sommes perdus de vue. Alors continuons, tout de même. Quand bien l’on égaré le quand, là n’est pas venu le temps de s’arrêter. Ainsi l’on nous fait continuer. La tranche nous continue, la tranche.

Sous la mie, la croûte à nouveau. Sous les limbes (à prendre au plus grand des pluriels), l’on nous passe. Mais sous les limbes, l’on ne trépasse pas. Ce n’est pas encore fini. D’ailleurs, ne vous-ai-je pas dit qu’à la tranche il était impossible de trouver une fin. Ni d’un côté ni de l’autre. De ce côté, la croûte est noire de ce côté. Elle est pauvre la croûte de l’envers. Elle est sale et s’en va vous chasser au diable, du côté du vert. Noire, que dis-je? Maronne! Brouillonne, rien n’est clair. En elle, rien ne vaut: des couleurs à jeter au cachot! Et pourtant, la croûte de ce côté-là, la croûte en bas est lisse, le doigt y glisse. Facilement elle vous amène, vous promène. Car tout est facile ici, peu épais le problème, la matière est vite résolue. D’un coup de couteau la dernière des croûtes rompue! L’Enfer est ici bien sage qui vous laisse au moindre passage. Ne vous retient pas. Alors aussi libre que vous êtes, sorti de la tranche, vous la retournez. La considérez à nouveau.

Le bas n’est plus haut, mais le haut est devenu bas. Vous aimeriez la parcourir à nouveau, mais vous vous dites que les nouveau seront nombreux si vous vous égarez à ce jeu-là. Car de la tranche, il est impossible de trouver une fin. Ce temps là est introuvable. D’ailleurs, à ce jeu-là, le temps est autant égaré que vous l’êtes. Alors, reprenons le temps et le cours des choses. Sinon… sinon, à nouveau une croûte, mais différente cette fois-ci, noire comme le jais, verte comme l’émeraude, lisse bien que sinueuse par endroits, cette croûte-là est un paradis moderne…. Et la mie… Et la… Nous n’en finirions pas. Mais vous êtes bon, lucide avant tout. Vous avez un don, vous élucidez tout. Aujourd’hui est jour, demain sera un autre. Vous reprenez le cours du temps, me le donnez.

Ainsi l’individu s’en va manger sa tranche. Il la tranchée, nous sommes allées, avons retourné. Chemin inverse, point de vue inverse, l’Enfer est devenu Paradis qui s’est fait Enfer. Il a tranché, la tranche s’est emparée de nos apparences, prises nous les lui avons données. Et voilà comment tout s’inverse, comme l’on se laisse emporter par le fil de nos divagations. Interprétations que l’homme d’aujourd’hui doit trancher. Alors ici je tranche, ici je finis enfin, et vous autres, hommes d’aujourd’hui comme je le suis aussi, je vous donne le point. Point d’images, le pain est dans le poing.

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Style : Poème | Par cinammon | Voir tous ses textes | Visite : 319

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