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Sans laisser de trâces. par cymer

Sans laisser de trâces.

Sans laisser de trâces.

 

   Elle avait oublié, elle n' y pensait plus, je ne crois pas que cela lui serait revenu un jour.
Un petit sentier qui serpente dans les prés, où les fleurs des champs parfument la douceur du printemps. Une forêt, profonde et haute, où les arbres enchevêtrent leurs branches. Une montagne, l' air pur et le ciel intense, l' horizon à perte de vue. Un verger fleuri qui renvoi la lumière éclatante du soleil, comme la neige qui recouvre parfois la campagne. Les oiseaux qui chantent sous les toits, les insectes qui butinent, la pluie qui tombe sur les feuilles, le gel qui transforme les étangs, les canards qui cancanent dans les roseaux, tant de choses, tant de liberté qu' elle avait oublié, qu' elle n' avait peut-être jamais connu.

   Elle poussait son caddie, mais pas sur le parking d' un supermarché, au hasard des rues, des sacs plastiques refermés sur ses pieds. Pas d' avenir, le passé, sa jeunesse, ça aussi elle l' avait oublié, elle s' en foutait, elle vivait dans le présent, au jour le jour. Je pense qu' elle s' en foutait pas mal non plus du rejet de la société, de ces regards appuyés, de ces rires et sifflements derrière son dos, de ces insultes parfois. La vie pour elle se résumait à dormir et manger, fouiller les poubelles, trouver un abri pour la nuit, faire des provisions dans son caddie, à vivre comme un animal errant.

   Je l' ai vu marcher, lentement, le regard éteint, noyée dans cette ville immense, dévorée par l' errance, la malnutrition, la maladie peut-être. Des gamins lui lancaient des poignées de gravier accompagnées de grands rires, elle répondit par un doigt levé bien haut et continua son chemin dans l' indifférence la plus totale.

   La ville, la grande ville, celle qui ne dort jamais, celle que même le soleil fuit, la grande ville et les prisonniers qui l' habitent et dont elle se nourrit, le temple de la névrose, de la psychose. Stress et maladies, cancers, il arrive que le jour ne diffuse qu' une lumière jaunâtre, que les voitures allument leurs phares pour se frailler un chemin à travers leur propre pollution. Un fleuve noir et visceux coule sous les ponts et entre les immeubles aux façades ternies, ses eaux charrient du pétrole, cadavres, et déchets en tout genre. Quelques arbres aux feuilles jaunies se meurent au milieu des trottoirs des avenues, embellies par le leurre des enseignes lumineuses. Les magazins, les boutiques, les ondulations incessantes de ces foules de zombies s' y pressent , en délires, pour acheter toutes sortes de choses inutiles, pour consommer, acheter de la bouffe par kilos et la chier ensuite sur le trône ou les chiottes publics. Un monde bien difficile à vivre, j' imagine bien plus encore pour une femme sans domicile fixe.

   Oui, elle avait tout oublié, cela lui évitait les remords, éloignait un peu la dépression. Personnellement, je n' ai jamais pu oublier la campagne, ma jeunesse dorée au milieu des fermes et des prairies, avant que la vie me réduise à néant. A ce moment là, quand vous n' êtes plus rien, que vous ne possédez plus rien, que même votre nom et votre prénom ne servent plus à rien, alors seule cette maudite ville peu vous permettre de survivre. J' ai mon petit coin près d' une benne à ordure, un abri de carton, même une bouche d' égout pour pisser. Nous autres qui vivons dans le rue, on ne nous considère pas, on existe pas, seulement pour nous même, jusqu' au jour où on disparait dans l' ombre, sans laisser de traces ou presque, rien que des marques de pisse ou de merde sur un trottoir.

   Cela fait bien longtemps que je n' ai pas revu cette femme, elle a disparu elle aussi, comme les autres, avalée par la ville, dissoute par la société qui peut se faire trés corrosive derrière son masque de sourire. Je n' ai jamais aimé les clowns, saloperie de faux-jetons. Le ciel jaunâtre s' éteint peu à peu, une nuit de plus dans ce brouillard poisseux, près de cette benne à ordure, de cette bouche d' égout qui renvoie des odeurs d' ammoniac. Est-ce que je me réveillerais demain matin? je n' en sais rien, peut-être que je vais disparaitre moi aussi, peut-être que j' aurais quelques jours de sursis, quelques mois, on verra bien.

 

                                                                            M.A

 

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Style : Réflexion | Par cymer | Voir tous ses textes | Visite : 278

Coup de cœur : 10 / Technique : 10

Commentaires :

pseudo : Karoloth

Superbe! J'applaudis. CDC!!!!!!!!!

pseudo : quelemondeestbeau

C'est... juste magnifique. je te félicite. C'est vrai que la situations des SDF est très préocuppante et vraiment terrible. Combien meurent de froid l'hiver venu ?