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L'épingle et la nourrice par Max-Louis

L'épingle et la nourrice

Epingle à nourrice

Épingle à nourrice - et non épingle de nourrice comme il est écrit dans le dictionnaire - car cette épingle je l'ai barbotée à ma nourrice lors d'un changement de lange à huit mois. Premier chapardage, première émotion de possession (à part le sein maternel). Il est vrai que j'eusse pu me faire épingler pour ce menu larcin, d'une claque sur la fesse tout juste talquée mais la nourrice n'avait pas toute sa tête - elle avait à charge trois autres bambinos qui piaillaient tels des poussins dans une basse-cour sans coq - ne s'était pas aperçue de cette disparition, au premier abord inconséquente et au deuxième abord plus dangereuse quand l'on sait avec quelle rapidité un bambin avale, tout et n'importe quoi, en un clin d'œil. Bref, j'avais enfermé ma précieuse prise dans ma petite menotte à point fermé (nous avons rarement vu un poing ouvert, d'où pléonasme) et comme nous étions en cet été 1976, je me retrouvais dans mon jardin d'agrément personnalisé c'est-à-dire : mon parc d'un mètre carré parmi mes jouets, en lange sans culotte, sur la pelouse de la mère Estrela, ma bien aimée nourrice. Je m'amusais de ma prise comme un chat avec une souris verte ou comme une perche soleil (genre de poisson arc-en-ciel pour les néophytes) qui joue avec l'appât sans mordre à l'hameçon et fait rager le pêcheur du dimanche en culotte courte et maillot de corps où est inscrit en lettres d'argent : " Poisson d'avril ". Ma curiosité satisfaite, j'égarais ce bidule brillant (à cet âge les noms des choses sont inconnus) dans une boite à Cambert, allez savoir pourquoi, qui faisait partie intégrante de mon attirail de poupon. Bien des années plus tard, à l'adolescence, je retrouvais par hasard - et Oh, joie des retrouvailles - mon épingle à nourrice et l'accrochais séance tenante à mon pantalon, au niveau du genou droit. Ma mère - femme de caractère, de discipline et de culture religieuse, qui soit dit en passant a son noviciat à l'abbaye des Sœurs de l'Épingle (aujourd'hui disparue) et insatisfaite d'un célibat après trois années à coudre des robes, à broder des jarretières et à prier un Seigneur aussi muet qu'une carpe (elle n'a pas le don d'une certaine Jeanne), elle tomba l'habit pour un autre, celui d'épouse et de son nouveau nom (cela ne s'invente pas). : De Lépingle, elle s'épanouit dans les bras de mon père, maître tailleur - provoquait une conciliabule restreint entre moi-même et ma sœur. Elle n'était point d'accord (ma mère) que j'invente une nouvelle mode et me priait de remettre mon épingle à nourrice à ma sœur qui en trouverait le bon usage. J'ai du avouer, genou à terre, ma relation historique avec l'objet en question. Ma mère tranchait ! Et ma sœur pris en sa possession, le délit de mon enfance. Piqué au vif par une telle sentence, la larme à l'œil, je jurais, qu'un jour, je reprendrais mon bien. La majorité courait bien lentement à moi. Les années passaient et mon épingle à nourrice était enfermée dans une boîte à bijoux (allez comprendre les filles). Au jour dit de mes dix-huit ans, j'ordonnais par une lettre expresse, la remise illico de mon bien à ma sœur, mariée et enceinte d'un industriel de l'aiguille. Elle ne cherchait point la confrontation et par pli recommandé, je reçu, quelques jours plus tard, mon épingle à nourrice. Depuis ce jour, elle ne me quitte plus.

©Max-Louis MARCETTEAU 2007

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Style : Pensée | Par Max-Louis | Voir tous ses textes | Visite : 1855

Coup de cœur : 12 / Technique : 14

Commentaires :

pseudo : valig patoyea

Merci pour le compliment sur "veille de course". Pour ma part, j'aime la poésie qui plane sur l'épingle, et sur la nourrice, et le touchant attachement de cet enfant pour un simple objet qui signifie pour lui....beaucoup de choses.

pseudo : Brestine

Eh bien, quelle histoire ! Plaisante.

pseudo : scribio

Histoire trés drôle, je me suis bien amusée en la lisant. Merci

pseudo : BAMBE

Un bien piquant "doudou" et une histoire habilement montée en épingle, bravo.

pseudo : chollet mikael

Plaisant à lire et bon pour la détente.