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De l’érotisme par Don_Quichotte

De l’érotisme

 

Si la sexualité a pour finalité ultime la procréation dont le moteur est le désir, l’érotisme est le désir du désir, l’art du désir par excellence. Tout compte fait l’érotisme est une réflexion sur un leitmotiv mystérieux, à savoir le désir, sans lequel la vie non seulement n’aura pas de sens, mais elle ne peut pas pratiquement se perpétrer. Imaginons l’acte sexuel comme une obligation ennuyeuse pour l’Homme - ou pour les êtres tout court - et nous risquons d’imaginer qu’un jour la vie disparaîtra par défaut de procréation.  

La réflexion sur le désir est l’objet de l’érotisme, c’est là que réside tout son paradoxe, car désir et réflexion sont aux antipodes. Le premier est immédiat, aveugle et pressant; la seconde est médiation, analyse et cheminement. Cependant la tribologie entre les deux, comme dans tout art, est à la fois invraisemblable et intéressante mais toujours surprenante.

Tout d’abord retenons l’un des principes de cet art à savoir le refus de l’animalité. En effet, ce qui est intéressant avec l’érotisme, c’est que la réflexion se portant sur le désir, prend un recul manifeste avec l’instinct. L’animalité, qui consiste à assouvir ici et maintenant le désir éprouvé ici et maintenant, laisse sa place à une canonisation, voire une ritualisation patiente et détaillée non seulement de l’acte sexuel mais aussi et surtout du long processus présexuel.

En ce sens, l’érotisme est une forme de spiritualité - autre principe de cet art -, car il se projette dans une entreprise transcendante visant à dépasser le corps physique et ses organes érogènes, pour éterniser le plus longtemps possible à travers une forme de communion inter-corporelle le désir en-soi et pour-soi. Car ce dernier constitue la quintessence même de la nature, qui a trouvé l’astuce ingénieuse et compromettante permettant sa propre autocréation. Saisir cette quintessence - moteur même de la nature - , la vivre sans la consommer, la consommer patiemment sans la dévorer, la dévorer doucement sans l’annihiler dans l’acte lui-même, constitue l’essence même de l’érotisme.

Il s’ensuit que ce n’est pas un hasard que depuis l’Antiquité - surtout extrême -orientale- érotisme et méditations spirituelles vont de pair. Des traités comme Sou Nu King, Sou Nu Fang ou le célébrissime Kama Sutra, faisaient de l’érotisme la voie royale permettant d’atteindre l’équilibre cosmique à travers la maîtrise de l’énergie sexuelle et le maintien du désir à son stade le plus extrême tout en résistant à lui. Plus proche de nous, ce n’est pas aussi un hasard si l’Islam avait abordé la question érotique ouvertement, faisant d’elle l’un des piliers fondamentaux de l’équilibre conjugal.  

Le contexte spirituel de l’érotisme n’est pas aussi étranger à la réflexion occidentale. Ainsi, dans Le Banquet, Platon ne parle t-il pas d’un Éros pédagogue guidant l’ascension de l’âme vers le Beau et vers la plénitude idéelle ? Cependant si elle sera éclipsée durant la période chrétienne# - à cause de l’abstinence et la chasteté - la réflexion érotique revient de plus belle après la Renaissance et surtout avec les Lumières. Dans La philosophie du Boudoir (1795), Sade voit dans l’érotisme une forme de volupté libertine permettant de transcender spirituellement « le plat mécanisme de la population » (sic.), en l’occurrence l’acte sexuel, plat, mécanique et plébéien. L’érotisme devient avec Sade - contrairement à ce que pensent certains - non pas une forme de subversion fétichiste en-soi et pour-soi, mais plutôt une sorte de communion sociétale basée sur la célébration d’un désir naturel, source de joie et de convivialité à la fois charnelles et cérébrales. G. Bataille, plus d’un siècle plus tard, verra quant à lui dans l’érotisme une tentative de prise de contact avec le « sacré », un carrefour à mi-chemin entre le désir de vivre et la peur de mourir, permettant de subsumer à la fois ces deux sensations extrêmes à travers un dessin spirituel transcendant.

L’érotisme demeure en dernière analyse mystérieux, sans doute aussi parce qu’il est propice à des approches interdisciplinaires, où la psychologie, la sexologie, la sociologie, l’anthropologie, la philosophie, la théologie et la littérature - pour ne citer qu’eux - sont des disciplines à la fois nécessaires et insuffisantes pour saisir le phénomène érotique dans sa totalité complexe. Il n’en demeure pas moins que l’érotisme a quelque chose de pur et d’impur à la fois, à savoir sa façon d’aborder le désir tout s’échappant à l’obscène. C’est sans doute dans ce paradoxe charmant que réside la clef de son énigme.

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Style : Réflexion | Par Don_Quichotte | Voir tous ses textes | Visite : 335

Coup de cœur : 8 / Technique : 9

Commentaires :

pseudo : mnemosyne

Très belle reflexion Don Quichotte..Cdc