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Entretient avec un croque mort par Graud Rio Flana

Entretient avec un croque mort

Je vais vous raconter une histoire qui s'est passée dans ma voiture, un mercredi soir aux alentours de 22 h 00/22 h 30.

 

J'étais donc, comme je viens de le dire, dans ma voiture, peu importe la marque, sachez qu'il était assez spacieux pour accueillir un homme allongé sur la banquette arrière. Petit détail qui va avoir son importance dans le déroulement de mon histoire.

 

Je rentrais, insouciant, d'une soirée entre amis. Je n'avais pas bu, je tiens à le préciser, ça aussi.

J’étais donc au volant de mon véhicule, seul sur une longue ligne droite, mais ligne droite qui me promit déjà un accueil chaleureux dans un lit chaud qui n'attendait plus que moi.

 

Confortablement installé, 90 km/h (limite de vitesse, même seul je les respects, je ne suis pas très passionnant dans la vie, qu'importe.), le bruit du moteur à régime constant résonné dans l'habitacle, le vent claqué parfois contre les parois de ma voiture, laissant passer un léger courant d'air très désagréable par des joints qui semblait commencer à s'user. Rien ne semblait pouvoir troubler cette harmonie parfaite de mécanique automobile confrontée à des conditions météorologique, ma foie, plutôt idéale. Non rien, sauf une chose :

 

– Salut.

Un homme apparu dans mon rétroviseur, peau métissée, barbe naissante, il avait un bonnet qui ne laissait entrevoir ses cheveux, et surtout un sourire énigmatique, qui me trouble encore aujourd'hui. Étonnamment, je n'eus aucunes réactions de panique.

– Bonsoir. Qui êtes-vous ? Répondis-je à ce vagabond, sans le moindre rictus d'affolement, d'énervement.

– Eh bien… Je suis, ce que tu appellerais l’« Ange de la Mort », ou encore, la « Faucheuse ».

Cet homme, que nous appellerons Gustave (ne me demandez pas pourquoi.) avait un air théâtral dans sa façon de parler, de communiquer. Aucunes réactions apparentes de ma part.

– Vous êtes donc venus m'annoncer que je vais mourir, c'est bien ça ? Demandais-je comme je demanderais l'heure à un inconnu dans la rue.

– Oui.

– Vous avez l'air bien souriant pour quelqu'un qui vient m'annoncer ma mort.

Maintenant que j'y repense, Gustave avait le sourire comme résultant d'une surdose d'injection de Botox.

– L'habitude. Désolé gamin. Au début je n’étais pas très joyeux, quand on m'a confié ce job, mais bon je m'y suis fait, et à vrai dire j'aime bien mon job !

– Et comment vais-je mourir ? M'intrigué-je

– Accident de sombrero. Mais non, je te fais marcher, accident de voiture ! Réfléchis gamin avant de sortir des imbécillités pareilles.

Oui. Pourquoi j'ai posé cette question ? Je me trouvais dans ma voiture, avec Gustave. Quoi de plus logique, mais bon la question m'avait échappé, et je m'en excuse auprès de lui.

Il reprit son discours.

– Un poids lourd. Il va te foncer dessus.

 

– À ce moment il me fixa dans le rétroviseur, même si mon attitude à son égard n'avait pas changé d'un nanomètre, je pense qu'il avait ressenti ce que je pensais :

 

– Et même si tu tournes à droite, à gauche, en arrière, et même en haut, c'est ton destin, POINT.

– Oui, je comprends.

– Finalement, je me suis vite fait à l'idée que j'allais mourir, que c'était fini, tant pis pour le reste. Je repris, et lui demanda quelque chose, car après tout je n'avais plus vraiment grand-chose à perdre ;

– Dites. Vous pouvez m'accorder une faveur ?

– No…

 

– Je lui coupa la parole :

 

– Je voudrais juste qu'on discute, vous savez comme deux personnes égales. Après tout, vous me devez bien ça.

 

Son regard changea, mais je ne savais pas si c'était de la pitié qu'éprouvé Gustave envers moi, ou alors parce qu'il serait ravi de parler à quelqu'un, car je pense qu'en tant qu'Ange de la Mort, on ne doit avoir bien souvent l'occasion d'avoir une discussion avec qui que ce soit. Sans un mot, il s'installa sur le siège passager avant, sans manquer de me donner quelques coups de pieds dans la figure dans son exercice de contorsionniste.

– Alors gamin, je t'écoute : de quoi veut tu qu'on parle ? Demanda Gustave, sourire de rigueur.

 

Et l'on parla, quelques minutes durant. J'évitais soigneusement les questions liées à l'au-delà, ça ne m'intéresse pas plus que ça de savoir si qui se trouvais après. On discuta alors musique, vie de tout les jours, voitures, et l'on se raconta quelques blagues dont voici une en particulière que je lui ai raconté :

 

– J’ai une blague : « Le professeur demande à Toto :

- Toto 3 et 3 ça fait quoi ?

- Match nul monsieur ! »

Gustave s'esclaffa de rire

– Arrête gamin ! Tu vas me faire mourir de rire !

 

À ses mots j'ai tourné la tête et je l'ai regardé droit dans les yeux. Quand il s'est rendu compte de ce qu'il venait de dire, un mot sortit de sa bouche : « Oups… » que je pus traduire facilement en : « Oups… Je suis vraiment désolé d'avoir dit ça dans ces conditions, je ne m'en suis pas rendu compte. »

 

– Bon, moi je descends ici. Content de t'avoir connu, gamin ! Me dit soudainement Gustave, en regardant le prochain carrefour à l'horizon, que l'on pouvait à peine distinguer dans le noir.

– Pareil. On se reverra là-bas j'espère ? Vous m'offrirez une bière.

Une bière, pourquoi avoir dit ça ? Quand j'y repense, je me sent plutôt ridicule. Il me sourit, pour ne pas changer.

– Avec plaisir, gamin !

 

Ce furent ses derniers mots avant d'ouvrir la portière et de se jeter sur le bas coté. Dans le rétroviseur, je le vis se relever et se frotter son pantalon, probablement pour enlever la saleté.

Je pris une grande respiration.

Le carrefour se rapproché.

 

Si j'avais su, j'aurais acheté une voiture plus petite : pour que personne ne puisse s'allonger sur la banquette arrière.

 

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Style : Réflexion | Par Graud Rio Flana | Voir tous ses textes | Visite : 547

Coup de cœur : 7 / Technique : 7

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