"On finit toujours par se débrouiller avec soi-même, tu le sais bien, Jeanne ! Ou, plus justement, on se dépatouille de soi avec soi-même, et les autres n'y ont aucune part. Arrivent toujours ces heures de vérité."
"Mais que me racontes-tu là ? " répondit Jeanne.
Les yeux de Jeanne étaient des puits d'angoisse pour lui. Pierre le voyait, Pierre le savait, Pierre en souffrait, Pierre n'y pouvait rien.
Elle lui avait posé une tartine "à la bonne confiture d'abricot, que tu aimes" qu'il ne touchait pas. Par les vitres de la cuisine, le soleil de janvier invitait à la joie, aux souhaits allègres d'année guillerette, aux câlins chaleureux qui sait, même.
"Cette nuit, je n'ai pas dormi, j'ai mes raisons qui ne t'appartiennent pas. Non, tu n'as rien fait de mal, de tordu", prévient Pierre.
"Tu n'es point en cause".
D'une voix radoucie il ajouta : "Je n'ai vraiment rien à te reprocher ! C'est juste moi avec moi-même !"
Elle voulut lui prendre la main. Il éloigna vivement celle-là.
Elle esquissa un petit sourire, ce petit sourire qu'elle tente à chaque fois pour qu'il ne s'éloigne pas. Pas lui. Après tant de temps. Et puis, ce n'était pas simplement une affaire de temps. C'était bien plus une affaire de viscères. Elle l'avait dans ses tripes à elle. Oui, elle l'avait en elle. Comme seules les femmes probablement font, sentent, sont. Parfois.
Pierre voulait dire à Jeanne ce qu'il pensait au fond de lui, tout en ne n'exprimant que le strict nécessaire. Il savait qu'il lui faisait mal. Il n'aimait pas cela. Mais comment lui dire qu'il n'en pouvait plus d'accompagner le rien ? Comment lui dire sans lui casser le coeur !
"En me levant, j'ai pensé : "A mort l'éthique"."
"Mais ta boîte, tu l'as appellée Ethique-Médiation !!! Tu sais bien, sans l'éthique c'est la violence et la force qui...
-Oui, na na na na na na !
-Maiiiis, c'est toi-même qui...
- Ecoute, on passe toute une vie à tisser, détisser du sens ! Quêter je ne sais quoi auprès de je ne sais qui, revenir à soi, se ressentir émétique, repartir quêter avec moins d'assurance, revenir vers soi, se détester d'être si égoïste, repartir quêter avec encore moins d'assurance et ne plus faire sens, du tout, en rien !
Sais-tu ce que je crois ? "
Il n'attendit pas la réponse :
"Je crois que certains sont condamnés à ne jamais pouvoir s'aimer, donc à ne jamais croire qu'ils peuvent être aimés. Quels qu'en soient les motifs, ils sont interdits d'amour. Et ils en souffrent comme des malades. Ils peuvent alors faire d'horribles bourreaux, ou de magnifiques suicidés. Ou encore des soixantenaires comme moi, qui marchent par réflexe, qui vivent parce qu'ils respirent, qui s'essayent à se rendre utiles, mais qui voudraient connaître cette exaltation du coeur que tant connaissent. Bof on s'en fout, Jeanne. Fais comme si je n'avais rien dit. Pardon."
Malheur à ceux dont l'Ombre est la marraine fidèle."
3.1.10
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Style : Nouvelle | Par Ombres et lumières, une vie | Voir tous ses textes | Visite : 459
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Commentaires :
pseudo : nage
Splendide..j'adore surtout: "je crois que certains sont condamnés à ne jamais pouvoir s'aimer, donc à ne jamais croire qu'ils peuvent être aimés.Quels qu'en soient les motifs, ils sont interdits d'amour." c'est manifique et tellement vrai.Deux phrases qui dire tout.Chapeau bas..biz amical.
pseudo : Ombres et lumières, une vie
Merci Nage. Ce n'est pas pour autant plus facile à vivre (sourire).
pseudo : nani
Certains ont rayé le verbe aimer de leur vocabulaire tout simplement pour ne pas souffrir, ne pas vouloir être aimé(e)ne pas aimer, mais avoir des sentiments qui font mal à en crever, c'est ça être interdit d'amour, ou plutôt s'interdire d'amour...Chapeau cher Ombres...
pseudo : Ombres et lumières, une vie
Merci Nani. Bonne fin de journée.
pseudo : nage
Je sais rien et facile Mais on à tous besoin d'aimé et d'être aimé c'est dans la nature de l'homme et de la femme.courage biz amical.
pseudo : Ombres et lumières, une vie
Merci encore Nage. Sourire.
pseudo : BAMBE
Une nouvelle, un dialogue, Ombres qui sort de l'ombre en brandissant l'Amour et son cortège de doutes. Coup de coeur au Roi de coeur.
pseudo : malone
C'est un dialogue avec soi-même en vrai... Donc un monologue car très peu comprenne se sentiment que tu décris si bien. Ou ont justement une peur bleue de ce qu'ils aperçoivent. "ils peuvent alors faire d'horribles bourreaux ou de magnifiques suicidés." C'est plus que vrai l'ami... Gros gros CDC tu nous avais habitué à du lourd mais là c'est au-dessus et tu sais que j'aime ça! au plaizir mon ami...
pseudo : Ombres et lumières, une vie
Bambe, comment tu traques l'Amour au cœur de l'Ombre même, toi ! Que de douceur en ton âme !// Malone, tu comprends tout, c'est effarant ! Sourire.
pseudo : Karoloth
Aïe! Je me sens si proche de cet homme là que j'ai l'impression qu'on parle de moi, d'un moi passé néanmoins. Parano? Non. CDC!!!!!!!!!!!
pseudo : Ombres et lumières, une vie
Merciiii toi qui fus moi, en fait, à coup sûr, moi en mieux !