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Elle ne se ressemble pas par stefan

Elle ne se ressemble pas

Je l'imagine scrutant la ligne d'horizon au bout de la méditerranée. Elle a ôté ses chaussures, qu'elle tient à la main. Le sable sous ses pieds est froid, elle en  sent chaque grains, elle aime la façon dont il conserve son empreinte. Demain elle partira. Elle  a conscience de son imposture, de se tenir a deux pas de l'abîme, mais cette sensation n'a rien d'effrayant. Elle sent avec jubilation se rompre le mince fil qui l'a maintient au rivage. La caresse du vent sur son visage aux paupières closes. Le sens de sa démarche lui échappe,  pourtant. N'était-elle pas amoureuse, il y a encore deux jours? Sur le point d'épouser de nouvelles certitudes. Cela lui ressemble si peu de tout laisser en plan. Il y a deux nuits à peine elle dormait contre son corps. Un corps musclé et souple, un corps  apaisé par l'orgasme. Ses cheveux ras, leur sueur sur le drap. Les yeux grand ouvert sur l'obscurité, la certitude que plus jamais elle n'aurait sommeil. Le tic  tac de sa montre, sa respiration saccadée, lente comme une berceuse. Depuis que son père n'est plus, elle a cessé de le voir en chacun de ses amants. Et puis dans le noir de cette chambre, dans la chambre de ce bungalow, dans le bungalow sur la crique troublée par le clapotis marin, par le fourmillement de la faune nocturne, dans ces ténèbres aveuglantes fouillées par son regard à la  recherche excitée d'une nouvelle vérité, l'amour s'en est allé.

Le repos auquel elle aspire n'est pas de ce qui vous tombe dessus de façon naturelle. Il n'a pas l'objectivité organique de la fatigue, il ne résulte en aucune manière de la logique implacable qui met fin à une période de veille. C'est de son âme qu'il s'agit. Tant pis si le terme est vague. Elle cherche a submerger ses désirs, avant que d'en être submergée. Il y a juste elle, pieds nus, debout sur le sable qui refroidis. Jamais aussi seule. Jamais autant conscience de son corps attaché à sa colonne vertébrale. Un morceau de viande sur son os. Son cœur, organe central de sa solitude, bat si lentement, si tristement qu'elle en pleurerait. Elle pense à l'homme qu'elle a quitté. Elle  pense à sa vie qui lui fait mal. Elle pense aux enfants qu'elle n'aura jamais. Aux livres qu'elle n'a jamais lu.

Son abandon est si parfait qu'elle n'a pas vu le soir tomber. De son sac, elle tire  un paquet de cigarette. Elle en allume une et marche vers la mer. Le ciel s'est teinté de couleurs violentes. Il n'y a rien de spécial dans ce crépuscule. Pourtant, quelque chose de différent. Son détachement agit sur sa perception du monde. Elle se sent minuscule, et voudrait pourtant embrasser l'horizon. Au loin, sur la plage, une silhouette s'éloigne qui tient au bout de son bras maigre une canne à pêche.

Elle a toujours eut peur. La peur de tomber enceinte. La peur d'avorter. La peur des colères de papa. La peur de faire  pleurer maman. La peur de l'interrogation surprise. La peur des accidents de  voiture. La peur de la vitesse. La peur de la foule qui gronde et oppresse. La peur d'être malade. La peur du viol. La peur d'avoir mal, la peur de la peur. La peur du cancer et elle écrase son mégot dans le sable mouillé. La peur de mourir et celle de vivre. "La vie ne me mérite pas" murmure-t-elle, comme pour se prendre pour une autre. Le clair de lune la guide jusqu'à la digue, éclairée tous les 20 mètres par des lampadaires. La saison est aussi morte qu'on peut l'être. Dans la vitrine d'un loueur de vélos elle se mire un instant. Elle n'est pas vraiment son genre. Ses yeux  tristes, soulignés de cernes qui lui donnent l'air battu. Ses bras trop maigres. Ses cheveux qui ne tiennent pas en place. Son drôle de nez d'esquimaude (son "groin", dit-elle). Elle soulève son chandail pour observer ses côtes. Se dit qu'elle a encore maigrit. Un beau matin, elle risque de disparaître, de se volatiliser dans l'atmosphère. L'appétit n'a jamais été son fort. Parfois, elle mange par désœuvrement. Ou lorsque son amant la traîne au restaurant. Il fait sombre, il fait froid, et nulle part ou aller. Elle ne se ressemble pas. Un jour son père l'a oublié sur une aire d'autoroute. Elle garde sous la langue le goût de cette terreur là. De la culpabilité aussi. Mais ce soir, papa ne retournera pas sur ses pas pour venir la chercher, et elle ne ressens nulle inquiétude. Les choses ont changé. Elle n'est plus cette petite fille distraite et curieuse, même si elle ne se sent pas vieille, juste un petit peu adulte. Parfois, elle croit encore qu'elle ne mourra jamais. Malgré ses quelques cheveux blancs  qui éclaircissent sa tignasse. Sa poitrine qui peu à peu dégringole, happée par la gravité. Le son d'un moteur de voiture. Elle se glisse dans l'ombre d'une porte cochère. Cette nuit, elle sera invisible aux yeux des hommes. Elle s'assoit là, à cet endroit où seul ses pieds captent la lumière artificielle. Allume une cigarette. Songe à ses menus plaisirs qui vous rendent mortel.

Elle est partit dans le matin sans un mot. Sans plus de raison. Pour se prouver qu'elle  était capable de geste gratuit. Comme ce tireur fou qui tue au hasard dans la rue. Il n'était pas plus désagréable qu'un autre. Dix ans de moins qu'elle. Un côté frimeur, un côté mauvais garçon collectionneur de trophée. Ou bien tout autre chose. Comment savoir? Ils ne se sont pas beaucoup parlé, juste de choses évidentes, de quoi préparer le terrain, entretenir l'illusion d'une entente amoureuse. Pourtant elle lui a tenu la main, et lui a dit « je t'aime ». Il roulait vite sur ces routes escarpées, tout à son désir d'elle. Lors d'une pause pic-nic dans un lacet de montagne, en descendant vers la mer, il l'avait plaqué contre la portière de la Toyota en lui écrasant les seins, tandis que d'une main elle faisait enfler sa virilité à travers l'étoffe du jean. Elle aimait le tenir ainsi, à sa merci. Le ciel était couvert. Relevant la tête vers les nuages gris, de fines gouttes s'écrasaient sur son visage. Humidité de son sexe qu'il caressait nerveusement, une main passée sous sa robe. Une camionnette qui descendait vers la côte les poussa à se ressaisir. Ils rangèrent dans la glacière les restes du repas. La pluie grossissait. Le désir qui nouait leur ventre faisait trembler leur jambes. Il se remit au volant. Elle nota qu'il n'osait plus la regarder. Son érection toujours visible guidait chacun de ses gestes, modifiait sa façon de conduire, de passer les vitesses, d'attaquer les virages. Elle se sentait séduisante. Elle se sentait sexy. Elle remonta  la robe jusqu'en haut de ses cuisses. Saisit son regard happé par la chair dénudée. Ses phalanges crispées sur le volant. Elle eut en tête des images d'accidents. Leur voiture s'écartant de la route, chutant dans un a-pic. Percutant de plein fouet un autocar. Finir comme ça. Au comble de la tension sexuelle. Tout en haut de l'échelle du désir.

 Je l'imagine frissonner dans la nuit, dans le silence de la station balnéaire déserte. Elle allume une autre cigarette. Un rai de lune fait apparaître la masse sombre et à peine mouvante de la mer. Pas très loin sur sa droite, la petite place, éclairée discrètement. L'été, il y a un manège. Les parents assis sur les bancs autour. Des bars et des restaurants avec des terrasses qui mangent les trottoirs. Le drapeau vert soulevé par le vent. Blottie sous la porte cochère d'une résidence morte, elle ne voit que la fumée qui s'échappe de ses lèvres. Des lèvres qui avec le temps ont appris à embrasser. Qui au contact de d'autres lèvres se sont entrouvertes, ont soupiré de volupté et d'ennui, ont murmuré quelques vérités, beaucoup de mensonges, sont restées closes à des moments ou quelque chose devait être dit. Des lèvres qui ont éclatées en corolles dans le vacarme de cent rires nés de l'ivresse. Il n'y a plus qu'elle et la cigarette et un monde mort. L'obscurité qui prend tout.

Elle s'éveille sous les premières lueurs d'un soleil pâle. Cligne des yeux devant la surface argentée de la méditerranée. Étire son corps douloureux. Se met en route en direction de la place. Allume sa dernière cigarette. La bas, sur la jetée, un pécheur et son fils s'affairent. Elle sort le téléphone portable de son sac. Bien entendu, il a essayé de l'appeler. Elle songe à son dépit. Sa rage. Son incompréhension. L'écran du téléphone la supplie de renouer le fil de sa vie. Il y' a des messages sur le répondeur. Plusieurs SMS. Autant de passerelles, de possibilités de faire demi-tour. Elle éteint le mobile, résistant à l'envie de le lire, de l'écouter. Elle se souvient de l'amour. Comment il commence et comment il finit. Une ellipse parfaite. Ses reins et ses jambes lui font mal. Elle se dit: "Je suis une petite vieille. Une vieille folle' .Elle marche dans la ville à la recherche d'un tabac ouvert.  


Je l'imagine courir après une fausse nostalgie, à la recherche d'un passé imaginaire. Elle fait du stop sur une nationale qui cours entre deux mers. Sans trop y croire. Elle se sent sale. Un peu libre. Ses cheveux salés. Elle passe les Pyrénées dans une Ford. Les nuages s'amoncellent, gris purgatoire. Elle se sent lasse d'entretenir la conversation. Elle se revoit petite fille, lorsqu'il a fallu apprendre le langage. Son palais innocent, les premiers mots et les premiers vertiges. Papa. Maman. Elle a apprit la perte. Elle sait la musique des marches silencieuses, la tristesse d'un cœur qui n'a plus la force d'aimer, mais qui ne peut se résoudre à dire: tout est consumé. Elle baisse la vitre, la gifle du vent, la vitesse, le paysage, le béton de la côte espagnole. Ils s'ouvrent et se referment tous. Les cœurs. Il met de la musique car son silence le trouble. Elle aimerait être aimée une dernière fois. Elle voudrait désarmer le monde, d'un seul geste. Elle se dit que l'inconnu, finalement, possède un côté rassurant. Elle file. Il s'arrête pour boire un café. Il lui a dit: "je vous dépose oû ?". Elle a dit: "Quelque part. Prêt de la mer." Elle se sent vide, amputée du langage. Il l'a regarde de façon bizarre.  Personne ne l'a jamais regardé ainsi. Elle savoure cette chance, le regard virginal, elle est née maintenant. Ca y est. Elle a cessé de se ressembler. Elle sourit. Perdre la raison, le fil de l'histoire. Son amant qui la cherche, le cœur bourré d'insultes. La pluie d'octobre. Elle voudrait dire: "personne ne peut me comprendre mieux que toi". Il règle l'addition.

  Son portable est déchargé. Ses mots sont vidés de leur sens. Elle n'est plus qu'un corps qui subit la gravité. Elle se souvient de cet homme qui voulait lui faire un enfant. Elle hésitait. Sa jeunesse à brûler. Elle n'avait simplement pas le temps. Et puis il est parti. A la conquête des rêves d'une autre. Toujours des rêves d'amour.

Elle s'abîme dans un bar de Sitges. Elle pourrait dire oui, là, à ce type qui lui parle une langue qu'elle ne maîtrise pas. Elle pourrait passer la nuit dans une chambre. Il mettrait de la musique et lui verserait un verre de vin. Il poserait sa main sur son genoux. La comédie des sens. Tout est si simple et à la fois d'une complexité sans nom. Son crâne est une coquille vide, oû se débat un papillon aveugle. Elle pleure. Il l'a console. Elle se sent loin d'elle. Elle croit qu'elle ne reviendra pas. Elle est saoule. Elle voudrait crever sans que ça lui fasse mal. Se blottir dans des bras qui étouffent. Il l'embrasse. Son haleine tabagique. Pourquoi faut-il que tout soit si prévisible? Il y a trente ans à peine elle croyait à tout ce que ce monde avait à offrir. La rosée du matin sous ses pieds nus. Le portique dans le jardin. L'odeur du gazon l'été. Les parties de ballon prisonnier. Papa faisait la cuisine le dimanche à midi. Après ça il s'endormait devant la télé. Ses  ronflements l'a faisait rire. Papa dort. Demain il partira au travail, toute la semaine. "A dimanche" disait-il en claquant la porte de la Citroen. Dimanche prochain il refera griller le steak, décorera l'assiette avec de la laitue et des pommes frites, puis s'assoupira devant la télé. Papa. Je n'ai pas le souvenir que tu m'ai un jour caresser les cheveux, prit par la main, que tu m'ai dit les mots pour que je sois plus forte.  Je voulais être ta meilleure amie. Je voulais que tu me dise que je suis jolie. Que tu fasse semblant de m'aimer un peu. A présent je te dédicace chacune de mes ivresses. Tous mes gestes inconscients et stupides. Tu aurait pu me faire cadeau d'un petit frère. Maman entre deux silences m'appelle pour mettre la table. Deux couverts, toujours face a face. La table trop grande. Manger sans appétit, pour la forme. La télé qui ronronne. Je me souviens de ma chambre, au bout de ce couloir triste. "Vas t'amuser, il fait si beau dehors". J'écoute la radio. J'essaie d'écrire en vers. Contre tout. Des avions traversent ma fenêtre. Je dessine des visages. Des yeux immenses au dessus d'une bouche minuscule. Je m'ennivre en cachette. J'ai peur que demain me surprenne encore en vie. Avec une lame du rasoir de papa je trace de fines rigoles sur ma peau. J'écris avec mon sang dérisoire sur une page blanche. Des croix, d'étrange symboles, des rêves qui naissent et meurent aussitôt. Des rêves d'amour, toujours.

  Je l'imagine au réveil, dans cette chambre aux relents lourd d'alcool et de sexe. Elle se rappelle la façon maladroite dont il l'a pénétré. Elle a du dire "encore" mais pensait: "Ca suffit". Elle lui a concédé l'ultime partie d'elle qui la rattache au monde des vivants. Il lui dit: "Je vais travailler. Fais-toi du café. Prend ton temps. Laisse la clé dans la boite aux lettres". Elle est sortie sous la pluie d'octobre et a marché longuement sur la plage. Chez lui, elle à rechargé son portable. A 11h35, elle a téléphoné à son amant du bungalow. Elle lui a dit: "S'il te plait. Viens me chercher".

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