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Giboulée par Anne Mordred

Giboulée

 

 

GIBOULEE.


Claire frissonna de bien-être en rentrant dans la chambre. Sa peau hérissée collait à la doublure de sa jupe. Au rez-de-chaussée, l'humidité suintait encore des pluies de la veille. Mais ici, le soleil du matin avait chauffé la mansarde et la chaleur s'insinua dans les vêtements de la jeune femme.

Monter l'escalier suffisait donc pour passer de l'hiver à cette atmosphère de touffeur estivale où elle retrouvait sa condition de fleur de serre. Il lui sembla humer les parfums vénéneux dégagés par son corps, illusion, sans doute des ses membres amollis d'une buée bienfaisante.

La moiteur faisait obstacle à sa démarche.

Elle repoussa la porte comme à regret, comme on avance vers la tentation, en prenant bien soin de faire résonner le déclic de la poignée à travers la chambre. Elle était seule.

Sa main dénoua ses cheveux, sans qu'elle lui ait vraiment demandé de le faire. Et le miroir lui renvoya l'image impuissante d'une femme alanguie. Fébrile au point de ne plus se poser la question de la folie, elle défit ses chaussures et éparpilla ses habits à travers la pièce.

Précautionneusement, elle avança quelques pas vers le lit défait. Ses orteils habitués au contact rigoureux des dallages de briques roses caressèrent voluptueusement la douceur du bois chaud. Le plancher était rugueux, juste assez pour s'imprimer sous la plante des pieds.

Hésitant un instant elle jeta un coup d'oeil vers la glace. Elle s'était trop rapprochée et seule sa poitrine balayée par le soleil qui perçait de la lucarne, émergeait, à présent, au dessus de la cheminée. Ses seins pâles comme les jours d'hiver ressemblaient à une photographie de magazine. Ainsi cadrés, elle ne les reconnaissait plus. Elle les préférait dorés à souhait, brunis par l'été. En cette saison, elle se livrait sans jamais se regarder, elle n'aimait pas son corps.

Derrière elle, on apercevait le lit. Un débardeur de laine blanche traînant au bord de la couette réveilla en elle toute la volupté qu'elle croyait avoir rassasiée cette nuit, dans les bras de Claude. Ils avaient joué aux plaisirs de l'amour et n'avaient dormi que quelques heures. Puis il était repartit, dans la première giboulée du matin. En bas, dans l'odeur du café, elle avait guetté avec impatience le passage de l'épicier ambulant et sitôt ses achats terminés, avait grimpé quatre à quatre l'escalier du grenier, bien décidée à rattraper le sommeil perdu... Pourquoi était-elle montée dans la mansarde plutôt que regagner sa chambre? Elle cherchait la chaleur des souvenirs et avait trouvé celle du soleil, en cette saison, inespérée. Etait-ce cela qui la troublait?

Elle enfila le pull blanc avant de se glisser dans le lit. Au fond des draps, son pied nu rencontra un peu de chaleur, celle de Claude, pensa-t-elle, et elle s'étira comme une chatte en ramenant la couverture sur elle. Il faisait pourtant suffisamment chaud dans la pièce pour ne pas se couvrir, mais Claire aimait le contact de l'étoffe rude sur ses cuisses. Elle les fit jouer dans les plis tandis que, sur son ventre pesait délicieusement le mol édredon où ses formes se nichaient. Néanmoins le doux molleton lui même ne rendait pas à ses lèvres l'assouvissante illusion de la présence.

N'avoir que les oreillers à étreindre quand sa bouche avide cherchaient sur la toile à raviver l'odeur masculine évanescente! Pouvait-on imaginer supplice plus insidieux pour cette chair avivée par les violences de la nuit.

Un pigeon roucoulait sur le toit. Le soleil avait glissé du dessus de la cheminée vers le bout du lit et effleurait la couette. Elle haït sa chaleur et crispa la main sous le pull, à la hauteur de son sexe et l'emprisonna. Seule sa poitrine nichée dans la laine échappait à l'agacement des draps: un îlot serein dont la tranquille douceur brûlait l'âme bien davantage, la disposant à toutes les voluptés. Le roulis de son corps s'accentua. Elle cambra les reins pour écraser plus fort contre le sommier les mamelons durcis qui la trahissaient. Elle aurait voulu rencontrer un lit hérissé de pointes pour la faire hurler. Mais la douce laine du pull la caressait.

Le visage enfoncé dans l'oreiller, elle attendait. Tout le poids de son corps pesait sur ses seins protégés par la laine blanche. Claire savait que si elle quittait cette armure, elle se masturberait.

En avait-elle vraiment l'envie? Après une nuit de plaisirs!

Etait-ce cela "être une chienne"? … comme il disait en lui mordant la nuque.

Des crissements d'ailes et une galopade sur le toit: le chat sans doute avait chassé les pigeons. Le lancinant roucoulement avait cessé. Elle gémit, se retourna et arracha les draps. Un rayon de soleil lui lécha les jambes .

Comme instinctivement, elle avait joint ses deux plantes de pieds pour les amener dans la chaleur de la lumière qui dardait à travers la vitre de la lucarne. Le losange de ses genoux ouverts lui cachait le reste de la chambre et même le bois du lit. Mais elle se voyait dans la glace: elle était seule dans cet horizon bornée par son désir.

Ses mains hésitaient encore, plaquées au bord ses cuisses. Elle passa sa langue sur ses lèvres salées de sueur. Le geste était obscène: elle se délecta d'en avoir conscience!

Claire enleva enfin le pull, lentement, pour regarder ses seins glisser sous la laine et en effleurer les pointes le plus longtemps possible. puis ronronnante elle tomba en arrière, fixant ses yeux affolés dans le reflet du miroir. Et la volupté glissa entre ses doigts humides, lançant le feu impatient à l'assaut de ses cuisses haletantes.

Le soleil avait tourné et son midi flambait sur l'oreiller humide. Les yeux éblouis se fermèrent. Derrière l'ombre des ses paupières, elle continua de jouir, indifférente au vent qui se levait au dehors.

La grêle se mit à tomber, criblant le vasistas, rebondissant contre le verre et les tuiles du toit. Les doigts de Claire se crispèrent sous le spasme. Ses cuisses se fermèrent comme un ciseau. Elle ouvrit la bouche pour crier, mais ses lèvres palpitèrent un froid sourire. La pluie battait les vitres encore brûlantes: dans un frisson, elle se glissa sous les draps et y retrouva l'odeur de son amant.

A peine exhala-t-elle une ultime secousse avant de s'endormir aux bras d'un pull de laine blanche qui doucement, serré contre ses seins, lui caressait la poitrine.
 

© Anne Mordred I973.

 

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