« Il est plus agréable de peindre que d'avoir peint», avait coutume de dire le précepteur stoïcien Attale à son jeune disciple Sénèque. Cependant il est tout de même pénible l'instant où l'apprenti artiste courbé sur sa chaise, actionne avec des doigts frémissants et d'une main fort hésitante un pinceau léger et dégoulinant et qui, avec un malaise de débutant surmontée d'une excitation candide s'approche inconstamment et craintivement d'un tableau encore vierge et pur pour essayer d' «ek-sistere  » de cet être encore insignifiant et équivoque, un « réel-chosiste » en mouvement et plein d'énergie qui traduirait fidèlement son modèle.

L'entreprise devient plus folle et encore plus vaniteuse quand notre peintre néophyte - par quelque curiosité expérimentale juvénile ou par un léger amusement cérébral -, décide à cet instant crucial de se peindre en train de peindre son modèle ! Il est vrai que Vermeer de Delft - animé par le caprice de la maturité - l'avait déjà essayé avec une prodigieuse dextérité effleurant la schizonévrose dans sa célèbre toile nommée « Allégorie de la peinture : l'Atelier », chef d'œuvre qui n'a pas  manqué d'ailleurs de déjouer historiens d'art et philosophes depuis lors ; et c'est tout aussi vrai que Dalí, fidèle à sa trop controversée méthode paranoïaque-critique , ne pouvait qu'être tenté par le même délire psycho-artistique  ; il le fera sous le prétexte d'une folie inspiratrice avec une remarquable maestria, au zénith de son art dans son déroutant « Dali de dos peignant Gala ».

Génies de leurs époques respectives, Jan et Salvador étaient poussés par cette irrésistible « Ursprünglichkeit » heideggérienne, c'est-à-dire par cette « quête de l'originel », ce désir d'objectivité qui consiste à essayer de faire tabula rasa de tous les acquis subjectifs et les a priori qui dictaient jusque là leurs toiles et ce en essayant tout simplement - mais Ô ! Que c'est difficile ! - de peindre l'agréabilité de peindre.