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Le décor et l'envers par pupucekib

Le décor et l'envers

 

A L'HOPITAL :

Le psychiatre regardait Baptiste. Ce dernier se tenait assis bien droit face au médecin et son visage n'exprimait rien. Son teint était coloré mais des cernes presque noirs creusaient son visage. Ses mains manucurées étaient posées sur ses genoux. Le psychiatre attendit encore quelques minutes puis se décida à prendre la parole :
"
Comment vous sentez-vous ?"
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"Que ressentez-vous en ce moment ?"
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"Sachez que je ne suis pas là pour vous juger. Vous pouvez parler sans crainte. Je suis juste là pour savoir ce qu'il s'est passé"
continua le médecin.

A LA MORGUE :

Le silence qui régnait dans la pièce était angoissant et empreint de douleur, de tristesse. Personne ne parlait.
La pièce était faiblement éclairée.
Une femme d'une soixantaine d'années tenait la main de Charlotte. Cette dernière était allongée et un drap la recouvrait jusqu'à la taille. En haut, elle portait un petit pull noir très fin. Ses longs cheveux blonds étaient soigneusement coiffés et de jolies boucles d'oreilles ornaient ses délicates oreilles.
Des gens chuchotaient dans l'antichambre. D'autres étaient dehors et fumaient nerveusement des cigarettes.
Un homme d'une soixantaine d'années pleurait tout seul dans son coin, près d'un magnifique pommier en fleurs.

A L'HOPITAL :

Cela faisait 3 jours que le psychiatre essayait d'entrer en contact avec Baptiste.
Celui-ci s'était muré dans un mutisme un peu inquiétant sans pour autant être alarmant. Le médecin avait, toutefois, peur que son patient n'attente à ses jours. Une dose de tranquillisants ad-hoc lui était régulièrement administrée mais, malgré tout, le psychiatre craignait pour cet homme.
Il n'aurait su dire pourquoi mais il savait que Baptiste allait finir par parler.
Il fallait le mettre en confiance et le débarasser de sa culpabilité.
"Baptiste, je voudrais que vous me disiez ce qui vous fait mal, ce qui vous ronge de l'intérieur ?" tenta la psychiatre.
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"Est-ce que vous voulez m'en parler aujourd'hui ?"

A LA MORGUE :

"Madame Duvauchelle" dit le responsable des pompes funèbres "nous avons préparé les funérailles suivant vos attentes et je voulais vous faire part du déroulement de la cérémonie, si vous voulez bien ?"
"Oui, oui, bien sûr"
répondit-elle "je vous suis dans votre bureau"
Le teint de la belle Charlotte était toujours aussi éclatant et c'était très étrange à regarder. Elle était décédée depuis 3 jours et on avait l'impression qu'elle arrivait tout droit d'une station de sports d'hiver ! Le préparateur lui avait mis une couche impressionnante de fond de teint.
Un homme d'une trentaine d'années tenait la main de Charlotte et la regardait, silencieux. Denis, le frère de Charlotte.

A L'HOPITAL :

"Le juge chargé de l'affaire m'a transmis le rapport du légiste" entama le psychiatre "et je ne vous cache pas qu'il est accablant ! Je dois tenter d'évaluer votre état mental et, pour ce faire, j'ai besoin que vous collaboriez, Baptiste !"
Pour la première fois depuis 4 jours, Baptiste se racla la gorge. Puis il se mît à parler :
"
Pourquoi personne n'a rien fait ?? Tout le monde savait et personne n'a rien fait docteur. Je suis un malade, vous pouvez d'ores et déjà le noter dans votre dossier ! Un grand malade incapable de se contrôler. Déjà, quand j'étais petit, j'avais des accès de colère inouïs, pour un oui, pour un non ! Si mon goûter ne me plaisait pas, je le jetais contre le mur et je me levais furieux, les poings fermés, blanc de rage !
Ma mère avait peur, ça se voyait. Je voyais sa peur et, tout au fond de moi, une voix m'implorait d'arrêter mais une pulsion plus forte encore me faisait continuer. Puis, je réussissais à me calmer et je continuais à vivre comme si de rien n'était, jusqu'à la crise suivante !!"
"Et votre maman n'en parlait pas avec vous ?"
demanda le médecin
"Non, jamais ! Elle devait avoir peur qu'on me place dans un institut ou quelque part ! Je pense même qu'elle n'en a jamais parlé à mon père. Par ailleurs, j'étais très brillant ! Premier partout à l'école, premier dans tout ce que j'entreprenais ! Ca compensait... Enfin, pour elle ! Pour eux !" dit Baptiste
"
Quand j'ai eu terminé mes études à l'école de commerce, je me suis installé à Paris et le fait de m'éloigner de ma mère m'a littéralement guéri de mes crises ! J'en ai déduit qu'elle était la seule et unique cause de ces états, qu'elle me couvait trop...
Et puis, j'ai entamé une brillante carrière de trader international. J'ai mené la grande vie, je voyageais sans cesse, je gagnais beaucoup d'argent, j'avais des succès féminins à la pelle. Un soir, lors d'un dîner chez des amis à New York, j'ai rencontré Charlotte ! Un vrai coup de foudre, une passion. Elle était traductrice. Elle a plaqué son boulot pour rentrer à Paris avec moi !
Oh... au début, c'était génial ! On nageait dans le bonheur. Ca a duré environ 7 ou 8 mois et puis un soir.... je suis rentré vanné du boulot. Elle voulait sortir pour dîner. Je lui ai expliqué que j'étais totalement crevé mais elle a insisté...
Ce fut la première gifle !
Je me suis jeté à ses pieds pour lui demander pardon ! J'étais abasourdi par ma réaction. Je croyais que c'était fini tout ça, la violence et tout... J'ai dit que je ne recommençerais plus jamais ! Et j'ai recommencé dès le lendemain soir... C'était pour une histoire de pâtes, un truc débile. Le lendemain, elle était couverte de bleus...
A partir de là, les bouffées de violence sont revenues... Tous les soirs ! C'était presque un rituel, je ne dormais bien que quand je l'avais humiliée et frappée. J'avais l'impression qu'elle aimait presque ça ! En même temps, si elle se rebellait, je devenais hystérique. C'était un cercle vicieux ! J'accumulais tellement de stress durant mes journées que Charlotte était devenu mon défouloir !
C'est pour ça qu'on n'a pas eu d'enfant, Charlotte disait qu'elle n'en voulait pas mais moi je sais que c'était à cause de ma violence. Elle vivait dans la terreur. Devant nos amis, nous jouions au couple modèle, amoureux et heureux !
Ma mère savait que je frappais Charlotte puisqu'elle était venue nous faire une visite surprise un jour et ce jour-là, Charlotte était dans un sale état... Même un maquillage outrancier n'y aurait rien changé. Elle était presque défigurée !
Ses parents savaient eux aussi. J'en suis sûr !
Et personne n'a rien fait...."
Baptiste se mit à pleurer
Le psychiatre continua :
"Et ce fameux soir, il y a 4 jours, que s'est-il passé ?"
"Je suis rentré tard sans prévenir, c'était devenu une habitude depuis quelques temps, et j'étais bien éméché.
J'avais dîné avec des collègues pour fêter un gros dossier qu'on avait traité. Il devait être 2 heures du matin quand je suis rentré chez moi et Charlotte était debout, dans la cuisine, en train de boire de l'eau.
Elle m'a regardé puis a levé la tête vers la pendule.
C'est ce geste qui a tout déclencé.
Je me suis précipité sur elle. Je l'ai injuriée et je lui ai dit que je faisais ce que je voulais de mon temps, que je n'aimais pas les fouineuses dans son genre. La colère m'avait dégrisé d'un coup. Ensuite, je me suis déchainé sur elle. Plus je frappais, plus la rage m'envahissait. J'étais comme possédé !
Je me suis arrêté quand mes mains m'ont fait trop mal pour pouvoir continuer !".

AU CIMETIERE :

La cérémonie fut brève, sobre et ensoleillée. Charlotte a désormais 2 nouveaux voisins : à droite, il y a Louise Marthe Madeleine Hortefeux 1920-2001 et à gauche, il y a Paul Granger 1943-1993,
pour l'éternité.

EN PRISON :

Baptiste, quant à lui, a deux co-turnes Georges, dit Gogo, 22 ans, toxico et Bilou, 19 ans, dealer,
 pour une petite dizaine d'années...
ou peut-être moins.

 

"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"

Style : Nouvelle | Par pupucekib | Voir tous ses textes | Visite : 593

Coup de cœur : 9 / Technique : 8

Commentaires :

pseudo : iloa

Heu...Que dire ? Hum??? BRAVO!!! Tu as un don pour te glisser dans la peau de l'autre qui me rend admirative. Et puis la lecture de ton texte est aisée, fluide et nous entraîne. Cdc.

pseudo : Ombres et lumières, une vie

Iloa a parfaitement commenté ! Impressionnant ! Un petit bijou de concision, de suspens, de mise en scène au scalpel. Cdc, of course !