Faites cette expérience avec votre entourage. Choisissez un mot, n'importe lequel et demandez au premier qui est assis près de vous de vous dire qu'évoque tel mot pour lui. La règle du jeu consiste à ce qu'il prononce un seul mot. Demande maintenant à la seconde personne qu'évoque pour lui le mot prononcé par le premier. Et puis au troisième ce qu'évoque le mot énoncé par le second, etc. Plus le nombre de personnes est nombreux, plus l'expérience est enrichissante.

A travers cette simple expérience, vous êtes - sans le savoir - entrain d'expérimenter l'essence même du schème cognitif qui caractérise l'époque post-moderne. Vous êtes entrain de décortiquer les soubassements même de l'inconscient collectif.

Ainsi, pour mieux illustrer cette expérience, je pourrai par exemple choisir, banalement un mot comme : «  ballon ». La première personne dira par exemple « Rond », le lien est bien sûr évident. La seconde, à partir du mot « rond » dira « terre ». Le lien entre les deux mots est plus qu'évident. La troisième personne à partir du mot « terre » dira par exemple « Galilée », vous n'avez pas besoin de lui dire pourquoi, le lien est logique. La quatrième à partir de « Galilée » dira par exemple « Eglise » (en référence au fameux procès). La cinquième dira « Jésus ».

Supposons que vous êtes six personnes. Le jeu a commencé avec le mot « ballon » et s'est terminé avec le mot « Jésus ». Le résultat est fabuleux ! Quel lien pourrait-il bien exister entre le « ballon » et « Jésus » ? Aucun, sauf qu'à travers un enchaînement imagé, vous êtes arrivés à ce résultat inattendu.

Que veut dire tout ça ? En fait il s'agit d'un mécanisme cognitif qui opère par image. Or un tel mécanisme, au-delà de son enchaînement apparemment logique, produit fatalement un résultat absurde. Ainsi, notre époque post-moderne, est une époque dans laquelle la majorité des personnes - vu la domination des médias, l'ascendant des images sur la parole, du scoop sur la littérature, du bling bling sur la pensée abstraite - raisonnent ainsi et arrivent sans le savoir à des amalgames malheureux.

Prenons un exemple : je vous dis «  Ben Laden », la première personne dira « attentat », la seconde dira « jihad », la troisième en partant du « jihad » dira « Mahomet », la quatrième dira « prophète » et la cinquième dira « islam ». Le résultat est le suivant : Ben Laden = Islam.

On peut s'amuser à reproduire d'autre exemple : « Bush » = « Amérique » = « Coca-cola » = « Publicité » = « Marketing » = « Finances ». Résultat : Bush = Finances.

Ce raisonnement fallacieux est sans doute l'un des plus dangereux produits de l'ère post-moderne ; ère qui à travers l'image, a enterré la discursivité logique héritée de Socrate et qui était basé sur l'enchaînement logique du discours, plus connu sous le nom du syllogisme. N'oublions pas que Socrate, dans son allégorie de la Cavernes, avait critiqué ces hommes enchaînés, qui contemplaient les ombres et qui se faisaient d'elles des idées illusoires. Toute la philosophie occidentale, rationnelle, discursive a commencé avec une telle critique. Notre époque est celle du retour à la Caverne, c'est-à-dire de la mort de la philosophie. Notre époque est celle du syllogisme imagée, ou du syllogisme esthétique, qui avec son apparente simplicité ne fait qu'alimenter un malentendu perpétuel entre des personnes qui cherchent les apparences simplificatrices plutôt que les profondeurs complexes.