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BRIGITTE par MARQUES Gilbert

BRIGITTE

Rencontrer Brigitte s’apparentait à un rêve dont le souvenir ne peut s’estomper sous les caresses hypocrites du temps. Bien des années se sont écoulées depuis qu’elle a traversé ma vie mais elle demeure si présente à mon esprit, aussi fraîche que la première fois que je l’ai vue…

* * * * *

Brigitte est belle, belle à en faire oublier tout ce qui l’entoure. Sa peau d'un blanc laiteux, presque diaphane, contraste étrangement avec sa longue crinière noire aux ondulations moirées. Pourquoi ses origines gitanes ne l’ont-elles pas dotée de ce teint mat qui les caractérise dans l’imagerie populaire ? Probablement d’anciens métissages, que ses yeux trahissent, en sont-ils la cause. Ils ne traduisent pas la sombre nostalgie stagnant dans les bodegas où se danse le flamenco. Tantôt blonds, tantôt verts, ils magnétisent pourtant au point d'estomper le reste du visage. Il mérite pourtant de s'y attarder. Le nez, fin et droit, s'insère dans un ovale discret où se dessine une bouche gourmande aux lèvres généreuses sans être vulgaires. Le menton, étroit et délicatement arrondi, surmonte un cou gracile, conférant à l'ensemble une apparence de porcelaine fragile. Flambe pourtant parfois dans le regard, une violence symbole du sang rebelle des Andalous. Il dément ainsi l'apparente douceur de cette Vierge Blanche, sœur de Sara la Noire.

 

Le portrait aurait seulement valeur d’esquisse si le corps mince, à la souplesse féline, modelé pour se mouvoir au rythme lascif du fandango, ne complétait pas l’harmonie de cette description. Plutôt longiligne, tout en rondeurs discrètes, rehaussé par des seins menus se dressant, altiers, comme pour lancer un défi devant compenser leur gracilité, il satisferait le plus exigeant peintre épris de pureté. La taille fine s'évase vers des hanches étroites, légèrement saillantes. Les jambes, longues et nerveuses, s'impatientent de ne pouvoir virevolter au son des guitares. Les pieds, tout petits, tapent du talon dans l'attente de se libérer du carcan des chaussures pour enfin, nus, glisser sur la vie d'une démarche imperceptible.

 

Sans conteste possible, Brigitte est belle dans ses robes sages mais suggestives. Magnifiquement auréolée d'une splendeur de Madone, elle est si jolie  et paraît si fragile que l'on n'ose pas la toucher de peur de casser le rêve qu'elle incarne. Brigitte n'est pourtant qu'une femme parmi d'autres, avec ses défauts et ses qualités, à peine consciente des dons du ciel qui lui ont été donnés en obole. Brigitte est une femme, certes, mais une femme de sourires à l'apparence désinvolte. Jeune encore, elle commence à peine à goûter au bonheur de vivre. Pourtant, le temps œuvre déjà à ses outrages même s'il semble chavirer dans sa démarche. Il marquera bientôt de son sceau indélébile cette beauté singulière en lui donnant plus de charme, plus de grâce.

 

Brigitte s'en moque. Elle apprend les plaisirs avec avidité même si, parfois, son éducation s'avère douloureuse. Sa joliesse, cette douceur dans son regard curieux et dans sa voix un peu voilée, séduisent immanquablement. Toute agressivité s'envole à son contact. Elle se montre aimable et gentille, sans ostentation. Elle laisse s'épanouir sa nature profonde. Elle n'ignore pas le mal mais le refuse obstinément. Inutile cependant de se leurrer, elle n'est pas naïve au point de ressembler à ces belles illuminées planant dans un ciel sans nuage. Le peu qu'elle a vécu lui a appris que rien jamais n'est facile. Au besoin, elle use de son charme pour obtenir ce qu'elle désire. Elle aime la vie, son rire le prouve.

 

Le hasard l'ayant généreusement dotée, elle entend en profiter sans en abuser, sachant se montrer sage lorsque c’est nécessaire. Ceux qui la connaissent s'accordent à lui reconnaître une intelligence vive et l'admirent sans réserve. Cependant, la légende de la belle idiote en laquelle certains croient, perdure. Brigitte ne se livre pas facilement, utilisant cette fausse réputation de fille volage pour se préserver. Elle peut ainsi choisir ses relations sans avoir à subir les avanies des imbéciles. En bref, Brigitte incarne la femme de son époque : une tête bien pleine sur un corps désirable.

 

Très attachée à sa famille, elle reste fidèle à ses racines et déroute parfois par ses humeurs fantasques. Son sang Gitan parle. Elle se plaît moins à séduire qu'à charmer jusqu'à l'ensorcellement. Elle joue la perversité par coquetterie, par besoin, comme la plupart de ses pareilles, de se sentir entourée, adulée. Il lui est inconsciemment vital d'être aimée pour ne pas se flétrir dans un quotidien fade. Elle magnifie ce sentiment trouble par un sens de l'amitié développé jusqu'à la dévotion. Brille dans son regard un petit rayon, presque imperceptible, qui le rend certes attrayant mais dément toute innocence même si sa jeunesse peut parfois la faire paraître candide parce que profondément naturelle, presque animale, indomptée. Elle agit plus par instinct que par raison. Son caractère entier lui interdit toute compromission. Elle aime ou hait, sans nuance et surtout, sans concession. Elle ignore encore tout de l'indifférence, pourtant la meilleure arme contre les imbéciles. Son entourage en compte un certain nombre qui ne lui pardonne ni sa beauté, ni son intelligence. Combative, Brigitte se défend, raille à son tour. Atteinte dans son intégrité, elle griffe facilement. Se sentant bien dans sa peau, l'âme et le corps en parfaite harmonie, il lui manque bien peu pour incarner la perfection.

 

Depuis toujours existent des abrutis pour envier sans essayer de comprendre. Brigitte en est à la fois leur cible et leur victime favorite. Lâches, ses détracteurs parlent dans son dos et tentent d’agir à son détriment. Brigitte ne le supporte pas mais ne pouvant rien contre les plans insidieux, elle les ignore ou bien, stoïque, les subit. Elle ne se prétend ni ange ni démon mais seulement femme désirant le rester pleinement. Le temps, sans nul doute, adoucira ses sentiments, nuancera ses idées intransigeantes. Il modèlera son visage en sculptant des traits moins farouches. Il façonnera son corps dans un parfait épanouissement. Elle sera encore plus belle, plus désirable et elle s'abandonnera avec langueur à la caresse du temps présent dont elle profitera comme un cadeau précieux. Elle apprendra à n’en garder que le meilleur pour devenir une femme... femme alors qu'elle n'est encore qu'une femme-enfant. Il lui faudra, pour y parvenir, souffrir quelquefois, accepter aussi de perdre et de céder du terrain à ses ennemis pour mieux les vaincre plus tard. Elle devra s’armer de patience pour acquérir la rouerie de la maturité. Brigitte commence seulement un long apprentissage sans presque rien connaître des chances dont elle a été gratifiée. Elles lui seront révélées parcimonieusement, à chaque étape importante de son existence jalonnée par les ans, les expériences vécues, les souvenirs engrangés... Il lui faudra surtout comprendre ce qu'elle se refuse encore à entendre : séduire ou se laisser séduire nécessite d’apprendre à tromper, parfois. Actuellement, elle s'amuse de son pouvoir de séduction pour ensuite s'abandonner à l'initiative de ceux qu'elle attire. Plus tard, il deviendra indispensable qu'elle sache employer son charme pour mener le bal à sa guise et se défendre des atteintes de ceux qui la croiront vaincue et soumise. Sa beauté se transformera alors en piège et Brigitte en Lorelei sublime.

 

Sans se montrer réellement farouche, Brigitte recèle en elle quelque chose d'indomptable qu'il faut apprivoiser lentement, avec délicatesse, pour pouvoir l'approcher. Ce côté un brin mystérieux, son jardin secret en somme, la rend parfois insaisissable en même temps qu'attachante. Elle... envoûte.

 

Promise sans doute à un grand avenir déjà bien engagé, Brigitte est née pour le bonheur comme d'autres sont mis au monde pour se débattre dans l'adversité. Etre prise pour une sainte lui importe peu. Elle préfère les fées qui lui ont indéniablement légué en héritage une part de leurs pouvoirs. Elle émerveille par son ambition à demeurer une femme libre s'assumant pleinement, sans arrière pensée. Elle se dévoue sans mesure pour ses semblables tout en gardant suffisamment de recul pour préserver son autonomie et éviter d'être envahie, ensevelie, étouffée par les bons sentiments des uns et l'irresponsabilité des autres. Elle n'accepte pas le malheur et la misère comme des fatalités. La banalité l'horripile. Il ne peut en être autrement alors qu'inconsciemment encore, elle se borne à vivre avant d'exister véritablement. Que peut-elle si sa seule présence remarquable la démarque de la masse des anonymes ? Depuis sa prime enfance, il lui a fallu s'habituer à ce qui la différencie des autres. Elle y est parvenue, le plus souvent sous les quolibets. Sa beauté lui est reprochée comme si elle était fautive d'avoir été ainsi conçue. Cette hargne à vouloir l'enlaidir s’est retournée contre ses détracteurs. Brigitte a fini par faire de cette beauté qu’elle avait longtemps ressentie comme un handicap, un atout pour ignorer ces pisse-froid en les désarmant d’une pirouette mutine. Sa coquetterie en devient plus rieuse que provocatrice, ce qui n'empêche pas quelques mauvaises langues de lui prêter une renommée sulfureuse. Inique jalousie !

 

Certes, Brigitte use de sa beauté mais elle n'en a pas réellement besoin pour plaire. Elle sait qu'il s'agit d'un artifice capable de déclencher la souffrance et ne connaissant pas la vengeance, elle s'en sert uniquement en dernier recours. Brigitte ne se galvaude pas. Elle se livre bien au contraire avec pudeur, par petites touches, comme sous le pinceau d'un impressionniste qui révélerait peu à peu, avec talent, le tableau final devant l’immortaliser à jamais.

* * * * *

                        J'ai été de ces heureux élus pouvant parler d'elle seulement en

termes élogieux. Je la connaissais depuis longtemps et l'avais vue insensiblement évoluer. Malgré ce passé de spectateur privilégié qui aurait dû atténuer mon éloquence à son égard, près d'elle, j'ai vécu sous son charme et loin d'elle, avec son image dans mon souvenir. Je l'ai sans aucun doute possible idéalisée.

 

Ai-je aimé Brigitte ? Probablement, comme toutes les femmes qui n’ont pas seulement traversé ma vie mais l’ont partagée durant un temps. Je l’ai donc incontestablement aimée mais pas dans le sens entendu généralement et certainement pas d’une passion aussi dévorante qu’éphémère. Je l'ai admirée, simplement, et respectée bêtement comme… une œuvre d'art. Outre sa beauté, elle m'a attiré dès le début parce que j'ai deviné en elle quelqu'un de la même race. Plus âgé qu'elle, elle a sans doute vu en moi un frère aîné susceptible de la conseiller quand ce n'était pas de lui montrer la route à suivre. Je m'en suis défendu avec d'autant plus d'énergie qu'en homme de peu de foi, je savais ne pouvoir que seulement l'entraîner, à la longue, dans une chausse-trape dont la seule issue serait la solitude, peut-être aussi l’amertume des regrets. Elle n'a pas cru en mes sincères avertissements. Avec elle pourtant, je n'ai jamais joué. Son amitié, son affection, sa fidélité étaient trop précieuses au loup solitaire et désenchanté que j'étais devenu. Je pensais que l'humain ne m'intéressait plus mais elle a su me réconcilier avec la vie par sa spontanéité juvénile. Je n'ai pas voulu trop lui en révéler sur mon histoire de crainte de la perdre tout en sachant que je la perdrai tout de même tôt ou tard, immanquablement. J'ai joui de sa présence et de notre relation jusqu'à ce qu'elle devienne une femme... accomplie qui n'avait plus besoin de moi.

 

Nouvelle tirée du recueil Nouvelles instantanées à paraître en mars 2010

G. MARQUÈS

 

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Commentaires :

pseudo : yiggivoo

Félicitations, j'aime beaucoup. J'ai craqué pour ce texte parce que ma mère s'appelle Brigitte... ;D

pseudo : BAMBE

J'ai plongé dans tes yeux sur Brigitte, les images m'ont accompagnée pour un beau moment de lecture. CDC