Publier vos poèmes, nouvelles, histoires, pensées sur Mytexte

LE PET DU BOUC par GILLES

LE PET DU BOUC

           Pas plus tard qu'hier, je déambulais nonchalamment, vêtu d'une serviette éponge sur les reins et de mes Ray Bans Aviator Caravan sur le nez, sous les alcôves d'un sauna mixte de renom quelque part dans les faubourgs du Cap d'Agde. J’étais, tout le monde l'aura compris, à la recherche de quelque inspiration pour une prochaine comédie à succès, lorsqu'au détour d'une colonne style Bas-Empire qui semblait faite de marbre rose du Portugal et qu'arborait fièrement un jeune éphèbe, répondant au doux nom d' "Alex Calibur", je pénétrais... dans une salle dite "Salle du Caca" (Que monsieur Ribes fréquente à l'occasion) où je devins, malgré moi, le témoin, désabusé, d'une scène des plus cocasses...
           Un bouc à barbichette se tenait là. Droit face à moi. Oui mÔssieur! Oui Madame ! Un bouc ! Ses petits yeux cruels luisaient dans la pénombre comme les lueurs lointaines d'un bombardement au Napalm que des généraux US à gros cigares, le cul bien au chaud dans une véranda sur les hauteurs d'Hanoï, contemplent à la jumelle. Loin d'être effrayé par ma présence, le bovidé aux pieds fourchus semblait, bien au contraire vouloir me lancer défi. A ma personne...!!!
           Pour le coup, c'est moi qui ruminais. Mon ego, d'humanoïde quelque peu malmené par l'outrecuidance et la morgue affichés par ce spécimen zélé de "Capra aegagrus hircus" (Méprisable sous race, s'il en est, qui déshonore et souille irrémédiablement par le seul fait de son existence la beauté absolue du miracle de la vie). En guise de représailles, je remontais lentement mes Ray Bans Aviator Caravan sur le haut de mon crâne pour soutenir son regard bestial, le menton haut, les pouces rentrés dans le bord supérieur de ma serviette éponge, le pied droit tapotant nonchalamment le carrelage tiède et humide, tel le célèbre héros du Far West dans un épisode inédit que le duo Morris et Gosciny auraient sûrement intitulé :"Lucky Luke au sauna". Quelques murmures d'une orgie lointaine nous parvenaient, par bribes d'échos étouffés dans la chaleur torride qui régnait. Plus rien ne bougeait. A cet instant, il n'y avait plus que le bouc, sa barbiche, mes Ray Bans Aviator Caravan, ma serviette éponge et moi. La tension était à son comble, quand soudain, sans crier gare, le bouc roula des yeux me montra ses dents, et contre toute attente péta bruyamment !

            Petit aparté explicatif : Cher lecteur, chère lectrice, j' emploie, à dessein, le verbe "péter", qui peut sembler grossier de prime abord, voire même d'une vulgarité déplacée, au risque, j'en suis conscient, d' offusquer les plus délicats d'entre vous. Ceci dit, dans le cas d'espèce, et dans un soucis d'imager précisément mon propos, je le préfère de loin à "flatulence" ou "flatuosité" qui d'une part, induisent une nuance grasse, vibrante et huileuse, et d'autre part n'existent pas dans la langue française sous leur forme verbale, ce qui m'aurait amené à formuler une tournure des plus alambiquées du genre : "Il expulsa une flatulence..." ou encore "Il lâcha un vent...".

            Trop aérien à mon goût. Le verbe "péter", quand à lui, décrit parfaitement, de par sa sonorité phonétique dans les médiums, l'impact métallique, sec, brutal et tonitruant du pet de mon bouc. En effet, la proximité immédiate de la consonne occlusive bilabiale sourde "P" et de la consonne occlusive dentale sourde "T" est sans pareil pour imager ce son. Je tiens d'ailleurs à rendre un vibrant hommage plein de respect à celui où celle qui jadis, choisit d'agencer ces sonorités parmi tant d'autres, créant ainsi le verbe "péter". Ce terme au demeurant fort joyeux, sautillant et drôle, dédramatise définitivement cette petite malédiction physiologique que nous cachons honteusement en société, ce qui donne ainsi ses lettres de noblesse au météorisme. Bravo l'artiste !

            Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre bouc qui contre toute attente, donc, péta bruyamment ! La violence inouïe de la déflagration fit tomber mes lunettes sur mon nez, réveilla une vieille douleur dentaire tapie au fond d'une molaire mal soignée et fit vibrer les murs du sauna si fortement que des enduits se détachèrent du plafond (un peu comme ceux du quai du rire). Pas de coup de semonce, la poudre avait parlé brutalement. J'avais vacillé sur mes bases mais j'avais tenu bon. C’était le principal! Je venais de survivre à mon premier Prout Harbor. On aurait pu s'attendre à quelques tirs sporadiques en levé de rideau afin de tester les défenses adverses mais non ! Les hostilités étaient déclenchées massivement, à l'arme lourde. La grosse Bertha était de sortie ce soir. Il fallait réagir vite, du tac au tac afin de juguler l'offensive ennemie qui s'annonçait meurtrière. Je lançais donc, toutes mes forces dans la bataille et dans une contre-attaque éclair je répondis à l'artillerie lourde, par l'usage de l'arme nucléaire.       

           Qu'on ne vienne surtout pas me parler de la convention de Genève ou de la Société Protectrice des Animaux ! Pendant que nos p'tits gars tombaient comme des mouches, il était où hein Alain Dugrain-Dubourg ?!!! Ce traître ! Bien planqué chez lui je suppose, à siroter un jus de goyave en regardant Belle et Sébastien ou Flipper le dauphin... Alors pas de leçon de morale messieurs, de grâce ! La dissuasion avait fait long feu, c'était maintenant une question de vie ou de mort. Je répliquais sans réfléchir, presque instinctivement, par un pet, dit, "Pet de maçon" que je gardais en réserve depuis mon arrêt-buffet de la veille au Mac Donald du coin. Franc et massif, il fit s'envoler ma serviette éponge qui virevolta longuement avant de venir se prendre dans les bois du bouc. Ce dernier, estomaqué par l'onde de choc, recula d'un pas, hagard, le regard vitreux, l'écume aux lèvres. J'étais maintenant nu, face au bouc chancelant, avec mes Ray Bans Aviator Caravan pour seuls vêtements.

            Après la phase de lancement, Son SCUD et mon M51 avaient ricoché, comme deux "supers balles" contre les murs en pierres du sauna et filaient maintenant à Mach 3 dans un sifflement sinistre au travers de l'établissement, fusant de pièces en pièces à la recherche d' une cible à verrouiller.

            Mon missile balistique, après une dernière hésitation, plongea en sifflant dans le grand jacuzi central, se mêlant sournoisement à la foule lascive et aux bulles de l'appareil. On le cru un instant perdu pour la patrie... Quand soudain il jaillit des eaux bouillonnantes, tel un diable de sa boite et explosa au nez et à la barbe d'une vieille avocate délurée, tête-bêche sur les bords de la piscine à bulles avec un grand black aux biceps énormes. Elle eut d'abord un puissant haut-le-coeur, blêmit, devint temporairement aveugle et perdit connaissance quelques secondes. Puis, recouvrant ses esprits, et croyant à une indélicatesse de monsieur elle se mit à hurler en se débattant violemment mais le musclor noir, dans un premier temps, prit les vociférations de sa partenaire pour des encouragements et redoubla d'ardeur à la tâche.

           Finalement, elle réussit à se dégager de son emprise en croquant à pleines dents le testicule gauche du Tyson des saunas. Ce dernier bondit comme un ressors sur ses deux jambes en sautillant de douleur et en pestant contre la maladresse de Madame l’avocate qui entama, dès lors, un plaidoyer des plus virulents à l’encontre de, je cite : « Ce gros dégueulasse qui ferait mieux de remonter sur son baobab… » L’homme de la savane, ne comprenant rien à ce revirement de situation et se sentant profondément humilié par le torrent d’injures, envoya pour toute réponse une claque magistrale qui fit tournoyer la magistrate telle une toupie dans une cour d’école. Après une dernière circonvolution elle se mit à appeler au secours en titubant.

           Son mari, masqué, malingre, barbu, substitut du procureur de son état, jouait un morceau de flûte à bec dans un quatuor qui se tenait à l’écart non loin de là dans un recoin. Il désertât la « queue-leu-leu » et accouru en trottinant au chevet de son infidèle qui lui expliqua toute l’affaire en sanglotant et en vomissant dans le jacuzi ce qui rajouta à l’effet de panique générale qui commençait à gagner. Entre temps, la fragrance pestilentielle, douçâtre et capiteuse du missile s’était répandue insidieusement dans toute la pièce, incommodant la foule hétéroclite et dénudée qui grommelait en signe de protestation, montrant du doigt notre infortuné Mister T des lupanars.

            Le Substitut du procureur, indigné par le récit de madame, vint demander des explications au bellâtre à la peau d’ébène en lui aboyant inconsidérément dessus, alors qu’un groupe commençait à se former autour du trio. Le géant noir, à cours d’arguments et sérieusement agacé par la vindicte aux relents racistes du lutin masqué et dépenaillé, agrippa le masque de son tourmenteur et le remplaça avec fulgurance par son poing droit. Vainqueur par KO au premier round !

            Il s’en suivit une échauffourée brève mais violente avec quelques idéalistes qui voulaient que justice soit faite. Mais, l’accusé avait de la ressource et il calma les ardeurs de ses bourreaux à grands coups de baffes. Puis devant les invectives incessantes de tout ceux qui voulaient coûte que coûte se débarrasser de l’importun, il décida de quitter les lieux avant que les choses n’empirent encore. Et c’est à ce moment, justement qu’elles empirèrent. Alors qu’il tournait le dos à la foule vociférante pour aller vers le vestiaire, le SCUD du bouc, qui s’était perdu jusqu’à lors au fin fond des couloirs situées à l’extrémité du complexe, déboula dans la pièce principale et se dirigea tout droit sur le banni. Le missile, à court de carburant, stoppa au dessus du black puis rebondit deux fois sur son épaule. Il se retourna nerveusement croyant qu’on l’interpellait pour la dernière rodomontade du fanfaron de service et c’est à ce moment précis que l’ogive caprine explosa, juste au niveau des narines de notre ami pigmenté sombrement.

           Sous l’effet des principes actifs, il cru devenir fou. Ses yeux exorbités roulèrent, il poussa une sorte de hennissement bestial et tout bascula. Croyant qu’on le moquait à nouveau, et sentant tout à coup peser sur ses épaules le poids de l’injustice, de l’humiliation accumulée depuis des générations, il sombra définitivement dans la folie. Il arracha le bras d’une statue en marbre représentant un satyre et s’en servi comme gourdin pour frapper à la volée tout ce qui passait à sa portée. Il s’en suivit une bagarre générale, sanglante et meurtrière même à ce qu’on dit…

           Le service d’ordre dépassé du faire appel d’urgence au Zoo de la ville pour qu’on amène plusieurs lots de seringues hypodermiques et du tranquillisant pour pachydermes afin de contenir la bête mais en vain. Pendant ce temps, témoins silencieux du carnage, le bouc et moi, nous attendîmes une brève accalmie pour nous éclipser à la dérobée dans la rue et disparaître dans la nuit chacun de son côté. A quoi bon nous dénoncer ? Qui aurait cru à notre histoire ? Il voulaient un coupable, ils en avaient un ! A quoi bon fourrer notre nez dans les affaires de la justice? Car force est, presque, toujours à la loi... C’est comme ça et pas autrement !

"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"

Style : Nouvelle | Par GILLES | Voir tous ses textes | Visite : 609

Coup de cœur : 10 / Technique : 8

Commentaires :

pseudo : Ombres et lumières, une vie

Placer une manifeste culture cultivée à ce niveau là ! Bon vent ! Mais "coup de coeur", en tout premier lieu !

pseudo : Karoloth

Personnellement, j'ai du mal à te lire. Je ne dois pas être le seul. Je pense que tu aurais un intérêt à simplifié pour rendre plus fluide la lecture.

pseudo :

Merci pour vos commentaires encourageants !

pseudo : BAMBE

Entrelacs de jeux de mots dans une écriture savamment agencée pour manier élégamment humour et effets, bravo.