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UN MONDE ABSURDE (Sixième partie) par GILLES

UN MONDE ABSURDE (Sixième partie)

(...) Voici l’histoire de Pierrot telle que je la racontais à ma « Kate Bush » du lundi après midi, gardienne farouche de noisettes :
           Pierrot était un ami. Pas une connaissance. Pas un collègue. Pas un copain. Un ami. Vous raconter la genèse de notre amitié serait trop long et n’aurait, pour vous, aucun intérêt. Disons seulement que les liens que nous entretenions avaient pris racines dans un pays lointain, qui aujourd’hui n’existe plus. Quelque part, là-bas, à la frontière entre l’enfance et l’adolescence.

          Avec deux ou trois autres larrons, tous aussi «déconards« les uns que les autres, Pierrot et moi nous avions fait les 400 coups de minuit et bien pire encore… A cette époque où nous cherchions qui nous étions et où nos caractères se forgeaient, nous avions, comme tous les « djeuns« , formé un groupe de rock qui devait, nous en étions persuadés, révolutionner totalement la sphère musicale mondiale, nous conférant ainsi le statut mérité de « Rock Stars-demis dieux » et nous rendant, de fait, riches et célèbres. Mais les voisins, qui par définition sont des cons, se foutaient bien pas mal de nos ambitions et les envisageaient même d’un sale œil, ou plutôt les encaissaient d’une oreille endolorie…

          En effet, nos beuglements intempestifs portés par des riffs de guitares désaccordées certes mais saturés à outrance, par des arpèges dissonants de synthétiseurs aux sons effrayants et par les rythmiques assourdissantes et décousues de notre batteur, qui disait lui même avec une certaine fierté « qu’il n’avait et n’aurait jamais aucun sens du rythme« , se répandaient, tels une pestilence sonore, bien au-delà des murs du garage qui nous servait de local de répétition…
          Il faut dire que le niveau sonore produit par notre « big band » du Diable, devait en terme de décibels flirter allègrement avec celui des Pink floyd ou de Metallica lorsqu’il se produisent en live dans des stades. La technique instrumentale, le feeling et le talent en moins. La devise du groupe c’était : « Jouer n’importe quoi, n’importe comment, mais jouer fort ! » D’ailleurs nous sortions exsangues de ces pseudos répétitions où l’on ne répétait rien du tout car fatalement à un certain moment, ivres de bière et de Haschisch et las de mal singer nos idoles, nous finissions toujours par sombrer corps et âmes dans des improvisations, rugueuses, abstraites et sans fin qui nous amenaient très loin dans des délires psychédéliques et psychotiques. Crises de « delirium » qui étaient sans doute l‘expression d‘une certaine bestialité enfouie tout au fond de nous mais très éloignés, quoi qu’il en soit, de la notion civilisée de Musique. Enfin, lorsque nous en arrivions au point de nous écœurer nous même, c’est à dire lorsque l’un de nous craquait, éclatait en sanglots ou vomissait, nous reprenions peu à peu nos esprits, c’était fini. Ouf !
         Bombardés pendant des heures par du mauvais son, à haute dose, dans un espace confiné et clôt, éclairés par un vieux néon pisseux, nos systèmes nerveux en prenaient un sacré coup et nous étions à ce moment là chancelants, hagards, fourbus… Le silence retombait enfin sur le voisinage, les chiens du quartier, qui enduraient un véritable calvaire à cause de leur hyper sensibilité acoustique arrêtaient de hurler à la mort et longtemps après l’arrêt des hostilités nos oreilles et celles des voisins, sifflaient encore.
L’un de nous, pris de nausées, ouvrait en titubant la porte coulissante en grand, qui laissait s’échapper un énorme nuage de fumée, hautement chargée en particules de tetracannabinol , nuage qui aurait immédiatement ensuqué un pilote d’avion si par malchance il l’avait traversé en survolant le périmètre à ce moment là.

          Généralement, dehors il faisait nuit noire et nous sortions un à un comme des zombies, penauds, tremblants et silencieux, la faim au ventre, comme si nous étions revenus d’entre les morts. Nous partions alors dans l’obscurité pour aller nous gaver de hamburgers au fastfood du coin.Voilà ce qu’enduraient nos voisins et leurs chiens plusieurs fois par semaine, été comme hiver… Malgré plusieurs plaintes de riverains à bouts qui remontaient jusqu’à nous, nous tenions bon ! Nous avions une légende à écrire.
          Le point de non-retour fut atteint lorsque l’un de nous recruta un nouveau membre. Ce dernier, hirsute, alcoolique et mythomane, s’était mis dans la tête un beau matin, allez savoir pourquoi, qu’il était un grand saxophoniste. Il était déjà venu en curieux assister à une de nos aberrations musicale et l’avait fort apprécié. Cependant, il nous fit remarquer judicieusement que notre formation avant-gardiste manquait cruellement de cuivres. Qu’à cela ne tienne ! Il était lui-même saxo ! Et un bon ! Une semaine plus tard nous le vîmes débarquer au local avec un pack de bières et un saxophone alto flambant neuf sous le bras. Pierrot, moi et les autres, nous étions ravis et tout excités à l’idée d’effectuer une percée décisive en matière d’exploration musicale.

         Après avoir descendu quelques canettes et roulé quelques splifs, la corrida commença… Notre nouvelle recrue volubile et confiante nous expliqua que son niveau musical lui permettait de jouer tout et n’importe quoi. Mais en réalité c’était surtout le n’importe quoi qu’il maîtrisait et encore… A l’entendre, Il avait joué avec des pointures, des monstres, un peu partout et c’était un honneur pour nous d’accueillir ce petit prodige dans nos rang d’amateurs.
          Une fois la porte de notre bunker fermée, chacun regagna son poste de tir. Nous étions prêts à faire feu de toutes parts. Notre virtuose nous expliqua, en ouvrant une autre bière avec les dents, qu’il préférait que nous commencions sans lui. Il flairerait peu à peu la direction du délire et nous rejoindrait à point nommé pour faire monter la mayonnaise encore plus haut. C’est ainsi qu’il avait, selon lui, l’habitude de procéder avec les autres, les grands. Ca s’annonçait grandiose ! Ce le fut !
          Dopés par la présence d’un « grand professionnel international » dans notre garage miteux, le « boeuf » commença rageusement avec une énergie jamais atteinte jusque là. Nous avions poussé les amplis encore plus haut que d’habitude et réglé les distorsions et les synthés aux petits oignons. Le batteur qui commençait à devenir sourd, s’était fait prêter des micros supplémentaires pour repiquer chaque éléments de sa batterie et Pierrot, le bassiste, était arrivé quand à lui avec un ampli énorme et une pédale d’effets qu‘il avait bidouillée chez lui… Des la première (fausse) note, tous les clébards du quartiers comprirent,, que ce jour là ils allaient morfler leur race… Tous hurlèrent à la mort de concert. Les plus chanceux d’entre eux se cachèrent où ils le purent… Sous le lit de leurs maîtres, au fond des garages, dans les poubelles. D’ autres prirent la fuite ventre à terre, et quittèrent le voisinage à tout jamais. D’autres encore, comme nous étions près du littoral, préférèrent se jeter à l’eau pour essayer de gagner l’ile Maïre ou le phare de Plagnier à la nage. Beaucoup se noyèrent pris de fatigue ou de crampes, et certains se laissèrent couler de leur propre volonté, préférant, de loin, les abysses noires mais silencieuses aux monstruosités sonores que leurs bourreaux humains leurs faisait endurer cruellement par plaisir.
          Dans le garage c’était le feu ! Pierrot était en transe derrière sa basse qui ronflait et soufflait comme un vieux 38 tonnes Polonais qui peine à franchir un col. Le batteur, les yeux révulsés frappait ses toms au jugé avec une violence inouïe, au point qu’il avait déjà crevé deux peaux. Les micros qu’il avait installé donnaient une ampleur cataclysmique à ses « tournes » surpuissantes et chaotiques et à chaque coup de grosse caisse la structure portante du garage travaillait et gémissait. A quelques rares moments il atteint l’arythmie parfaite. Le synthé de son côté, l’écume aux lèvres, jouait non pas avec les doigts mais avec les avant-bras. Il les étalait violemment et de façon incohérente sur toute la longueur du clavier qui vacillait sur son trépied sous la violence des attaques. Les sons « fin-du-mondiste » qu’il tirait de sa machine semblaient provenir du tréfonds des enfers et drapaient le vacarme déjà assourdissant d’un voile d’angoisse et d’horreur qui risquait, à chaque instant, de nous ramener tous les poltergeists du coin.

          Quand à moi, je malmenais ma guitare sursaturée, désaccordée et dissonante en hurlant des onomatopées invraisemblables ou des insanités dans mon micro. Emporté par des poussées cannabiques délirantes, j’avais parfois l’impression d’inventer des accords ou d’être la réincarnation de Jim Morrisson alors qu’en fait j’étais en train de voiler le manche de ma guitare ainsi que mes cordes vocales… Nous étions partis très, très fort ! Qui sait ce qui pouvait arriver ce soir là ? Tout était possible ! Dans un sursaut de lucidité je pensais à notre ami le pro du saxo. Je tournais la tête vers lui pour l’inviter à entrer dans la tourmente avec nous et nous donner ainsi le petit coup de booster dont il avait tant parlé quand on buvait les bières.
          A ma grande stupéfaction, John Coltrane n’avait pas encore sorti son sax de sa boite. Apparemment il galérait méchamment pour l’ouvrir et semblait s’acharner sur le Flight case qui refusait obstinément de céder… (...)

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Coup de cœur : 11 / Technique : 10

Commentaires :

pseudo : Ombres et lumière, une vie

Un délice ! Bravo, bravo, bravo ! Quel sens du détail qui "installe" la scène !!!! Bravo, Gilles !!!!

pseudo : GILLES

Merci "Ombres et lumière, une vie". Très touché je suis. ;-)