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UN MONDE ABSURDE (Cinquième partie) par GILLES

UN MONDE ABSURDE (Cinquième partie)

(…)       Notre éclat de rire, d’abord gigantesque comme un continent, se fragmenta en contrées de la taille d’un pays, puis en provinces pas plus grandes qu’un département pour enfin se dissoudre en villes et en quartiers. Quelques ruelles, hoquets sporadiques et involontaires, vinrent encore se dessiner en ricochant de ci de là sur le bureau et les murs, puis le silence retomba. Nous étions là, assis, reprenant notre souffle et nos esprits. Nous nous regardâmes un instant. Je constatais presque soudainement que le visage de ma banquière avait changé, si bien que je mis quelques secondes à la remettre. En effet les traits de son visage s’étaient détendus et son regard, jusque là noir, dur et inquisiteur dispensait maintenant une jolie lumière douce. Je remarquais pour la première fois qu’elle avait des seins. A priori deux. Je dis à priori, parce que je devinais seulement leur forme délicatement sphérique derrière l’étoffe de son chemisier Agnes B, comme un voyageur qui au détour du chemin, pressent, au loin, la présence de collines douces et parfumées derrière un voile de brume légère. Bien qu'il soient liés en un chignon bien sage,Je vis aussi que ses cheveux étaient longs, gracieusement bouclés et d’un brun profond.

          Elle avait, comme on dit, un « faux air » de Kate Bush (Chanteuse dont j’étais éperdument amoureux durant mon adolescence tourmentée, attiré invariablement, que j’étais, par toutes sortes d’amours impossibles). Derrière ses jolies lunettes à monture en écailles, ses yeux étaient couleur noisette, joliment et discrètement pailletés d’or et touchés délicatement en leur centre d’un petit cercle d’ébène. Je lui souriais gentiment mais je dus, malgré moi, la regarder avec un peu trop d’intensité car elle baissa doucement les yeux en papillonnant des paupières. « Tiens… » me dis-je… « Elle est une femme ». Mais je n’eus pas le temps de dérouler plus avant le fil de ma pensée car elle prit l’initiative de ranger ce moment dans un tiroir d’où elle sorti un dossier. Le mien.
          Elle dit dans un demi sourire qu’il fallait trouver une solution. J’eus une seconde de flottement  puis je revins dans la banque. J’acquiesçais. Il semblait que la hache de guerre était bel et bien enterrée. Pour un temps du moins… Elle me fit remarquer que jusqu’à lors, je n’avais pas été un client particulièrement problématique, enfin pas plus que les autres clients problématiques. Dans la norme quoi… Je lui répondis qu’elle ne pouvait pas me faire pire injure, car mon aversion viscérale pour la normalité, le conventionnel et les attitudes grégaires de mes semblables me poussait souvent à adopter des comportements que d’aucun jugeait à la limite de la folie, de l’inconscience et de l’irrationalité, pour justement me distinguer du troupeau, et que donc, quitte à faire partie du groupe privilégié des clients problématiques, j’étais résolu à ce que mon nom figure tout en haut de la liste…
           Pour vous dire à quel point nos rapports s’étaient détendus, elle eut un trait d’humour en me rétorquant qu’à ce niveau là, je ferai bien d’aller consulter un psychothérapeute au plus vite. Enfin, je crois que ce fut un trait ‘humour… Mais à vrai dire je n’en suis pas sûr à cent pour cent… Dans le doute, je changeais rapidement de sujet en lui demandant ce qui à son avis avait pu causer le crash de mon compte en banque. Elle fit une moue qui annonçait qu’elle allait dire une évidence puis elle me répondit tranquillement que l’arithmétique était une chose régie par des lois où la logique tient une grande part. Je ne voyais pas bien où elle voulait en venir et je le lui fis savoir. Elle me dit en ricanant que c’était fort simple : Il y avait plus d’argent qui sortait de mon compte en banque que ce qu’il en rentrait. Là, j’étais marron… Évidemment, vu sous cet angle… Voyant qu’elle avait marqué un point elle enchaîna immédiatement en me conseillant de trouver de l’argent quelque part et en quantité si possible, afin de rétablir la situation.

          Ayant enfin appréhendé la logique de son raisonnement et constatant amèrement que nous étions revenus au point de départ, je lui demandais si elle connaissait une adresse où je pouvais m’en procurer, non parce que moi j’en connaissais une ! Et d’ailleurs on s’y trouvait à l’instant même ! Hé oui ! Quand je veux trouver un St Honoré ou un Paris-Brest je me rends chez un artisan pâtissier et quand je cherche de l’argent, je vous le donne en mille… ! Hé bien je vais dans une banque ! Passablement agacée, elle me fit remarquer assez sèchement qu’elle ne souhaitait plus que la discussion s’enlise à nouveau dans les méandres de sophismes abscons dont j’avais le secret mais qu’il fallait désormais trouver des solutions réalistes et concrètes. J’acquiesçais à nouveau.
           Elle me suggéra de revoir mon train de vie à la baisse, pendant un temps du moins et dans ce sens elle me conseilla de vendre immédiatement ma voiture. Je lui répondis que je n’en avais pas. Elle ne se démonta pas et me glissa l’idée de changer d’appartement. Elle devait sans doute l’imaginer spacieux et bien exposé et ceci pour un volume plus petit. Je lui rétorquais que j’habitais déjà un 28 m carré humide et sans lumière et qu’il était hors de question que j’aille démarcher les foyers Sonacotra.
           Elle me questionna ensuite sur la fréquence de mes vacances et mes destinations de prédilection. La réponse fut rapide : Je ne prends jamais de vacances, j’ai horreur de ça. Mon métier, qui est ma passion, grâce au ciel, ne me donne pas l’impression de travailler, je ne suis donc jamais fatigué et je n’éprouve pas le besoin de me couper de mon activité, au contraire, je dois me faire violence pour ne pas m’immerger complètement dans mes projets, non pas pour moi mais par égards aux personnes qui m’entourent et qui m’aiment. Elles font déjà bien assez d’efforts pour supporter et accepter la présence d’un fou dans leur périmètre vital.
           Elle dodelina doucement de la tête d’un air dubitatif, puis me demanda ahurie si je possédais quelque chose de valeur qu’on aurait pu estimer, gager ou prendre en garantie du genre… Une maison de campagne ? Non. Un lopin de terre en Normandie ? Non. Un tableau de Maître ? Non. Une gourmette en or… Non… Je lui répétais que je ne possédais rien. Rien de rien ! Et dans un grand sourire j’ajoutais que, d’ailleurs, je n’y tenais pas particulièrement. La possession de choses matérielles n’ayant jamais suscité en moi un quelconque sentiment de sécurité. Bien au contraire ! A chaque fois que j’ai cru avoir quelque chose, j’ai toujours ressenti aussitôt la peur de perdre cette chose. Et à la première occasion, je m’en débarrassais comme d’une patate chaude. Ma banquière m’écoutait parler, bouche bée… Prenant ça pour de l’attention, je continuais hardiment mon laïus pseudo philosophique en lui expliquant que je souhaitais quitter ce monde comme j’y étais entré : Léger, pauvre et nu.
Les Gitans et les Indiens d’Amérique que je respecte au plus haut point, ont un sens aigu et inné de la liberté. Ne disent-ils pas qu’il est stupide de croire un instant qu’on puisse posséder de la terre… ? Et ils ajoutent que la terre c’est pour les morts, les vivants eux ne font que marcher dessus. Enfin bref ! Tout ça pour expliquer à la dame que je n’avais rien. Rien à vendre, rien à louer. Rien. Je terminais mon prêche par un grand sourire et une attitude de décontraction extrême. Elle était blême, livide, dirai-je. Elle m’avait écouté sans sourciller et je voyais bien que quelque chose dans ce que j’avais dit l’avait ébranlée. On aurait plutôt dit que quelque chose l’avait effrayée… Après un temps, elle se ressaisit un peu et murmura presque dans un sanglot : « Mais comment peut on vivre comme ça… ?! ».     J’entrepris alors de lui raconter l’histoire de mon ami Pierrot… (…)

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Style : Nouvelle | Par GILLES | Voir tous ses textes | Visite : 700

Coup de cœur : 14 / Technique : 10

Commentaires :

pseudo : Ombres et lumières, une vie

J'adore ! J'ai mis gratifié d'un coup de coeur chaque épisode précédent, ainsi que le dernier qui m'a invité à commencer par le commencement ! J'ai souvent ri. Or, faire rire nécessite un vrai talent !!!

pseudo : VIVAL33

Je me suis délectée de tous tes épisodes avec la banquière. Et de deux points de vue qui s'entrechoquent. Bravo

pseudo : GILLES

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