Publier vos poèmes, nouvelles, histoires, pensées sur Mytexte

La saignée du bronze par cinammon

La saignée du bronze

Il y a longtemps, sur les versants verdoyants d’un pays lointain, vivait un bonze.

Si les anciens avaient appelé son pays Kampuchéa, ils n’avaient en revanche jamais donné de nom au bonze qui vivait là. Sans nom, le bonze avait grandi, sans nom, il s’en était fait un ; deux syllabes avaient suffi à lui forger une identité, ainsi, dès que ces deux sons ‘bronze’ se laissaient prononcés par une langue, dans la forêt, le bonze tournait sa tête nue et se dirigeait vers le chemin.

Avec les sons, les jours qui naissent des nuits avaient déroulé le long fil de la langue. Longtemps, autour du bonze, avait-on parlé, longtemps, le bonze avait laissé la langue parler, simplement là, resté assis, la tête vers le profil de l’horizon.

Pendant tout ce temps, il s’en était dit des choses, aussi avait-on dit que le bonze ne voyaient pas ce que les langues déroulaient autour de lui. « C’est comme ça, avec le bonze, il ne regarde jamais vers qui que ce soit ». Peut-être ne s’était-on jamais apperçu, que le bonze était l’homme aux yeux les plus vifs, simplement son regard était le seul à embrasser celui de l’horizon. Alors que les mots s’agitaient tout autour, le bonze restait aussi tranquille et mésuré que ce que lui avait enseigné la langue des anciens. Aussi, quand se présentaient les âmes saturées de tout ces maux que l’on donnait à absorder jusqu’à l’indigestion, le bonze tournait sa tête nue et disait en si peu de mots : « Je ne t’aiderais jamais aussi bien que toi-même ».

Et lorsque l’on demandait à ceux qui étaient revenus par le chemin, « Qu’est-ce qu’a dit le bonze ? », les revenants répondaient le plus simplement « Je ne sais pas ».

Ainsi de maux en ignorance, les mots jetèrent leur dévolu sur le bonze, et par ce que l’on ne sait pas, on se mit à cracher de ces mots qui ne sont qu’une insipide copie de la parole sacrée.

Les âmes troublées se laissèrent détourner du chemin, celui là-même qui, depuis toujours, avait mené jusqu’au coeur de la forêt. Comme il doit faire suite à l’abandon d’un chemin, la consécration d’une nouvelle voie fit couler le cours naissant d’événements nouveaux.

Le bruit avait été tel, ces derniers temps, que les mots gaspillés avaient creusé un trou profond dans la roche ; de cette infractuosité souterraine, la source nouvelle laissait enfin briller son eau au jour, qui succède à la nuit. Car, « enfin », c’était un mot que l’on ne lassait plus de jeter, en ricoché, depuis le bord des langues.

« Enfin », c’en était fait de cet ancien chemin qui n’avait mené, par le passé, qu’à la pire des natures dans laquelle l’homme peut se laisser berner ; une nature avilissante, qui ne devait porter que la souillure la plus infamante, sur quiconque tomberait, pris au piège. Désormais, l’homme, mieux, « l’homme nouveau », n’aurait plus à subir la quotidienne humiliation de sa propre purification. « L’homme maître de lui » et de son destin, marcherait droit devant, sur la voie rapide des grandes réalisations ; après tout, peu importe que l’horizon lui barre la route, « l’homme dévoué à la cause commune » le franchirait, sans scrupules, ni remords.

Mieux encore, l’homme, à la force de ses deux jambes et de ses deux bras, l’anéantirait.

Ainsi, l’horizon des anciens, chose du passé, n’aurait plus aucune signification si ce n’est celle de la nécessité d’être dépassé. De mot en maux, l’on poursuivit cette abolition des sens ; alchimies que l’on avait pourtant crues éternelles. Et comme l’on voulait faire de la nouvelle route, une voie à sens unique ; les alchimistes, incroyables inventeurs de réactions mystiques, tombèrent sous le poids des nouveaux véhicules. Mobiles à moteur unique; celui de la révolution inconditionnelle. Si vile et déterminée, que l’alchimie du bonze ne put sauvé son univers en bronze des avancées dévastratrices. Arrivé aux pieds pliés d’un bonze, « l’homme de la cause commune » n’entendit pas même ce qu’il avait tant reproché au bonze de ne pas voir, quand ce dernier dit : « princes et puissants prient comme tout un chacun ».

Même ces mots là que l’on dit voués à la lutte contre l’iniquité ne firent pas le poids face à la pesanteur de « la cause commune ».

Bouleversé par la perte de ses sens, le bonze, à qui il avait suffi de deux syllabes pour tomber, épris de l’univers d’une langue de bronze, le bonze n’entendit pas le son que les deux balles, passées par son coeur, firent en venant cogner le gong en bronze.

 

"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"

Style : Nouvelle | Par cinammon | Voir tous ses textes | Visite : 413

Coup de cœur : 10 / Technique : 8

Commentaires :

pseudo : Karoloth

Pauvre Tibet et pauvre Monde. Prendre possession de tout! C'est si facile le crime...