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Coloc'; 17.30 par matt

Coloc'; 17.30

Quand je rentrai chez moi ce jour-là, je trouvai Michel affalé dans le fauteuil défoncé, roulant un bon pétard.

« Salut, ç'a été ta journée ?
_ Non, la misère. Ce matin en me levant, je veux faire du café et la cafetière était restée dans le salon (enfin, le pot de la cafetière en fait) et y avait les deux Michel, tu sais, les potes de Michel, qui squattaient le canapé. J'y vais, tu vois, sans faire de bruit, à pas de velours, je chope la cafetière (enfin le pot de la cafetière), je reviens dans la cuisine - et attention, tout ça dans le noir absolu pour pas réveiller les cons - je vais mettre de l'eau dedans, tu vois, et là... ils avaient vomi dedans ces bâtards ! Je te jure. Vomi dans la cafetière (enfin dans le pot quoi)... Un tout petit peu dur à huit heures du mat'. Bon. Je la lave comme je peux. Et là... Plus de café. Dans ta gueule, Michel. / Et toi ?
_ La merde aussi. J'ai marché dans la merde. Je sors d'ici, et je regarde je sais pas quoi en l'air. Un con de pigeon qui m'attaque ou je flâne, enfin bref je sais plus mais / pprrououououtttcchhh, je marche dans une merde, plein centre, plein milieu de la pompe. Nickel... C'était magnifique. Une merde superbe, posée en plein milieu du trottoir, en plein milieu de ma chaussure. Cet écrasage de merde était programmé par ordinateur au millimètre près. Modélisé. On vit dans la Matrice mec. J'te l'dis !
_ Pied droit ou pied gauche ?
_ ... ? Revoyons cette scène au ralenti. » Il regarde longuement le plafond en essayant visiblement de se remémorer ce grand moment.
« ...
_/ Putain, pied droit en plus ! J'y avais même pas pensé. Plein pied droit. Je voulais aller au cinoche... Mes couilles avec mes pue-la-merde aux pieds. J'ai raté ma séance. Du coup, j'ai créé une nouvelle équipe à Pro Evolution Soccer. J'ai pris la Juve et je suis en train d'acheter Ibrahimovic.
_ Tranquille. Tu veux un thé ? »

Michel rentra à ce moment là, visiblement éreinté et de vilaine humeur. Il balança son sac au pied du fauteuil et se vautra sur le canapé. Nous le regardâmes amusés. Habitués à son cirque de fin de journée, journée qui n'avait commencée que quelques demi-heures auparavant. Il faut bien avouer à sa décharge que les deux Michel qui dormaient dans le salon n'avaient pas non plus réussi à se lever avant un bon onze heures. Les restes de verre qu'ils embarquèrent au container-en-bas étaient les témoins en même temps que les responsables de réveils si tardifs. On peut dire qu'ils en avaient plein les bras. Sympas les mecs. J'aimerais bien qu'on les revoit avant la fin de cette histoire. Bref, ils s'étaient mis bien minables la veille.

« Tu veux un thé ? J'en faisais.
_ Ah ouaip, je veux bien. Cimer.
_ Ah, au fait, Michel, je te rappelle que notre bail est renouvelable tacitement tous les trois ans à condition que tu tires tes chasses d'eau, mec. » C'est vrai quoi.

Pendant que j'allais faire chauffer l'eau et que j'enfilais pour la millionième fois notre long couloir blanc, il me cria une excuse de chasse d'eau qui déconne et qu'il faut tripoter avant pour qu'elle ait le temps de se recharger, puis, je l'entendis rire et commencer son compte-rendu quotidien. C'est Michel qui devait me raconter la suite plus tard. Il était arrivé un truc à notre colocataire qui l'avait vraiment ébranlé de si bon matin. Il avait commencé par constater comme moi qu'il n'y avait plus de café. Il avait alors décidé de prendre une douche et d'aller boire son café en bas en mangeant un petit quelque chose. Eau glacée : « Et ouaip, Michel, Michel et Michel, toi et moi, ça fait cinq douches. Enfin, Michel, je sais pas, peut-être il s'est pas douché, mais à mon avis, Michel y a déjà été à l'eau tiède » me glissa Michel en connaisseur et en aparté, marquant une pause dans son récit. Il faisait d'ordinaire partie des derniers réveillés et lui-même n'en était pas à sa première douche froide. Il connaissait le fonctionnement du ballon d'eau chaude comme personne et pouvait, à l'oreille, déterminer le nombre de douches chaudes encore disponibles. A chaque fois qu'il nous faisait le coup, il devenait magnifique. On sentait un halo de Force se matérialiser autour de lui et : « Une doche et demie les gars », glissait-il, pénétré de sa puissance ou « c'est mort, eau froide ». Il devenait un Jedi.
Quand je revins avec mon plateau, le pétard était allumé et ça sentait bon la fin de journée et la Marie-Jeanne fraîche. Michel, le buste penché vers l'avant, était en pleine démonstration et semblait désespérément tenter de convaincre Michel :
« Mais t'es con ou quoi ? Elle est la quintessence de la réussite sociale. Elle réussit à fond dans un boulot ingrat et massivement considéré comme marginal et malsain et elle parvient à imposer des conditions de travail jamais obtenues : tournage exclusif avec son copain tout ça et elle se recycle tranquillement dans les photos de charme et les édito pour FHM. La classe ! Et le tout, il semblerait, sans concéder sur sa pureté et son intégrité. Moi qui voyais le monde du porno comme une mafia de tripoteurs et de malhonnêtes prêts à falsifier des papiers pour faire tourner une mineure, je tombe des nues, mec.
_ Vous parlez de qui ?
_ Clara Morgane » me répondit Michel dépité et peut-être également un peu abasourdi par les théories fumeuses de michel.
Après nous être racontés chacun la nôtre, nous conclûmes que cette journée méritait une place sur le podium des journées-de-merde-pour-tout-le-monde-égalité. On attendait donc impatiemment et en pouffant toute les trois secondes l'arrivée de Michel, notre dernier co-locataire. Il était incontestablement le spécialiste en journée de merde. Les suppositions allaient bon train et de l'argent était déjà en jeu.

Il arriva à ce moment là avec une jeune femme toute sourire, riant même peut-être, et soudain, gênée. Pas une gêne du mauvais endroit au mauvais moment, plutôt un tous les gens ici-présents m'ont entendu rire comme ça et m'ont vue sans ma carapace. Je crois que l'un de nous trois, peut-être moi, avant de lever le nez et de constater l'intrusion d'un corps étranger dans notre appartement, eut le temps de demander à Michel si sa journée valait un podium dans notre concours de la journée de merde, avant d'être lui aussi gêné de dévoiler tant de nous, tant de Michel aussi à cette inconnue qui pouvait tout aussi bien être une collègue de boulot, un plan-fesse, une audition à domicile, bref, tout et n'importe quoi.

 

Rue Drouot 17.15

« Vous aimez le thé ?
_ Oui, pourquoi ?
_ Vous voulez venir prendre un thé chez moi ? J'ai du Twinnings Earl Grey, du sucre Beghin Say calibre quatre et la collection des mugs "Friends" de Quick. »

Pas mal comme technique d'approche. Ca a au moins le mérite de ne pas tromper sur la marchandise. Il ne me promet pas d'être un grand connaisseur, il ne me parle pas de séjours à Singapour, ni de plants de menthe dans son jardin d'hiver. Il me propose juste un thé de grande surface.

Ah, il ne me parle pas non plus de ses trois coloc'.

Nous sommes devant la vitrine d'un antiquaire rigolo qui expose ses pièces les plus insolites, rue Drouot. En fait, j'étais devant la vitrine d'un antiquaire rigolo rue Drouot et il est passé derrière moi. Il a dû me regarder un moment avant d'oser se lancer et m'a fait sursauter en parlant dans mon dos alors que j'étais perdue dans mes réflexions. Je prends quelques secondes, de réflexion justement, et j'accepte. Après tout, ce genre de proposition est suffisamment rare, il a comme un air de gentillesse de petit garçon perdu et je fonds. C'est con, mais je fonds. De plus, je suis suffisamment folle comme dirait ma mère pour ne pas m'effrayer du risque que je m'apprête à courir et pour accepter. Nous allons donc chez lui, rue des Petites écuries, au 55, escalier B, 5° étage - sans ascenseur.

Ils sont trois. Affalés dans des canapés et des fauteuils. Tout est défoncé, les fauteuils comme leurs occupants.

« Ah, Michel, dis donc, raconte nous un peu ta journée, y'a de l'argent en jeu. Oh, pardon. Bonjour mademoiselle. »


Moment de gêne... et après.

Je crois que c'est moi qui ai dit ça en fait et je crois me souvenir aussi avoir rougi. Michel me dira plus tard que j'ai également bafouillé des excuses mais que je n'avais pas l'air de vraiment m'excuser. Plutôt de me retenir. « De quoi » me demandera-t-il alors en une question purement rhétorique et dans un sourire satisfait « de lui sauter dessus tout de suite ? »
Elle s'appelle Michèle et elle est très belle. Enfin, je la trouve très belle. Les autres, même Michel, me confieront qu'ils la trouvaient mignonne. Je crois même me souvenir que Michel avait employé le terme de mimi qu'il réservait aux filles sympas qu'il trouvait moches ou aux filles pour qui il avait trop le béguin. C'était alors sa manière à lui de se défiler dès que le sujet arrivait sur le tapis.

« Si vous voulez, y a du thé et je crois que je vais rouler un nouveau pétard. Si notre invitée veut se joindre à nous.

Ca, c'est Michel qui en rajoute et qui essaye en même temps de me sauver la mise.

_ C'est sympa mais Michèle est venue spécialement pour voir un truc sur mon ordi. Je te montre vite fait et puis on revient.» Ca, ça lui est adressé directement à elle. Il devrait même y avoir ici un demi-point d'interrogation comme pour lui demander si elle est d'accord pour jouer cette blague devant tout le monde. Lui demander également si elle accepte définitivement de rentrer dans son jeu. Jeu dont on ne peut pas vraiment savoir s'il est pervers ou non mais comme on a déjà dit oui une fois, il est maintenant un peu tard pour reculer et déshonorer le galant devant ses amis. Alors elle acquiesce, un peu gênée encore, du subterfuge grossier de son chevalier. J'ai la certitude qu'elle serait bien restée un peu. Ils sortent.

« Ah, au fait, j'ai acheté du café.» Il nous lance le paquet et disparaît dans sa chambre.
_Bon, a priori, pour Michel, c'est pas une vraie journée de merde, peu importe comment elle a commencé. On dirait que ça va pas mal se terminer.
_ Dis donc, elle est super mignonne non ?
_ Ouaip, elle est drôlement mimi. » Je crois que c'est là qu'on pouffe.

J'ai toujours eu un côté un peu chiant. Je dois bien l'admettre. Ca doit être mon vieux côté prof de français qui ressort. Ou bien, un traumatisme coincé dans un coin de subconscient entre six et huit ans. Je l'ignore. Toujours est-il que je suis un peu chiant. Le court dialogue qui va suivre et que je cite de mémoire à titre d'exemple est typique de ma rigidité. Je pose le contexte : notre machine à laver fuyait et nous avions déjà été responsables d'une ou deux inondations d'escalier. Escalier sur lequel la porte de notre cuisine donnait. « Tiens, à propos de la machine à laver, Michel proposait de nettoyer le filtre. Tout simplement. Pas con hein ? » Et là, j'interviens : « Michel nous conseillait de le faire ou Michel se proposait de le faire ? » Je me demande même si je n'ai pas souri à ce moment précis, comme pour goûter, pour moi-même, la qualité de mon humour comme de mon instruction. Un peu chiant, quoi.
Je suis orthographico-rigide, grammatico-rigide, politico-rigide et je suis en train de me demander en ce moment-même si je ne suis pas informatico-rigide. Je viens en effet de reprogrammer le style de ma page Word afin d'être bien sûr de ne pas perdre l'inspiration face à une feuille projetée par je ne sais quelle magie sur un écran et qui ne correspondrait pas exactement à l'image que j'ai d'une feuille digne de supporter une crise d'inspiration ou pire, un vrai moment d'inspiration. C'est la même raison qui m'a fait l'aborder dès que je l'ai aperçue devant une vitrine d'antiquités minable de la rue Drouot. J'avais envie de la reconfigurer comme une page Word et de lui montrer les vraies belles vitrines du quartier. Et puis elle a souri avant que j'aie ouvert la bouche et tout s'est écroulé. Je ne voulais plus rien reconfigurer, plus rien changer. Tout était à sa place et je n'avais qu'à prendre ce cadeau. Humblement. Heureusement, j'ai depuis recouvré toutes mes facultés et je suis ainsi prêt à raconter moi aussi un peu de cette histoire. Après tout, sans moi, rien ne serait jamais arrivé... Je l'ai donc invitée à boire un thé et...
Et voilà.

NB : J'interviendrai donc en Courier New, taille 10.


Dans une chambre.

Cette histoire a commencé il y a maintenant une petite demie heure devant un antiquaire de la rue Drouot. J'étais en train de me dire que je ne cracherais pas sur une petite histoire d'amour et même sur un petit flirt. J'ai un peu hésité et puis je me suis mise à croire en Dieu, que j'ai pourtant abandonné depuis déjà quelques années. Je me dis que je n'ai plus l'âge d'attendre le prince charmant mais que je n'ai pas encore l'âge de ne plus y croire. J'ai vingt sept ans.
Bizarrement sa chambre est rangée, sent le frais - il ne doit pas y fumer - et à part un tee-shirt et une paire de chaussettes dans un coin, tout est rangé dans une commode ou, et ceci de manière presque maniaque, dans une bibliothèque. Une assez belle collection de bouquins est rangée par ordre alphabétique d'auteurs, tout comme les oeuvres de même auteur le sont elles-mêmes. Les C.D sont classés par style et par compositeur sous une chaîne hi-fi composée d'éléments disparates, tous de bonne qualité : Denon et Technics. Le classique tout à gauche, l'électro à droite en passant par le jazz, la pop et le rock. Les chemises pendent, disciplinées, à une penderie apparente et son bureau est rangé. Son ordinateur portable occupe le centre de la planche alors que des dossiers s'empilent selon un ordre que j'imagine savamment établi sur la partie gauche, maintenus par le mur. Un petit " coin salon " est organisé au centre de la pièce, il est composé d'une table basse, d'un transat et de deux poufs confortables. Sur sa table de nuit, sont empilés, à côté de l'halogène, La Théorie quantitative de la démence de Will Self, Les Fleurs du mal et La Bible. Le radio-réveil est discret mais semble efficace. Je me sens tout de suite à l'aise dans cette ambiance feutrée et accueillante, organisée mais chaleureuse, rangée et personnelle. L'ordre de sa chambre semble tout aussi savamment entretenu que l'est le bordel du salon.
Il me fait très bien l'amour. Il est très attentionné mais se permet toutefois quelques accès de sauvagerie que je qualifierais de bon aloi. Il ne m'opprime pas, me laisse ma part de décision et se permet le luxe de répéter la manœuvre trois fois. Méssaline est enfin comblée comme dirait le poète. Comblée et heureuse.

Lorsque je me réveille ce matin, il est déjà parti. Son formidable radio-réveil doit être réglé sur des ondes qu'il est le seul à percevoir puisque je n'ai été en rien troublée dans mon sommeil. Il m'a évidemment laissé un mot sur l'oreiller : " Tu n'as qu'à appuyer sur la touche ON de la cafetière, il y a du lait dans le frigo et du pain au congélo. Le grille-pain fonctionne. Claque simplement la porte derrière toi en partant. " Puis, à la ligne : " Tu sais désormais où j'habite, reviens quand tu veux ". Bien décidé à profiter des charmantes attentions de mon hôte, je me rends dans la cuisine d'un pas décidé, affichant un sourire radieux de contentement et de vie retrouvée.
La vaisselle de six mois, les miettes de toujours et la poussière inamovible me font changer d'avis. De plus, la cafetière est déjà sur On et le pot est vide. Le fond de café commence à durcir dangereusement et j'appuie donc sur Off. La crasse, le moisi et l'humidité me dissuadent même de prendre une douche.

« Salut, y reste du café ?
_ Non. Pas du déjà fait en tout cas.
_ T'en veux ? Je vais en refaire je pense. / Prends une douche, hein, hésite pas. La serviette de Michel doit être dans sa chambre.
_ Non, c'est bon, je crois que je vais attendre d'être chez moi. Tu sais comment on est les filles...
_ Mmmh. Café quand même ?
_ Oui, je veux bien merci. » C'est à ce moment là qu'il sourit. Très simplement. Comme quelqu'un qui serait plutôt du soir mais qui fait de réels efforts quand il croise quelqu'un d'autre que lui le matin. Il rince le pot de la cafetière, prépare le bazar, sort du pain du congélo et l'enfourne dans un grille-pain de compétition. D'où peut-il bien venir ? Ils ont dû le gagner à une loterie. Puis, il se met en position d'attente. Planté devant le grille-pain, en contemplation. Lui, transfiguré au point qu'il donne presque l'impression de dormir vraiment et le grille-pain, buisson ardent des temps modernes lui apportant, par voies calorifères la Bonne Parole. Pendant un instant, je crois le voir tendre les mains vers les résistances tel un trappeur, les pieds dans la neige, se réchauffant au feu qu'il vient de ranimer après une nuit passée sous des peaux de grizzly. Je ne sais pas. La barbe peut-être.


Ici et ailleurs.

« Écoute, franchement je sais pas ce qui m'a pris, ce qui nous a pris / j'ai senti que /
_ Je me souviens très bien de l'image juste avant /
_ Tu sais, on était là /
_ Il me faisait écouter de drôles de musique / Et puis ça m'a parcouru la moelle et j'ai senti que / Ok /
_ Et puis / J'ai /
_ On était tous les deux sur le canapé / Au deuxième pétard /
_ Enfin, tu vois ?
_ Mais qu'est ce qui m'a pris ? Encore aujourd'hui j'ai du mal à expliquer /
_ Franchement ? / Ouaip. / Vraiment bien / Grave. »

Je suis dans le salon avec Michel / Cher journal / et je lui explique comment ça s'est passé. / On était installé dans le canapé et puis l'électricité, une décharge, ses yeux. / J'ai l'impression de lui devoir bien ça. Il avait dû partir tôt ce matin là. Il lui avait laissé un mot sympa sur l'oreiller. / C'était vraiment très curieux, cette... immersion. / Je lui raconte que de la cafetière au canapé et du canapé aux pétards, nos mains s'étaient frôlées pour des événements du quotidien - prendre la carafe d'eau, le tabac... - et les yeux, à chaque fois, les yeux. / Très vite, nous avons compris que quelque chose nous échappait et très vite je crois, nous avons décidé de nous laisser submerger. Comme une vague emportant tout sur son passage : raison, retenue, amitié, bienséance. / « Et puis, tout est allé très vite. » Je lui fais croire que je ne pourrais pas bien trouver les bons mots, mais « très vite » j'en suis sur. / Et là mes amis, on plonge dans le surnaturel. Nous avons passé une heure olympienne. Il était Zeus et j'étais Io. Et je ne parle pas ici de performance mais d'eucharistie. Mais d'holocauste, d'agneau, de flammes et de glaive.

« C'était bien au moins euheuh ? » Il fait des petits moulinets avec ses mains pour dire les mots qui ne passent pas. Je les comprends. Je décrypte mon ami. Ce sont ses premiers mots. Il ne s'était pas départi d'un petit sourire en coin, mal à l'aise, d'être là, d'entendre la confession de son ami, de se sentir obligé de recevoir l'offrande qu'il lui fait. Cet aveu. Qu'il sait libérateur. Que répondre ?
_ Franchement ? / Ouaip / Vraiment bien / Grave. » Il m'offre désormais un vrai sourire et je me permets de lui rendre. Il me traite ensuite de vieille crapule et je sais qu'il ne m'en veut pas.
_ « Vraiment grave ?
_ Grave-grave ! » Il rit vraiment maintenant et se saisit de son petit sachet d'herbe pour rouler un bon vieux djoko de l'amitié.


Tempête dans un crâne.

J'espère évidemment le revoir. Michel, pas Michel. Enfin, Michel aussi, je veux bien le revoir. De toute façon, ils habitent ensemble, je risque donc de voir l'autre si je vais voir l'un. De plus, aucune correspondance ne s'est établie avec aucun des deux. Michel m'a juste écrit que je pouvais repasser quand je voulais et Michel m'a à peine dit au revoir.
Quand nous avons entendu Michel rentrer, nous avons commencé par être inquiets. « Mon Dieu, qu'avons nous fait ? » Puis nous avons ri du vaudeville, m'imaginant déjà dans un placard, en porte-chaussettes, caleçon et tricot de corps. Nous avons même imaginé une moustache et un melon sous le bras. Puis nous avons essayé de mettre au point un plan de sortie. Habillage, diversion, sortie discrète. Il ne bouge pas du salon. Michel me dit que cela peut durer des heures. S'il a un bon bouquin et suffisamment de disques. Au bout d'une heure, prostrés dans le silence de nos chuchotements, nous avons décidé d'y aller franchement. « Et finalement, c'est moins glauque s'il n'y a qu'un seul coloc' ». En passant devant lui, je lui avais jeté un regard contrit et balancé un « Salut » rapide. Michel s'était positionné d'instinct entre lui et moi alors qu'il se dressait déjà sur le canapé qu'il occupait alors en position couchée. Je suis partie la tête basse et le front piteux. Mais aujourd'hui je regrette. Je crois que je vais y retourner, port altier, reine de Saabat, boire un thé et le revoir.


Un soir d'été et Autumn leaves

Je suis dans mon salon et mes coloc' sont partis en vacances ou en week-end. J'ai passé un drôle de dimanche. Seul et conscient de l'être. C'est devenu tellement rare ces dimanches de solitude depuis que j'habite en colocation que je suis chaque fois partagé entre le plaisir d'être un peu livré à moi-même et l'embarras de ne savoir que faire de tout ce temps libre. J'ai bien fumé un reste de pétard avec mon café, ce qui m'a empêché de me demander ce que j'allais faire avant quinze heures, mais après, il a fallu que je prenne une décision. Je suis allé au cinéma et j'ai acheté une bière en rentrant. J'hésitais entre la terrasse d'en bas où le patron n'est pas très sympa et en ramener une à la maison. Et puis, finalement, le patron n'est vraiment pas sympa. Je suis maintenant assis dans mon fauteuil préféré, officiellement celui de Michel, les pieds sur l'appui de fenêtre, il fait chaud, je fume un clope en écoutant la version d'Autumn leaves de Cannonball Adderley. Une de mes préférées. Elle est empreinte à la fois d'une nostalgie infinie et d'une grande joie. La trompette de Miles s'occupe de la partie triste quand Cannonball prend des chorus plus enjoués, plus techniques, plus lalala.
On frappe doucement à la porte. Avant même d'avoir entendu le premier coup frappé, je sais qu'elle est là et je sais que c'est elle.

C'est con hein ?

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Style : Poème | Par matt | Voir tous ses textes | Visite : 1248

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Commentaires :

pseudo : ficelle

Matt, je te découvre avec beaucoup de plaisir. Merci pour tous ces textes, en général.