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LES VISAGES DU PASSE par dahu2024

LES VISAGES DU PASSE

I.



En fait j'aime bien l'improvisation, laisser filer l'imagination, lâcher prise sur une histoire originale. Je préfère coucher mes mots sur le papier, généralement à une terrasse d'un café avec une bonne bière bien fraiche et un soleil éclatant pour réchauffer mes neurones.



Attablé sur la place de la cathédrale en compagnie d'un carnet, je n'arrive pas à trouver l'inspiration. je laisse mon regard se promener sur les gens qui vont et qui viennent. C'est intéressant de les voir à leurs occupations diverses et variées, les voir sourire, concentrés, rêveurs. En les observant de la sorte, j'ai l'impression de capter leurs pensées qui se perdent dans l'air.



Ma bière terminée, ma feuille blanche, je paie l'addition et je me lève, la maison est à deux pas. Je pourrais me poser sur mon canapé douillet mais l'envie n'est pas au rendez vous. La cathédrale, majestueuse me fait un clin d'œil, ça fait longtemps que je n'y ais pas mis les pieds. Il est évident que je vois son extérieur tous les jours mais je ne prends que rarement le temps de visiter ses entrailles. Je me faufile à l'intérieur laissant mes yeux redécouvrir cette œuvre médiévale épargnée par les bombardements de la guerre. Les sculptures sont d'une régularité impressionnante, la rosace imposante, et les vitraux magnifiques. Je reste sidéré par la qualité de ces morceaux de verres colorés, je les admire tous un à un et bloque devant un autre, il représente une bataille que je ne connais pas, étrange pour une cathédrale. Il me laisse un sensation bizarre, une gène profonde qui me martèle l'âme. Des visages de souffrances, de lente agonie, des hommes épées au poing. Attiré comme un papillon vers la lumière je sort mon appareil photo et prends chaque détail de l'œuvre pour pouvoir mieux la cerner sur mon ordinateur. Je continue ma visite avec l'impatience de rentrer chez moi. Je sors, me hâte, mets la clé dans la serrure, grimpe les escaliers, arrivé à la maison je ne prends pas le temps d'ôter mes chaussures et je file dans le bureau allumer le pc. Ce que c'est long un démarrage d'ordinateur ou bien l'impatience me rends beaucoup moins tolérant envers ces petites bêtes là?!



Je met la carte mémoire dans la fente prévue, les photos s'affichent. A nouveau le malaise m'envahit, la sueur coule sur ma colonne vertébrale appelant son frère frisson à me hérisser les poils. Je scrute chaque image avec une attention scolaire, je suis fasciné par ce que je vois, les détails sont merveilleux et beaux mais je reste mal, au fond de moi quelque chose se passe d'inattendu, j'observe les visages des deux hommes se livrant bataille, la stupeur m'emporte, ses visages sont familiers et pour cause : c'est le portrait craché de celui de mon père et du mien.



II.

Des larmes roulent sur mes joues sans même savoir pourquoi, je prends mon téléphone et appelle mon père, il sent que ma voix est fébrile et me demande ce qui ne va pas. Il existe un lien très fort entre mon père et moi, souvent il m'appelle quand il "sent" que je ne vais pas bien et il se trompe rarement. Je lui explique la situation et me propose de déjeuner ensemble dans une winstub bien chaleureuse pour faire passer mon angoisse. Il me dit qu'il viendra avec une amie spécialisée dans les vies d'avant. Euh, il me parle de réincarnation là, non? On verra tout ça à table. une heure et quart me sépare du rendez vous, j'imprime les photos et tourne en rond, je gratte quelques notes à la guitare sans grande conviction, je boue de l'intérieur ne sachant que penser, que faire. Je prends ma veste et sors, l'air est frais je le sens pénétrer mes poumons et je me sens vivant, le temps passe doucement, plus qu'une demie heure. Comment gérer cette impatience, elle me fait tourner la tête et creuse le fond de mon estomac.



J'arrive sur le lieu du rendez vous, personne, il faut dire qu'il reste encore une dizaine de minutes à tuer, je m'allume une autre cigarette, en pensant qu'il serait temps d'arrêter. J'inhale ma première bouffée sans plaisir, il s'agissait plus d'un geste automatique lié au stress qu'autre chose. Je vois la silhouette de mon père au bout de la rue accompagné d'une autre, féminine et élancée. Ils se rapprochent, je reconnais bien là mon père habillé d'une chemise un jean noir et d'une veste de costume bien taillée. Elle je ne la connais pas, elle dégage un calme et une sérénité assez impressionnantes. Grande brune cheveux longs descendants jusqu'au omoplates, habillée très simplement d'un pantalon en toile et d'un sweat shirt uni, elle doit avoir la cinquantaine.



J'avance vers mon père l'embrassant, lui demandant comment ça va, il me présente son amie qui répond au nom de Charlène, elle me fait les bises. La sensation que j'éprouve à ce moment est étrange, une impression de déjà vu, de la connaître sans l'avoir jamais croisée, elle me paraît de suite sympathique. Arrivés au restaurant que j'avais réservé, nous nous posons dans un décor typiquement alsacien aux effluves de muscade et de rôti qui me donne l'eau à la bouche, malgré ça la faim ne se fait pas ressentir je suis toujours noué par ce que j'ai observé précédemment. Nous nous épargnons les politesses habituelles pour arriver sur le vif du sujet.



Tu as imprimé les photos qu'on puisse les voir? La réponse à mon père était évidente, bien sûr que oui, tu verras la ressemblance est frappante, je me suis vraiment senti mal en les voyant. Charlène me coupe en me demandant des détails sur la sensation perçue quelques heures plus tôt, me disant de bien détailler chaque émotion. Me poser une question pareille, dévoiler mes sentiments ce que j'ai enfoui au fond de moi à une inconnue ne me plait pas vraiment, mais elle m'inspire confiance, je sens son regard plein de compassion saisir le mien, et je me lance. Expliquant cette étrange sensation de malaise, la boule au ventre suivi de sueurs et de frissons qui d'ordinaire n'avaient rien à faire là. Elle boit mes paroles comme nous savourons nos bières en guise d'apéritif, quand elle me répond que c'est typique d'un cas de présence du passé dans le présent. Je ne comprends pas grand chose et lui demande des explications. « C'est pourtant simple, chaque personne, chaque être possède une âme qui traverse le temps. Chacun vit plusieurs vies et passe d'une époque à une autre parfois sous forme différente, dans un autre corps, parfois gardant le même » Elle me parle de réincarnation, j'en ai bien entendu parler sans vraiment en connaître la doctrine aussi intéressante soit elle, elle poursuit. « l'évolution de l'âme s'accomplit au travers de vies successives dans d'autres corps humains. Dans cette doctrine, à la mort du corps physique, l'esprit quitte ce dernier pour habiter, après une nouvelle naissance, un autre corps d'homme, ce qui permet à la personne de poursuivre ses expériences de vie et son évolution spirituelle ou morale. Ce que tu as ressenti est le croisement d'une de tes vies passées avec l'actuelle, d'où cette sensation de malaise et de déjà vu. Les personnes que tu croiseras ou que tu as croisées dans ta vie actuelle sont généralement des gens que tu côtoyais dans d'autres vies, surtout les proches comme ta famille ou des amis vraiment sincères. Cependant cela ne veut pas dire que vous ayez le même type de relation, un frère aujourd'hui à très bien pu être ton ami voire même un ennemi de l'époque ».



Cela expliquerait la présence de mon père sur le vitrail, notre relation n'est pas contemporaine et s'est donc créée il y a bien longtemps. Mon père reste abasourdi devant cette nouvelle, il replonge le nez dans sa choucroute aux cinq viandes et prend une gorgée de Sylvaner en me lançant un regard complice. Je demande à Charlène comment se souvenir de ces vies antérieures, voilà que j'en parle comme d'un acquis, une phénomène que je ne connaissais pas plus que ça il y à une heure, je le considère comme faisant partie intégrante de l'histoire de ma vie ou plutôt celle de mon âme. Comment gérer ça ? plein de questions me viennent me bruler les lèvres et toujours cette sensation de connaître Charlène depuis un bon moment, voir quelques vie? Comment savoir si ces visages datant de l'époque médiévale sont bien les nôtres? Pourquoi est ce que nous combattons? Pourquoi est ce que nous nous combattons mon père et moi? Autant de pourquoi auxquels je ne peux répondre, auxquels les réponses se trouvent enfouies au fond de mon âme, de l'histoire des mes vies.



Toutes ces pensées donnent un goût fade au copieux jambonneau dans mon assiette, d'habitude si alléchant, accompagné de ses pommes sautées, l'appétit ne vient pas. Je ne cesse de ressasser cette histoire sans queue ni tête. Mon père voyant que je sombre dans mes pensées me demande ce que je compte faire, il est plus perturbé par mon état que par les photos, cependant je sens qu'il en sait plus qu'il ne veux bien faire croire. Son apparente nonchalance me laisse perplexe. Je lui réponds que j'en aie aucune idée mais qu'il faut que je fasse quelque chose pour ne pas sombrer dans une psychose. Charlène me dit que si je le souhaitais je peux faire ce que l'on appelle une régression. Elle m'explique qu'il s'agit d'un retour sur ses vies antérieures par le biais de l'hypnose. Que cela permet d'afficher son subconscient et de laisser l'âme se dévoiler. Je reste bluffé devant cette explication, je n'y crois qu'à moitié, les expériences d'hypnoses je les connais grâce aux émissions de Tf1 et rien d'autre, je ne suis pas confiant dans ce genre de stratagème, et puis pour découvrir quoi? Que j'étais un combattant l'épée au poing? Les photos me l'on déjà appris. Charlène croise mon regard interrogateur et me dis que l'on peut se voir après demain pour tenter l'expérience. Pas rassuré, je lui réponds d'un oui fébrile avec comme condition que mon père soit également présent. « 16h30 ça vous va ? » Mon père me lance un regard inquisiteur, m'en voulant de l'avoir mêlé à cette expérience peu crédible. « Ne fais pas cette tête, tu verras je suis sûr qu'on va bien rigoler » Lui, n'a pas l'air de rire et me lance un « d'accord! » pas très convaincu, mais le rendez vous est pris. Nous finissons notre repas avec un fondant au chocolat à faire oublier tous nos problèmes. Bavardages en tout genres assaisonnent le tout, bizarrement, cette discussion aurait dû avoir lieu en début de rencontre, mais la volonté d'entrer dans le vif du sujet était trop grande. Nous nous séparons en nous rappelant le jour et l'heure du rendez vous, je clos les embrassades « pourvu que ça ne révèle pas des choses que nous devions jamais savoir ».



Je rentre chez moi plein d'espérance sur ce projet farfelu, que faire pour passer le temps? Je m'installe sur mon canapé, m'allume une cigarette et regarde le « Seigneur des anneaux ». Ca faisait un petit moment que je ne l'avais plus vu. Au moins le temps me paraitra moins long.

Pendant ce temps mon père et Charlène se sont installés à une terrasse pour boire un café en guise de digestif.

  • Qu'en penses tu ? laissa tomber Charlène.

  • Je ne sais pas je ne suis pas sûr qu'il soit tout à fait prêt à connaître la vérité.

  • Tu rigoles, il a 27 ans, il en âge de comprendre quand même.

  • Une moue songeuse sur son visage il dit : Tu sais tout aussi bien que moi que ce n'est pas l'âge qui fait que nous soyons prêts ou pas! C'est l'avancée spirituelle, la maturité de l'âme!

  • Arrêtes de le préserver comme ça, je conçois bien que tu sois son père, mais là quand même. Il me semble assez mûr pour comprendre tout ça, et tu sais très bien le potentiel qu'il a. Cette régression lui permettra non seulement de faire connaissance de son passé lointain, mais peut être de débloquer en lui ses facultés parapsychiques.

  • Oh, il se doute déjà qu'il n'est pas tout à fait « normal ». Déjà petit il tentait de déplacer les objets avec sa pensée, sans résultat. Il pensait également pouvoir maîtriser la météo en pointant son bâton de châtaignier vers le ciel. Bizarrement ça fonctionnait de temps en temps.

  • Tu vois ?! Raison de plus pour faire ça rapidement, on a besoin de lui!

  • Ok, je capitule, je suis pas sûr qu'il accepte bien le fait que nous soyons déjà au courant de tout.

  • Un sourire de triomphe illumina son visage quand elle lâcha : Il l'encaissera bien tu verras. Quand ses capacités auront ressurgi, il n'aura plus de rancœur.

Un sourire au coin des lèvres, mon père ne paraissait pas convaincu.

  • Charlène, tu es libre demain?

  • Oui, je n'ai rien de prévu.

  • Rappelles mon fils et avance le rendez vous. Il sera dans des meilleures conditions. L' attente n'est pas sa meilleure amie.

  • Je l'appellerai sur la route. On se voit demain, 14h ça te va?

  • Parfait! A demain.

Ils payent leurs cafés et se sont quittés sur la parvis de la Cathédrale, le soleil qui déclinait dessinait des nuages aux reflets mordorés, laissant place à une certaine sérénité.



Réveillé par la sonnerie du téléphone, je décroche. Charlène. La nouvelle me réjouit, plus que quelques heures me séparent de la fameuse expérience. Que vais-je y apprendre? Serait-ce une révélation? Peut-être rien du tout? Est ce que l'hypnose va fonctionner? Que de questions auxquelles les réponses se présenteront demain après midi.

M'étant endormi devant le film, je décide de le remettre là où je m' étais évadé. Une scène de bataille bien ficelée entre Orcs, elfes, et autres monstres. Mes pensées restent en suspens pendant toute la durée du film. Mon ventre me tiraille comme à chaque fois que j'observe une scène où des gens s'enfoncent des épées dans les entrailles. Je réagis, cette douleur que je connais depuis si longtemps aurait elle un rapport avec une vie antérieure, une cicatrice laissée par le combat décrit sur le vitrail? Le film terminé, je prépare le dîner. Des amis doivent me rejoindre pour 20h, j'hésite à leur raconter mes péripéties de la journée, par peur de la façon dont il vont réagir. Et puis une soirée sans en parler, sans penser aux sensations éprouvées ne me fera pas de mal.

19h48, on sonne à la porte.



III.



Personne, juste un paquet emballé de papier kraft déposé sur le paillasson. Je jette un coup d'œil dans les escaliers espérant croiser le regard de mon livreur, mais personne, pas un bruit de pas dans les escaliers. Je vérifie l'ascenseur il est à mon étage : vide. Mes amis habituellement en retard sont à la hauteur de leur réputation. Je retourne dans le salon avec mon paquet comme lot de consolation, je l'ouvre délicatement ne sachant pas ce que ce grossier papier va me laisser en héritage. Un médaillon serti d'une émeraude qui reflète son vert si étrange à travers mes yeux. Le sol se dérobe sous mes pieds, des étoiles semblent tourner tout autour de ma tête et le noir complet...

 

A SUIVRE

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